Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 juillet 2019 et le 29 juin 2020, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice :
2°) de rejeter la demande de M. C....
Les ministres soutiennent que :
- l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 modifiée sur lequel s'est fondé le tribunal pour rendre la décision litigieuse n'est pas applicable à l'espèce car issu d'une loi postérieure à la décision du 19 mars 2012 ; pour ce motif, le jugement doit être annulé ;
- aucune disposition n'obligeait l'administration à engager une procédure disciplinaire pour prolonger la mesure de suspension des fonctions ;
- aucune faute ne peut être reprochée à l'administration.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 septembre 2019, M C... représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête, et par la voie de l'appel incident, demande de condamner l'Etat à lui verser la somme de 23 250 euros en réparation des préjudices subis, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros de frais de justice.
M. C... fait valoir que les moyens des ministres sont infondés, que l'Etat a commis des fautes en édictant les décisions du 10 novembre 2011 et du 19 mars 2012, et que les préjudices réclamés sont justifiés.
Une ordonnance du 2 juillet 2020 a fixé la clôture de l'instruction au 14 août 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, et notamment son article 26 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 26 janvier 2021 :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre de l'action et des comptes public font appel du jugement n° 1700429 du 17 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a condamné l'Etat à verser à M. C... une somme de 3 000 euros en raison de l'illégalité de la décision du 19 mars 2012 prolongeant la mesure de suspension de fonctions prise à son encontre le 10 novembre 2011.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, en vertu de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires applicable à la décision du 19 mars 2012, qui autorise la suspension des fonctionnaires en cas de faute grave, constituée d'un manquement aux obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ".
3. D'autre part, en vertu de l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 dans sa rédaction issue de l'article 26 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires publiée au Journal Officiel de la République Française n° 0094 du 21 avril 2016 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation du fonctionnaire est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation. Le magistrat ayant ordonné le contrôle judiciaire et le procureur de la République sont informés des mesures prises à l'égard du fonctionnaire. La commission administrative paritaire du corps ou cadre d'emplois d'origine du fonctionnaire est également tenue informée de ces mesures. Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi peut subir une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée au deuxième alinéa. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille. En cas de non-lieu, relaxe, acquittement ou mise hors de cause, l'autorité hiérarchique procède au rétablissement dans ses fonctions du fonctionnaire. Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités de la publicité du procès-verbal de rétablissement dans les fonctions ".
4. Il ressort du point 11. du jugement attaqué que le tribunal, pour annuler la décision du 19 mars 2012, s'est fondé sur l'article 30 de la loi cité au point 3, dans sa rédaction issue de l'article 26 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, laquelle étant entrée en vigueur au 22 avril 2016, et ne pouvait donc s'appliquer à la décision litigieuse qui lui est antérieure. Par suite, c'est à tort que le tribunal a jugé que l'administration aurait dû saisir le conseil de discipline en application des dispositions de l'article 30, dans cette rédaction, pour annuler la décision du 19 mars 2012. Il s'ensuit que le ministre est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué dans cette mesure.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne l'appel incident dirigé contre la décision du 10 novembre 2011 :
5. Pour contester la légalité de la décision du 19 novembre 2011, M. C... fait valoir qu'elle a été prise au terme d'une procédure ne respectant pas le principe du contradictoire dès lors que le rapport d'enquête de l'administration des douanes ne lui a pas été communiqué, et d'une procédure irrégulière dès lors que l'autorité disciplinaire n'a pas été saisie, qu'elle n'est pas motivée ou à tout le moins, a fait l'objet d'une motivation erronée, et que les faits sur lesquels elle repose ne présentent pas un caractère suffisant de gravité pour justifier une mesure de suspension, et enfin qu'elle présente un caractère disproportionné au regard des faits sur lesquels elle se fonde. Il y a lieu d'écarter l'ensemble des moyens soulevés par M. C... qui ont été précédemment invoqués dans les mêmes termes devant les premiers juges, par adoption des motifs retenus par eux, M. C... ne faisant état devant la Cour d'aucun élément distinct de ceux soumis à leur appréciation.
En ce qui concerne la décision du 19 mars 2012 :
6. En premier lieu, la mesure de suspension est une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service et ne constitue pas une sanction disciplinaire. Il résulte de l'instruction que la décision du 19 mars 2012 prolonge la décision du 10 novembre 2011 qui a été prise suite à la mise en examen et au placement sous contrôle judiciaire de M. C... pour des faits d'association de malfaiteurs en vue de la commission des délits de corruption active et passive par personne dépositaire de l'autorité publique et de trafic d'influence actif et passif par personne dépositaire de l'autorité publique. Par ailleurs, ces faits ont fait l'objet d'un retentissement médiatique tant au niveau national que local. Dans ces conditions, la mesure de prolongation de la suspension ne constitue ni une sanction déguisée, ni une mesure prise en considération de la personne. Dès lors, elle n'est ni au nombre des décisions qui doivent être motivées par application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, ni au nombre de celles pour lesquelles le fonctionnaire intéressé doit être mis à même de consulter son dossier. Il ne peut également être utilement soutenu que cette mesure conservatoire, intervenue dans le cadre d'une procédure administrative et non juridictionnelle, aurait été prise en méconnaissance de l'article 6-2 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. En deuxième lieu, si l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 dispose que l'autorité ayant pouvoir disciplinaire saisit, sans délai, le conseil de discipline, il ne résulte pas de ces dispositions que la décision suspendant un agent de ses fonctions doive être précédée de la saisine du conseil de discipline. Par ailleurs, M. C... contrôleur principal à la direction des opérations douanières de Nice, ainsi qu'il a été rappelé au point précédent, a été mis en examen le 10 novembre 2011 et placé sous contrôle judiciaire. Il a fait l'objet le 10 novembre 2011 d'une première mesure de suspension. Dans ces conditions, en vertu du premier texte visé au point 2. du présent arrêt, le directeur général des douanes et des droits indirects a pu, sans erreur de droit, par la décision attaquée du 19 mars 2012, sans être tenu de saisir le conseil de discipline, prolonger la mesure conservatoire, dès lors qu'à cette date l'intéressé faisait toujours l'objet de poursuites pénales.
8. En dernier lieu, il appartient à l'autorité compétente, lorsqu'elle estime que l'intérêt du service l'exige, d'écarter provisoirement de son emploi un agent public qui se trouve sous le coup de poursuites pénales ou fait l'objet d'une procédure disciplinaire. Il résulte de l'instruction que la mesure de prolongation de suspension a été prise suite à la mise en examen et au placement sous contrôle judiciaire du requérant pour des faits qui ont fait l'objet d'un retentissement médiatique tant national que local. Alors même qu'il a bénéficié par la suite d'une ordonnance de non-lieu dans le cadre de l'information ouverte, eu égard aux fonctions exercées par M. C..., à la gravité des faits reprochés, à la vraisemblance des faits reprochés ainsi qu'aux conséquences de ces faits sur l'image de la direction générale des douanes et des droits indirects, l'administration n'a commis aucune erreur d'appréciation en prolongeant la mesure de suspension dans l'intérêt du service.
9. Il résulte de ce qui précède que les décisions du 10 novembre 2011 et du 19 mars 2012 n'étant entachées d'aucune irrégularité, l'administration n'a commis aucune faute en édictant ces décisions. Il s'ensuit que les conclusions indemnitaires de M. C... résultant de la seule illégalité des actes attaqués doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1700429 du 17 mai 2019 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : La demande de M. C... présentée devant le tribunal administratif de Nice et ses conclusions d'appel incident sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
N° 19MA03125 2