Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juin 2019, la société la Traverse Marijo, représentée par la SCP Rey-B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 21 mai 2019 ;
2°) de rejeter la demande du préfet de Vaucluse devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande du préfet de Vaucluse devant le tribunal était irrecevable faute de notification du recours gracieux et contentieux, dans la mesure où il conteste une décision purement confirmative et où en tout état de cause le déféré était tardif ;
- elle est titulaire d'un certificat d'urbanisme opérationnel du 16 décembre 2017 que le préfet n'a jamais contesté ;
- le projet est conforme aux articles 2 NA 1 et 2 NA 2 du règlement du plan d'occupation des sols ;
- en tout état de cause, une régularisation était possible sur le fondement des règles applicables à la date de la délivrance du certificat d'urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2019, le préfet de Vaucluse conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- sa demande était recevable, ayant notifié à l'appelante tant son recours gracieux que son recours contentieux et dans la mesure où l'acte attaqué fait grief ;
- les autres moyens soulevés par la société "La Traverse Marijo " ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande du préfet de Vaucluse d'annulation de l'arrêté du 3 avril 2018, le recours gracieux exercé par ledit préfet à son encontre daté du 6 juin 2018 mais posté le 11 suivant ayant été réceptionné en mairie de Caumont-sur-Durance le 12 juin 2018, soit plus de deux mois après la transmission en préfecture, le 10 avril 2018, de l'arrêté en litige.
Par un mémoire, enregistré le 12 février 2021, le préfet de Vaucluse a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public lesquelles ont été communiquées.
Par un mémoire, enregistré le 15 février 2021, la société " La Traverse Marijo " a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la SARL Traverse Marijo.
Considérant ce qui suit :
1. La société "La Traverse Marijo " fait appel du jugement du 21 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé, à la demande du préfet de Vaucluse, l'arrêté du 3 avril 2018 par lequel le maire de Caumont-sur-Durance a, d'une part, retiré le refus qu'il lui avait opposé par arrêté du 11 décembre 2017 et d'autre part lui a délivré un permis de construire valant division en vue de l'édification d'une " résidence pour séniors non dépendants " de 52 villas sur un terrain situé en zone 2 NA au plan d'occupation des sols.
Sur la recevabilité de la demande du préfet de Vaucluse devant le tribunal :
2. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 424-2 du code de l'urbanisme, le permis de construire est tacitement accordé si aucune décision n'est notifiée au demandeur à l'issue du délai d'instruction et selon l'article R. 423-19 du même code le délai d'instruction court à compter de la réception en mairie d'un dossier complet. L'article R. 423-23 dudit code dispose que : " Le délai d'instruction de droit commun est de : / (...) b) Deux mois pour les demandes (...) de permis de construire portant sur une maison individuelle, au sens du titre III du livre II du code de la construction et de l'habitation, ou ses annexes ; / c) Trois mois pour les autres demandes de permis de construire (...) ". L'article R. 424-1 du même code précise que : " A défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III ci-dessus, le silence gardé par l'autorité compétente vaut, selon les cas : (...) b) Permis de construire (...) tacite. ". En vertu de l'article R. 424-10 du même code, la décision accordant ou refusant le permis est notifiée au demandeur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal ou par transmission électronique.
3. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la société "La Traverse Marijo " a déposé son dossier de demande de permis de construire le 17 septembre 2017 auprès de la mairie de Caumont-sur-Durance, ainsi qu'en atteste le récépissé de dépôt de demande adressé par la commune au pétitionnaire, récépissé qui fixait par ailleurs le délai d'instruction de la demande à trois mois, conformément aux dispositions de droit commun de l'article R. 423-23 du code de l'urbanisme. Si, par arrêté du 11 décembre 2017 suivant le maire a refusé de délivrer à ladite société l'autorisation ainsi sollicitée, il ressort des pièces du dossier et alors que la charge de la preuve repose sur le préfet de Vaucluse, que cet arrêté n'a pas été notifié à la société dans le délai d'instruction. Il suit de là que la requérante est devenue titulaire d'un permis de construire tacite le 18 décembre 2017 à 00H01 sans que le préfet ne puisse utilement se prévaloir de ce que la société a exercé un recours gracieux à l'encontre de l'arrêté du 11 décembre 2017 réceptionné en mairie le 12 février 2018 dans lequel elle n'évoque pas un défaut de notification dudit arrêté de refus. Dans ces conditions, l'arrêté du 11 décembre 2017 portant refus de délivrance du permis demandé s'analyse en un retrait du permis tacitement délivré alors même qu'il n'a jamais été notifié à la société pétitionnaire. Par suite, l'arrêté en litige du 3 avril 2018 vaut retrait l'arrêté du 11 décembre 2017 portant lui-même retrait du permis tacitement délivré et délivrance du permis de construire sollicité le 15 septembre 2017. Par voie de conséquence, la société "La Traverse Marijo " n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté du 3 avril 2018 constitue une décision purement confirmative du permis de construire tacitement obtenu insusceptible de recours contentieux.
4. En deuxième lieu, il résulte des article L. 2131-1, L. 2131-2 et L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales que le préfet peut déférer les actes des collectivités territoriales qui lui sont transmis, parmi lesquels figurent les permis de construire, dans un délai de deux mois à compter de leur transmission.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 3 avril 2018 a été reçu en préfecture le 12 suivant. Le préfet de Vaucluse a formé contre cet arrêté un recours gracieux daté du 6 juin 2018 et réceptionné le 12 suivant en mairie de Caumont-sur-Durance. Par suite, ce recours gracieux a été exercé avant l'expiration du délai de recours contentieux. Il suit de là qu'il a été de nature à interrompre ledit délai. Par ailleurs, ledit recours gracieux ayant été implicitement rejeté, la requête du préfet de Vaucluse enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nîmes le 12 octobre 2018 était recevable.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme : " En cas de déféré du préfet (...) d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet (...) est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. (...) La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. / La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux ".
7. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, le recours gracieux exercé par le préfet de Vaucluse auprès du maire de Caumont-sur-Durance à l'encontre de l'arrêté en litige par lettre du 6 juin 2018 a été notifié le jour même à la société requérante et que, d'autre part, copie adressée la société de son recours contentieux enregistré au greffe au tribunal administratif de Nîmes a, en tout état de cause, été réceptionnée par l'intéressée le 19 suivant. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir tirée du défaut de respect des prescriptions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme doit être écartée.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
8. En premier lieu, la société appelante fait valoir qu'un certificat d'urbanisme opérationnel a été délivré le 22 mars 2016 en vue de la réalisation du projet autorisé par l'arrêté, lequel certificat n'a pas été contesté par le préfet de Vaucluse. Toutefois, les dispositions de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme confèrent à la personne à laquelle un certificat d'urbanisme a été délivré un droit à voir sa demande de permis de construire déposée durant les dix-huit mois qui suivent, examinée au regard des dispositions d'urbanisme mentionnées dans ce certificat mais n'ont toutefois pas pour effet de justifier la délivrance par l'autorité administrative d'un permis de construire fondé sur une appréciation erronée de l'application de ces dispositions.
9. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est situé principalement dans le secteur 2NAi1 de la zone 2NA, et secondairement en zone NC dont une partie dans un secteur Nci1. Aux termes du préambule du règlement de la zone 2 NA du plan d'occupation des sols de Caumont-sur-Durance, applicable au projet litigieux, cette zone est définie comme " une zone d'urbanisation à court terme réservée aux activités industrielles, artisanales ou commerciales dans laquelle l'habitat est limité aux logements de fonction. / Elle comprend un secteur 2 Nai4 à risque d'inondabilité faible, où des prescriptions de sécurité sont imposées ". En vertu du paragraphe 2.2 de l'article 2 NA 1 du règlement du plan d'occupation des sols de Caumont-sur-Durance, applicable en l'espèce, les constructions autorisées par les paragraphes 1 et 2.1 du même article sont admises en secteur 2 Nai4, sous réserve du respect de conditions propres à ce secteur exposé à un risque d'inondation. Le paragraphe 1 de cet article 2 NA 1 prévoit que peuvent être autorisées les constructions à usage " - d'hébergement / - de commerce ou d'artisanat / - de bureaux ou de services / - industriel ". Son paragraphe 2.1 dispose que peuvent être autorisées, sous conditions, " les constructions à usage d'habitation, à condition qu'elles soient destinées aux personnes dont la présence constante est nécessaire pour assurer la gestion ou le gardiennage des établissements, dans la limite d'un logement par établissement implanté dans la zone ". Selon l'article 2 NA 2 du même règlement, la construction de bâtiments à usage d'habitation autres que ceux visés à l'article 2 NA 1 est interdite. Par ailleurs, seule l'extension des constructions existantes à usage d'habitation est autorisée en zone NC.
10. Aux termes de l'article R. 151-27 du code de l'urbanisme : " Les destinations de constructions sont : (...) 2° Habitation (...) ". L'article R. 151-28 du même code dispose que : " Les destinations de constructions prévues à l'article R. 151-27 comprennent les sous-destinations suivantes : (...) 2° Pour la destination " habitation " : logement, hébergement (...)".
11. Le projet litigieux consiste en l'édification de cinquante-deux logements individuels destinés à être vendus à des personnes âgées non dépendantes. La circonstance que la résidence comporte des aménagements destinés aux personnes à mobilité réduite et soit conçue de manière à faciliter les relations sociales ne suffit pas à lui donner le caractère d'un ensemble destiné à l'hébergement au sens au sens de l'article 2NAi4 du plan d'occupation des sols alors qu'elle n'abrite ou ne comporte aucune activité industrielle, artisanale ou commerciale, et de l'article R. 151-28 du code de l'urbanisme. Dès lors, ce projet doit être regardé comme portant sur des constructions nouvelles à usage d'habitation qui ne sont autorisées ni en zone 2NA, ni en zone NC.
Sur l'application des dispositions des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :
12. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire (...) estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux (...) ". L'article L. 600-5-1 du même code dispose que : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire (...) estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux (...) ".
13. Compte tenu du classement du terrain d'assiette du projet en zone agricole du plan local d'urbanisme de Caumont-sur-Durance actuellement en vigueur, l'illégalité relevée au point 11, qui affecte la totalité du projet litigieux, n'est pas susceptible d'être régularisée en application des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ainsi que l'ont estimé les premiers juges.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société "La Traverse Marijo " n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a, à la demande du préfet de Vaucluse, annulé l'arrêté du 3 avril 2018.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à la société "La Traverse Marijo " la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société "La Traverse Marijo " est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société "La Traverse Marijo " et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 16 février 2021, où siégeaient :
- M. Chazan, président,
- Mme A..., président assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2021.
N° 19MA02707 2