Procédure devant la Cour :
Par un recours, enregistré le 9 mars 2018, le préfet de l'Aveyron demande à la Cour d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier du 9 février 2018.
Il soutient que :
le recours est recevable ratione temporis ;
le magistrat désigné a dénaturé les faits et commis une erreur de fait ;
il a également commis une erreur de droit ;
il a statué ultra petita en enjoignant le réexamen de la situation de M. E... en tenant compte de la nécessité d'assurer sa protection en tant que mineur isolé.
Par un mémoire, enregistré le 30 octobre 2018, M. E..., représenté par Me A..., demande à la Cour de rejeter le recours du préfet de l'Aveyron et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le préfet de l'Aveyron ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 15 janvier 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 février 2019 à 12 heures.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 janvier 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
le code civil ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de Mme Tahiri,
et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... E..., ressortissant malien, a fait l'objet, par arrêté pris le 5 février 2018 par le préfet de l'Aveyron, d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et d'une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par jugement du 9 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de l'Aveyron de réexaminer la situation de M. E... en tenant compte de la nécessité d'assurer sa protection en tant que mineur isolé et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours. Le préfet de l'Aveyron relève appel de ce jugement.
Sur l'appel du préfet de l'Aveyron :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans (...) ". L'article L. 111-6 du même code prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil qui dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
3. D'autre part, selon les dispositions de l'article R. 611-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est autorisée la création (...) d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé VISABIO (...). / Ce traitement a pour finalité de mieux garantir le droit au séjour des personnes en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, en prévenant les fraudes documentaires et les usurpations d'identité (...) ". Aux termes de l'article R. 611-9 du même code : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé prévu à l'article R. 611-8 sont : / 1° Les images numérisées de la photographie et des empreintes digitales des dix doigts des demandeurs de visas, collectées par les chancelleries consulaires et les consulats français équipés du dispositif requis. (...) / 2° Les données énumérées à l'annexe 6-3 communiquées automatiquement par le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Réseau mondial visas (...) lors de la demande et de la délivrance d'un visa. (...) ". Aux termes de l'article R. 611-10 du même code : " Les données à caractère personnel mentionnées au 1° de l'article R. 611-9 peuvent également être collectées (...) : 1° Par les chancelleries consulaires et les consulats des autres Etats membres de l'Union européenne (...) ". Au nombre, des données énumérées à l'annexe 6-3 susmentionnée figurent celles relatives à l'état civil, notamment le nom, la date et le lieu de naissance et aux documents de voyage du demandeur de visa ainsi que ses identifiants biométriques.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. E... s'est présenté le lundi 5 février 2018 au commissariat de police de Rodez pour solliciter une assistance, se déclarant mineur isolé.
Il était muni uniquement d'un extrait certifié conforme d'un jugement supplétif du 19 décembre 2017 du tribunal de grande instance commune VI du district de Bamako et
d'un extrait d'acte de naissance du 20 décembre 2017 dressé suivant ce jugement supplétif, mentionnant qu'il était né le 30 août 2001 et impliquant qu'il était censé être alors âgé de
16 ans et demi. La consultation par les services de police du fichier Visabio permettait de relever deux correspondances pour des demandes de visa présentées au Sénégal, en 2014 auprès
des autorités consulaires espagnoles, et au Mali, en 2016 auprès des autorités consulaires néerlandaises, sous les identités de Bakary Camara, né le 6 mai 1997 de nationalité gambienne
et de Mamadou Traore, né le 20 mai 1979 de nationalité malienne, impliquant respectivement que l'intéressé aurait été âgé de 20 ans ou de 38 ans à la date de l'arrêté en litige.
Lors de son audition par les services de police, M. E..., qui persistait à soutenir qu'il était mineur, admettait avoir effectué des demandes de visa au Sénégal et au Mali et que sa photographie figurait effectivement sur les demandes de visa qui lui étaient présentées sans être en mesure d'expliquer les dates de naissance et les éléments d'identité qui y étaient associés, pourtant enregistrées au vu de passeports présentés par l'intéressé. Les éléments recueillis sur le fichier informatisé Visabio et les explications lacunaires fournies par M. E... étaient suffisants pour établir le caractère falsifié ou usurpé de l'extrait d'acte de naissance et du jugement supplétif présentés par l'intéressé. Dans ces conditions, le préfet, qui a pu à juste titre considérer que la minorité de M. E... n'était pas établie à la date de l'arrêté en litige, est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier s'est fondé sur la circonstance que l'intéressé devait être regardé comme mineur pour annuler l'arrêté attaqué.
5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... en première instance et en appel.
Sur les autres moyens présentés par M. E... :
En ce qui concerne les moyens communs à l'ensemble des décisions :
6. En premier lieu, l'arrêté en litige est signé par M. D... C..., chef du service de la citoyenneté, notamment en charge à ce titre du bureau de l'immigration et de la nationalité, qui a reçu délégation, par arrêté du 2 janvier 2018 du préfet de l'Aveyron, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture n° 12-2018-002 du 2 janvier 2018, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement du directeur de la citoyenneté et de la légalité, tous les actes et décisions relevant de cette direction. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit être écarté comme manquant en fait.
7. En second lieu, l'arrêté attaqué, qui comporte l'énoncé détaillé des circonstances de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.
En ce qui concerne les moyens propres à la décision obligeant M. E... à quitter le territoire français :
8. En premier lieu, si M. E... soutient que le relevé de ses empreintes aux fins de consultation de la base de données Visabio a été réalisé en dehors de toute procédure, il ressort des pièces du dossier que ce relevé a été effectué, après que l'intéressé s'est présenté spontanément au commissariat de police de Rodez en se déclarant mineur de nationalité malienne, par un officier de police judiciaire dans le cadre de ses missions de vérification d'identité prévues par l'article L. 611-1 et le 7° de l'article R. 611-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile réservant la consultation du fichier Visabio à des agents au nombre desquels figurent les officiers de police judiciaire pour leurs missions de contrôle de la régularité du séjour.
9. En deuxième lieu, il ne ressort ni de la motivation de l'arrêté attaqué, ni des autres pièces du dossier que le préfet de l'Aveyron n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation de M. E... avant de l'obliger à quitter le territoire français.
10. En troisième lieu, pour le même motif tenant à son âge à la date de l'arrêté en litige tel qu'exposé au point 4, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la mesure d'éloignement méconnaît, faute de mise en oeuvre de dispositifs de protection de l'enfance, l'article 20 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles. De même, le moyen tiré de l'irrégularité du placement en garde à vue de M. E... " sous le régime majeur ", en méconnaissance de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
11. En quatrième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 4 et contrairement à ce qui est soutenu, le préfet de l'Aveyron pouvait, sans méconnaitre l'article 47 du code civil, se fonder sur les éléments recueillis sur Visabio ainsi que sur les explications apportées par l'intéressé sans devoir préalablement effectuer des diligences complémentaires, pour estimer que la minorité de M. E..., à la date à laquelle il a ordonné la mesure en litige, n'était pas établie.
12. Enfin, le moyen tiré de ce que l'examen osseux effectué le 9 février 2018 sur M. E... n'a pas été réalisé conformément à l'article 388 du code civil est inopérant, l'arrêté en litige n'ayant pas été pris au vu de cet examen.
13. Il résulte de ce qui précède que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
14. Il résulte de ce qui a été dit au point 13 que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
15. Contrairement à ce que soutient M. E..., la décision mentionnée ci-dessus fixe sans ambiguïté le pays de destination en précisant qu'il sera éloigné à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout autre pays dans lequel il serait légalement admissible.
16. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Aveyron est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 5 février 2018 et lui a enjoint de statuer à nouveau sur la situation de M. E....
Sur les frais liés à l'instance d'appel :
17. Les dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement au conseil de M. E... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1800528 du 9 février 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif de Montpellier et ses conclusions devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., à Me A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aveyron.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2019, où siégeaient :
Mme Helmlinger, présidente,
M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
* Mme Tahiri, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 mai 2019.
N° 18MA01135 2