Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mai 2014 et 29 décembre 2016, Mme A..., représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 27 mars 2014 ;
2°) d'annuler la décision du 31 janvier 2013 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant-droit de son époux décédé, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
3°) d'enjoindre au ministre de la défense de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires pour que celui-ci procède à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont a souffert M. A... et propose l'indemnisation qui en résulte, augmentée des intérêts à compter de la demande et de leur capitalisation ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort qu'après avoir reconnu qu'il satisfaisait aux conditions posées par les articles 1 et 2 de la loi du 5 janvier 2010, le ministre de la défense a considéré que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenance de la maladie de son époux pouvait être considéré dans les circonstances de l'espèce comme négligeable ;
- la méthode utilisée par le CIVEN pour déterminer le caractère négligeable ou pas du risque ne prend en considération que certains faits et ne rend pas, ainsi, compte de la réalité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2014, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête de Mme A....
Il soutient qu'elle n'est pas fondée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renouf,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., substituant Me E..., représentant Mme A....
1. Considérant que Mme A... fait appel du jugement du 27 mars 2014 du tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 31 janvier 2013 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande d'indemnisation qu'elle a présentée en qualité d'ayant-droit de son époux décédé au titre des dispositions applicables aux victimes des essais nucléaires français ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français modifiée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./ Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes du I de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : " Les demandes d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) " et qu'aux termes du II de ce même article : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret du 11 juin 2010 pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction également applicable au litige : " Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;
4. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable, et la présomption de causalité ne peut être renversée ;
5. Considérant qu'il est constant que le mari de Mme A... a séjourné du 11 août 1962 au 25 février 1964 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres définies par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; qu'il a été ensuite atteint d'un cancer de l'oesophage, maladie qui figure au nombre des maladies radio-induites limitativement énumérées à l'annexe du décret pris en application de l'article 1er de cette loi ; que Mme A... doit, dès lors, bénéficier de l'indemnisation que ces dispositions prévoient, sauf à ce que le ministre de la défense établisse que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de sa maladie est négligeable ;
6. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la méthode retenue par le CIVEN pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires s'appuie sur une pluralité de critères, recommandés par l'Agence internationale de l'énergie atomique, notamment sur les conditions particulières d'exposition de l'intéressé, et qui, pour le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants, prennent en compte, au titre de la contamination externe, les résultats de mesures de surveillance individuelles ou collectives disponibles ou, en leur absence, la dose équivalente à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels pour chaque mois de présence, fondée sur des données de surveillance radiologique atmosphérique permanente effectuée dans les centres d'essais nucléaires et, au titre de la contamination interne, les résultats des mesures individuelles de surveillance, ou en leur absence, les résultats des mesures de surveillance d'individus placés dans des situations comparables ; que ces critères, ainsi qu'il a été dit ci-dessus aux points 2 et 3, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir, le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont souffre l'intéressé ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. A... a d'abord séjourné à Reggane du 11 au 14 août 1962 ; que le dernier essai effectué sur ce site ayant été réalisé le 25 avril 1961, aucune mesure de surveillance de la contamination interne ou externe de M. A... pendant ce séjour n'était nécessaire ; qu'il résulte également de l'instruction que M. A... a séjourné le 14 août 1962 à In Amguel avant de se rendre le 15 août 1962 à l'annexe du Hoggar ; que s'il est constant que le tir souterrain " Béryl " a donné lieu à un échappement significatif de matières radioactives, il est également constant que ce tir a eu lieu le 1er mai 1962, soit 3 mois et demi avant l'arrivée de M. A... à In Amguel, et s'est déroulé à une quarantaine de km de ce site ; qu'il résulte enfin de l'instruction que les essais souterrains " Émeraude " et " Opale ", réalisés respectivement le 18 mars 1963 et le 14 février 1964 n'ont pas donné lieu à l'échappement de matières radioactives et n'ont pas, par suite, justifié de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe de l'intéressé : que si les essais souterrains " Améthyste " et " Rubis ", réalisés respectivement le 30 mars 1963 et le 20 octobre 1963, n'ont en revanche pas été maîtrisés, il résulte de l'instruction que M. A... a porté un premier dosimètre individuel du 18 mars au 6 avril 1963 puis un second du 20 au 25 octobre 1963 et a fait ainsi l'objet de mesures de surveillance appropriées de sa contamination externe éventuelle le jour de ces essais et les quelques jours suivant chacun d'eux ; que, s'agissant du risque de contamination interne, si l'essai " Améthyste " du 30 mars 1963 s'est accompagné d'un déversement de scories et d'émanations de radioéléments volatiles par l'entrée de la galerie, il ressort du rapport parlementaire sur les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 que les scories se sont déposées sur le carreau de la galerie et que les émanations gazeuses ont eu des conséquences limitées ; qu'ainsi, l'examen anthropogammamétrique réalisé le 20 novembre 1963 a constitué en l'espèce une mesure de surveillance appropriée de la contamination interne également suffisante ; qu'ainsi, M. A... a bénéficié de mesures de surveillance de sa contamination tant externe qu'interne suffisantes ;
8. Considérant enfin, que la méthode utilisée par le CIVEN n'étant, ainsi qu'il a été dit, pas utilement contestée, il est constant qu'en application de cette méthode, les résultats des mesures de surveillance dont M. A... a bénéficié, à savoir des relevés de dosimétrie nuls et un examen anthropogammamétrique ayant révélé un résultat normal, permettent de conclure que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue du cancer l'oesophage dont M. A... a souffert 27 années après son séjour au Sahara est négligeable ; que, par suite, c'est à bon droit que le ministre a, par la décision attaquée, rejeté la demande d'indemnisation présentée par Mme A... sur le fondement des dispositions précitées ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande de première instance ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... veuve A...et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 9 février 2017, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Renouf, président assesseur,
- M. Coutel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2017.
N° 14MA02365