Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 30 octobre 2017, M. B... A..., représenté par la Selarl Teissonnière et associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Toulon en date du 30 août 2017 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi et des troubles dans ses conditions d'existence, somme majorée des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- une faible période d'exposition à l'amiante suffit à déclencher une maladie ;
- il n'est pas nécessaire de justifier d'un syndrome anxio-dépressif ;
- il a été exposé durablement à l'inhalation des poussières d'amiante ;
- la carence fautive de l'Etat employeur est établie ;
- ses préjudices sont en lien direct avec cette carence fautive de l'Etat ;
- il a subi un préjudice d'anxiété et des troubles dans se conditions d'existence.
La requête a été communiquée le 7 novembre 2017 au ministre de la défense qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
- la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;
- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;
- le décret n° 96-97 du 7 février 1996 ;
- le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 ;
- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;
- le décret n° 2002-832 du 3 mai 2002 ;
- l'arrêté du 28 février 1998, pris en application de l'article D. 461 25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;
- l'arrêté du 21 décembre 2001 relatif à la liste des professions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;
- l'arrêté du 30 juin 2003 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ;
- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutel,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., de la Selarl Teissonnière et associés, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
1. M. A..., ouvrier d'Etat, a été employé au sein des services de la direction des constructions navales (DCN) de Toulon du 1er septembre 1982 au 12 septembre 2004, en tant que chef de travaux à bord des sous-marins. Il a demandé la réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence résultant des conséquences de son exposition à l'amiante.
2. Par l'ordonnance attaquée, le président du tribunal administratif de Toulon a, sur le fondement des dispositions de l'article R. 222-1, 7° du code de justice administrative, estimé que les demandes d'indemnisation des préjudices allégués par M. A... n'étaient manifestement pas assorties des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. L'intéressé demande l'annulation de cette ordonnance en ce qu'elle a rejeté ses prétentions indemnitaires.
3 La carence fautive de l'Etat-employeur, qui n'a pas pris de mesures de protection particulière contre les poussières d'amiante dans les ateliers de la DCN, est de nature à engager sa responsabilité.
4. La carence fautive de l'Etat dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité a exposé ses personnels à un risque sanitaire grave dès lors qu'il ressort de l'ensemble des données scientifiques accessibles ou produites au dossier que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons, traversent ceux-ci jusqu'à la plèvre, sans que l'organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales. Le bénéfice, pour un travailleur, du double dispositif de l'allocation anticipée et de la surveillance post-professionnelle vaut reconnaissance, pour l'intéressé, de l'existence d'un lien établi de façon statistiquement significative entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie. Cette circonstance suffit ainsi, par elle-même, à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade et par là-même d'une espérance de vie diminuée, et à être ainsi la source d'un préjudice indemnisable en tant que tel au titre du préjudice moral, en relation directe avec la carence fautive de l'Etat.
5. En outre, pour évaluer le montant accordé en réparation de ce poste de préjudice, il appartient au juge de tenir compte, dans chaque espèce, de l'ampleur de l'exposition personnelle du travailleur aux poussières d'amiante. Doivent ainsi notamment être prises en considération, tant les conditions d'exposition, lesquelles dépendent largement de la nature des fonctions de l'intéressé et des circonstances particulières de leur exercice, que la durée de cette exposition.
6. Ainsi, la décision de reconnaissance du droit à cette allocation spécifique de cessation anticipée d'activité vaut reconnaissance pour l'intéressé d'un lien établi entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie, et cette circonstance, qui suffit par elle-même à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade, est la source d'un préjudice indemnisable au titre du préjudice moral.
Sur le préjudice moral :
7. M. A... justifie, par une décision du ministre de la défense en date du 31 janvier 2017 produite pour la première fois en appel, qu'il entre dans le champ d'application de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à compter du 1er septembre 2018. En outre, le relevé de carrière du plan amiante fait mention d'une exposition à l'amiante durant 3 741 jours. Ainsi, il résulte de l'instruction, notamment des pièces produites pour la première fois en appel, que M. A... justifie d'un préjudice d'anxiété lié à l'exercice de ses fonctions au sein de la DCN pendant la période précitée. En conséquence, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de l'intéressé, qui vit dans la crainte de développer subitement une pathologie grave, en fixant le montant de sa réparation à la somme de 10 000 euros, tous intérêts compris à la date du présent arrêt.
Sur le préjudice lié aux troubles dans les conditions d'existence :
8. M. A... soutient qu'il est soumis à des examens médicaux réguliers, il ne justifie pas, notamment par la production d'un scanner thoracique, que la fréquence de ces examens serait génératrice de troubles dans ses conditions d'existence, alors que l'intéressé doit être regardé comme déjà indemnisé de l'anxiété subie à l'occasion de chacun des examens qu'il subit dans le cadre du suivi médical régulier auquel il doit être astreint.
9. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort, que par l'ordonnance attaquée, le président du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de son préjudice lié à son exposition à l'amiante.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du tribunal administratif de Toulon n° 1701949 du 30 août 2017 est annulée.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A... la somme de 10 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A...et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 5 février 2019, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Coutel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 mars 2019.
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N° 17MA04237