Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 20 mai 2018 et le 10 décembre 2018, Mme D... représentée par Me C... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 mars 2018 ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Vitrolles a rejeté sa demande du 2 octobre 2015 tendant au réexamen de sa situation administrative et à l'indemnisation du préjudice subi du fait du comportement fautif de l'administration ;
3°) de condamner cette commune à lui verser la somme de 55 000 euros en réparation des préjudices subis ;
4°) d'enjoindre au maire de la commune de Vitrolles de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident survenu le 21 juillet 2014, de procéder au réexamen de sa situation administrative et de reconstituer sa carrière, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Vitrolles la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
les premiers juges ont dénaturé les faits de l'espèce et ont commis une erreur manifeste d'appréciation s'agissant des circonstances dans lesquelles elle a été amenée à être placée en congés de maladie et s'agissant de ses conditions de travail à compter de 2007 ;
elle a été victime de harcèlement moral et de discrimination syndicale ; en outre, ses arrêts de travail doivent être présumés imputables au service en application de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
elle est en droit d'obtenir la somme de 35 000 euros en réparation de son préjudice financier ainsi que la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Par un mémoire, enregistré le 22 novembre 2018, la commune de Vitrolles, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme D... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les fautes alléguées ne sont pas établies et le lien de causalité avec les préjudices n'est pas démontré.
Par lettre du 13 décembre 2018, la Cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions dirigées contre une prétendue décision de refus de réexamen.
Un mémoire en réponse au moyen d'ordre public enregistré le 17 décembre 2018 et présenté pour Mme D..., n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de Mme Tahiri,
les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
les observations de Me C..., représentant Mme D...,
et les observations de Me A..., substituant Me E..., représentant la commune de Vitrolles.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., née en 1952 et employée dans le cadre d'emploi de rédacteur chef au sein de la commune de Vitrolles, a demandé à cette commune, par courrier du 2 octobre 2015, d'une part un rendez-vous aux fins d'examen des solutions possibles à sa situation administrative et, d'autre part, l'indemnisation des préjudices subis à la suite de faits de harcèlement moral dont elle s'estimait victime. S'étant vu opposer un refus implicite né du silence gardé par l'administration pendant deux mois, Mme D... a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation de la décision rejetant implicitement ses réclamations formulées par la lettre du 2 octobre 2015 et à la condamnation de la commune de Vitrolles à réparer ses préjudices. Elle fait appel du jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 mars 2018 rejetant ses demandes.
Sur les conclusions aux fins d'annulation en ce qui concerne le réexamen de la situation de Mme D... :
2. Il ressort des pièces du dossier que le courrier du 2 octobre 2015 adressé par Mme D... au maire de la commune de Vitrolles se borne à rappeler les différents agissements dont elle s'estimait victime depuis 2007 et à solliciter un rendez-vous aux fins de " trouver la solution la mieux adaptée aux circonstances ". Une telle demande, compte tenu de son imprécision, n'a pas pu faire naître de décision implicite de rejet sur ce point. Par suite, les conclusions en annulation de Mme D... dirigées contre la prétendue décision implicite du maire de Vitrolles refusant le réexamen de sa situation sont sans objet et, comme telles, irrecevables.
Sur les conclusions indemnitaires :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".
4. D'une part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser l'existence de tels agissements. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au regard de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte de l'ensemble des faits qui lui sont soumis. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.
5. Selon Mme D..., le harcèlement moral qu'elle aurait subi depuis 2007 serait avéré par les changements d'affectation dont elle a fait l'objet, à l'initiative de l'administration, par la privation de fonctions relevant de son cadre d'emploi et par son maintien dans sa dernière affectation malgré les avis émis par le médecin de prévention. Elle fait valoir en outre qu'elle a été placée, en raison de ces faits, en congé pour maladie pour syndrome dépressif depuis juillet 2014.
6. Mme D... soutient qu'elle a soudainement été mutée d'office une première fois, alors qu'elle occupait un poste de responsable du service des absences-auxiliaires de mairie, sur un poste de gestionnaire des non titulaires auprès de la direction générale adjointe de l'enfance à compter du 20 juin 2007 par courrier du 18 juin 2007, puis une deuxième fois au conseil municipal à compter du 1er octobre 2009 par courrier du 30 septembre 2009, puis une troisième fois à compter du 1er janvier 2010 en qualité d'assistante de la directrice de la jeunesse sur un poste se révélant comporter des tâches relevant d'un emploi de catégorie C qu'elle a occupé jusqu'à son détachement syndical du 1er janvier 2013 à avril 2014 et qu'elle a réoccupé ensuite. Mme D... verse notamment le rapport annexé à la fiche d'évaluation renseignée le 8 décembre 2010 par la directrice de la jeunesse rappelant que, " affectée en 2007 à la direction générale adjointe à l'enfance, elle s'est retrouvée progressivement sans mission effective, depuis son précédent départ de la direction des ressources humaines. Elle n'a donc plus été évaluée, ni notée durant cette période ". Ce rapport mentionne en outre expressément que la fiche de poste de l'intéressée ne correspond pas aux besoins réels du service et que Mme D... assume à la place " des missions qui ne relèvent pas de son grade ". L'appelante verse également un courrier du médecin du travail du 2 septembre 2014 indiquant que l'intéressée était dans une grande souffrance morale qu'elle motivait par des problèmes relationnels avec sa responsable, la déclarant provisoirement inapte à son poste depuis avril 2014 et préconisant son changement d'affectation. Elle verse enfin les fiches de visite de reprises établies par le médecin de prévention les 2 mars 2017 et 23 mars 2017 mentionnant que son maintien dans son poste entraînait un danger immédiat et qu'elle pourrait être réaffectée à des tâches administratives à mi-temps thérapeutique dans un contexte organisationnel différent. L'ensemble de ces éléments est susceptible de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à l'encontre de Mme D.... La commune de Vitrolles, qui se borne à produire un courrier daté du 3 mars 2015 auquel était joint une annonce de mobilité pour un poste correspondant au cadre d'emploi de Mme D... et lui faisant remarquer qu'elle n'avait pas postulé pour ce poste, n'apporte aucune explication quant aux changements d'affectation successifs dont elle a fait l'objet depuis 2007, quant au maintien de l'intéressée depuis 2010 dans des tâches relevant d'un agent de catégorie C et quant à l'absence de suivi des préconisations la concernant émises par le médecin de prévention lors de ses visites de reprise après congé de maladie. Dans ces conditions, et faute pour la commune d'apporter des éléments convaincants susceptibles d'expliquer la situation dans laquelle s'est trouvée Mme D... depuis 2007 et alors même que cette dernière n'aurait pas déposé plainte ni contesté les décisions dont elle a fait l'objet, celle-ci doit être regardée comme établissant qu'elle a effectivement été victime de harcèlement moral.
7. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre faute invoquée tenant à une discrimination syndicale, laquelle n'est à l'origine d'aucun préjudice distinct, Mme D... a droit à la réparation intégrale de ses préjudices avec lesquels la faute retenue au point 6 présente un lien direct de causalité.
8. Il résulte de l'instruction, notamment des fiches établies en 2014 et 2017 par le médecin de prévention ainsi que du certificat médical de situation du 13 septembre 2016 établi par le médecin psychiatre qui suit habituellement Mme D..., que la dégradation de son état de santé est liée à ses conditions de travail et a rendu nécessaire son placement en congé de maladie ordinaire en juillet et septembre 2014 puis en congé de longue durée à compter du 11 mars 2015. Si Mme D... demande réparation du préjudice constitué par la perte de rémunération qui en a résulté entre juillet 2014 et janvier 2017, il résulte de l'instruction qu'elle a conservé son plein traitement pendant sa période de congé de longue durée et ne peut prétendre qu'à l'indemnisation des pertes de rémunération subies en juillet et septembre 2014, dans le cadre de son placement en congé de maladie ordinaire à mi-traitement, soit pendant 40 jours ainsi que cela ressort du tableau de décompte produit par la commune de Vitrolles et non contesté par Mme D.... Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre en lui allouant la somme de 1 500 euros.
9. Le harcèlement moral dont Mme D... a fait l'objet lui a causé un préjudice moral, lié notamment à ses changements d'affectation et à son déclassement. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant, compte tenu de la durée des agissements dont Mme D... a été victime, à 10 000 euros.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est fondée à demander la condamnation de la commune de Vitrolles à lui verser la somme de 11 500 euros ainsi que l'annulation de la décision implicite de rejet révélée par le silence gardé par la commune de Vitrolles sur sa demande indemnitaire du 2 octobre 2015. Elle est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
12. Mme D..., qui n'a pas demandé dans la présente instance l'annulation de décisions de rejet des demandes dont elle aurait saisi le maire de la commune de Vitrolles afin de voir reconnaître l'imputabilité au service de l'accident survenu le 21 juillet 2014, de procéder au réexamen de sa situation administrative et de reconstituer sa carrière demande que la Cour enjoigne à son employeur d'y procéder. Cependant, le présent arrêt n'implique nullement que la Cour procède à l'injonction demandée dès lors que les seules mesures d'exécution impliquées nécessairement par un arrêt rendu, comme en l'espèce dans le cadre d'un contentieux exclusivement indemnitaire, consistent dans le règlement des sommes qu'il condamne l'administration à verser. Par suite, les conclusions de l'appelante tendant au prononcé de l'injonction sus-évoquée doivent, sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité, être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Il y a lieu de condamner la commune de Vitrolles à verser à Mme D... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la commune de Vitrolles.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 mars 2018 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires de Mme D....
Article 2 : La commune de Vitrolles est condamnée à verser à Mme D... une indemnité de 11 500 euros.
Article 3 : La commune de Vitrolles versera à Mme D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Vitrolles tendant au remboursement de ses frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D...et à la commune de Vitrolles.
Délibéré après l'audience du 18 décembre 2018, où siégeaient :
M. Gonzales, président,
M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
* Mme Tahiri, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 janvier 2019.
N° 18MA02351 2