Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 16 août 2019, M. B... E... C..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 12 juillet 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales du 28 mai 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais de justice.
Il soutient que :
- la décision attaquée méconnaît son droit d'être entendu tel que prévu par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- c'est à tort que le préfet a considéré qu'il n'était pas mineur à la date de son arrivée en France, appréciation qui n'appartient qu'au juge judiciaire, et alors que les tests osseux présentent des marges d'incertitude ;
- la décision de fixation du pays de destination est illégale par voie de conséquence de celle de l'obligation de quitter le territoire français ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est disproportionnée en raison de son jeune âge ;
- c'est à tort que le préfet ne lui a pas accordé un délai de départ volontaire.
Par une décision du 25 octobre 2019, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à
M. C....
Une ordonnance du 2 juin 2020 fixe la clôture de l'instruction au 3 août 2020 à 12h00.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 juillet 2020, le préfet des Pyrénées-Orientales demande à la Cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de l'appelant une somme de 1 500 euros au titre des frais de justice.
Le préfet fait valoir que les moyens du requérant sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi du 10 juillet 1991 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant guinéen, est entré irrégulièrement en France en
janvier 2019 selon ses déclarations. S'étant présenté comme mineur, il a été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance. Il relève appel du jugement du 12 juillet 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à faire annuler l'arrêté du 28 mai 2019 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour d'une durée d'un an.
Sur les conclusions d'annulation :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire national :
2. En premier lieu, lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment
au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative en cause aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.
3. M. C... fait valoir qu'il n'a pas été informé par le préfet de ce qu'il était susceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et n'a, de ce fait, pas été mis en mesure, en violation de son droit à être entendu, de présenter ses observations préalablement à l'édiction de cette mesure. Toutefois, M. C... qui a consenti à la réalisation de tests osseux et radiologiques effectués le 27 mai 2019, a pu lors de deux auditions effectuées à cette même date par les services de la Police nationale, au cours desquelles il a été informé de la possibilité de l'édiction d'une mesure d'éloignement du territoire national, contester notamment les résultats de l'expertise osseuse. Il a ainsi été en mesure de présenter des observations avant l'édiction le 28 mai 2019 de l'arrêté contesté. Dès lors, il n'a pas été privé de la garantie que constitue le droit d'être entendu résultant des principes généraux du droit de l'Union européenne.
4. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " selon lequel " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Et, aux termes de l'article 388 du code civil : " Le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis. / Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. / Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le doute profite à l'intéressé (...) ". Il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019 que les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que les personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures. Le législateur a exclu que les conclusions des examens radiologiques puissent constituer l'unique fondement dans la détermination de l'âge de la personne. Il appartient aux autorités administratives et judiciaires d'apprécier la minorité ou la majorité de celle-ci en prenant en compte les autres éléments ayant pu être recueillis, tels que l'évaluation sociale ou les entretiens réalisés par les services de la protection de l'enfance. Si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d'appréciation susvisés et que le doute persiste au vu de l'ensemble des éléments recueillis, ce doute profite à la qualité de mineur de l'intéressé.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal établi le 27 mai 2019 que l'officier de police judiciaire a agi en vertu d'un soit-transmis n°19/030/24 du
30 janvier 2019 émanant de la vice-procureure de la République, près le Tribunal de grande instance de Perpignan, visant à engager une enquête sur la réalité de l'état-civil de M. C..., en faisant procéder, après avoir recueilli au préalable son accord, à un test osseux. Ainsi, contrairement à ce que soutient M. C..., les examens médicaux auxquels il a été soumis sont intervenus sur décision de l'autorité judiciaire. Par suite, M. C... n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que l'arrêté litigieux est entaché d'illégalité au motif de la méconnaissance de l'article 388 du code civil.
7. D'autre part, pour justifier l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de M. C..., le préfet des Pyrénées-Orientales s'est fondé, sur le rapport du service de l'aide à l'enfance du département qui l'a pris en charge dans un premier temps et a procédé à une évaluation de sa minorité et de son état d'isolement, selon lequel l'intéressé serait majeur en raison de sa maturité intellectuelle et de son apparence physique, ainsi que sur les résultats des examens radiographiques effectués le 27 mai 2019 sur le poignet et le coude gauche ainsi que sur les clavicules, réalisés au centre hospitalier de Perpignan, qui ont mis en évidence un âge osseux de l'intéressé supérieur à dix-huit ans. Il ressort de l'avis du médecin qui a procédé au test de l'avant-bras gauche que l'âge osseux de M. C... correspond à 19 ans, et que le scanner des clavicules correspond à une tranche d'âge entre 19 et 23 ans. Par suite, contrairement à ce que soutient le requérant, les marges d'erreurs de ces deux examens lesquelles sont ainsi précisées ne permettent pas d'établir sa minorité. Ensuite, si M. C... a produit un jugement supplétif du tribunal de première instance de Conakry du 20 mars 2019 tenant lieu d'acte de naissance et mentionnant une date de naissance au 25 août 2002, ce document porte des mentions, telles la qualité de policier de M. C... ainsi que son adresse à la date de saisine du tribunal guinéen,
le 19 mars 2019, pour lesquelles il ne donne aucune explication. Par suite, le préfet doit être regardé comme apportant les éléments de nature à établir qu'à la date de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, en janvier 2019, M. C... était majeur, et dès lors qu'à la date de l'arrêté attaqué, il pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire national.
En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
8. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Pour l'application des stipulations et des dispositions précitées, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer que la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger ne l'expose pas à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, de la décision fixant le pays de renvoi, ne peut qu'être écarté.
10. En deuxième lieu, M. C... en se bornant à exposer une situation familiale dégradée liée au décès allégué de ses deux parents et à faire état de l'impossibilité pour sa famille élargie de le prendre en charge, n'apporte aucun élément de nature à établir l'existence de risques actuels et personnels en cas de retour dans son pays d'origine au sens des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
11. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti./ Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) " ;
12. Compte tenu de la durée et des conditions de séjour en France de M. C..., qui n'est pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, et qui, en se bornant à faire état de son jeune âge, ne justifie pas de circonstances humanitaires, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en prenant la mesure d'interdiction de retour sur le territoire en litige, le préfet des Pyrénées-Orientales aurait commis une erreur d'appréciation.
En ce qui concerne la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ du territoire français :
13. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification (....) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente (...). L'autorité administrative peut faire application du deuxième alinéa du présent II lorsque le motif apparaît au cours du délai accordé en application du premier alinéa. (...) ".
14. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est irrégulièrement entré en France, qu'il ne peut justifier disposer de documents de voyage en cours de validité, ou avoir accompli des démarches en vue de régulariser sa situation administrative. Ces circonstances suffisent, à elles seules, à fonder la décision du préfet des Pyrénées-Orientales de refuser d'accorder à
M. C... qui n'offrait pas de garanties de représentations suffisantes, un délai de départ volontaire, alors même qu'il dispose d'un lieu de résidence effective constitué par l'hôtel vers lequel il a été orienté par les services de l'aide à l'enfance.
15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
16. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance soit condamné à verser à M. C... la somme qu'il demande à ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. C... la somme que demande l'Etat au titre des frais de justice.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 octobre 2020.
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N° 19MA03968