Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 janvier 2020 et par un mémoire complémentaire enregistré le 24 avril 2020, M. B..., représenté par la SCP d'avocats Bourglan-Damamme-E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 novembre 2019 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 février 2019 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour lui permettant de travailler dans le délai de 15 jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, qui sera versée à Me E... en contrepartie de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le certificat médical qu'il a produit le 11 octobre 2019, postérieurement à la réouverture implicite d'instruction, n'a pas été communiqué au préfet, n'est pas visé et que les premiers juges n'en ont pas tenu compte en méconnaissance du principe du contradictoire.
Sur le refus de renouvellement de son titre de séjour :
- ce refus méconnaît le 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;
- ce refus de titre de séjour est entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
Sur la décision portant délai de départ volontaire à 30 jours :
- elle est insuffisamment motivée.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- par la voie de l'exception d'illégalité du titre de séjour, cette décision d'éloignement est dépourvue de base légale ;
- il ne peut pas faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application du 10°de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette mesure d'éloignement est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
Par un mémoire enregistré le 27 février 2020, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 13 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me A... représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité algérienne, a demandé au préfet des Bouches-du-Rhône le renouvellement du certificat de résidence qui lui avait été délivré sur le fondement du 7 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par l'arrêté en litige du 6 février 2019, le préfet a rejeté cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par le jugement dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. L'article 6 de l'accord franco-algérien prévoit que : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...) 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays. (...) ". Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande en raison de son état de santé, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser de délivrer ou de renouveler le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a souffert d'un méningiome frontal qui a été retiré lors d'une opération en 2016 suivie par des séances de radiothérapie et qu'il souffre aussi de troubles psychiatriques lourds consistant notamment en des hallucinations et en des délires de persécution. M. B... a bénéficié d'un certificat de résidence, sur le fondement du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, valable du 7 septembre 2016 au 6 septembre 2017, après avis favorable du médecin inspecteur de l'agence régionale de santé, qui a été renouvelé jusqu'au 20 septembre 2018 après avis favorable des médecins de l'OFII du 21 mars 2018, lesquels estimaient alors que l'état de santé de M. B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne pouvait pas bénéficier d'un traitement approprié en Algérie. Le collège des médecins de l'OFII dans son avis du 8 novembre 2018 a en revanche estimé que si l'état de santé de M. B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, le requérant pouvait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. Pour justifier le changement d'avis des différents médecins qui se sont prononcés sur la possibilité pour M. B... de bénéficier désormais d'un traitement approprié en Algérie, le préfet soutient que le suivi neurologique du requérant se résume, après opération, à une imagerie médicale de contrôle du résidu de ce méningiome tous les six mois, ainsi que l'indique le certificat médical de l'assistance publique-hôpitaux de Marseille du 27 septembre 2018 et que cette IRM peut être réalisée en Algérie. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant pourrait bénéficier, dans des conditions satisfaisantes, d'un suivi régulier par IRM du résidu de ce méningiome. En outre, il ressort notamment du certificat médical du 18 février 2019 de son médecin traitant que le requérant a conservé des séquelles du retrait chirurgical de ce méningiome frontal consistant notamment en des épisodes de confusion et de syndromes épileptiques graves à répétition, qu'il doit poursuivre son suivi psychiatrique ainsi que son traitement médical et que le suivi médical qui s'impose ne peut être réalisé qu'en France. Le service de neurochirurgie de l'assistance publique-hôpitaux de Marseille, dans son certificat médical du 5 avril 2019, précise que le patient doit continuer à prendre son traitement anti-épileptique par Keppra 500. En outre, il ressort des pièces du dossier et notamment du certificat médical du 22 février 2019 du psychiatre qui suit M. B... depuis novembre 2017 pour symptômes psychotiques, que l'état de santé de ce dernier nécessite des soins psychiatriques réguliers et à long terme, ainsi qu'un traitement médicamenteux combinant un neuroleptique, un hypnotique, un antidépresseur, un antiépileptique, un antiparkinsonien, traitement qui est selon ce médecin indisponible en Algérie. Si le préfet soutient sur ce point qu'une substitution entre les médicaments disponibles en France et ceux équivalents disponibles en Algérie et remboursés par la sécurité sociale algérienne nécessaires au suivi médical de M. B... serait possible, il ressort en tout état de cause du certificat du médical, non contesté par le préfet, du 21 avril 2020 du médecin qui a suivi le requérant dans le cadre d'une hospitalisation complète de psychiatrie adulte à la clinique de l'Emeraude à Marseille après une hospitalisation en urgence à la fin de l'année 2019, que la lente mise au point depuis 2016 de la thérapeutique médicamenteuse du requérant combinant un délicat équilibre de substances psychotropes est le gage de sa rémission clinique et que toute substitution de ce traitement pourrait déstabiliser son état. Par ailleurs, il ressort aussi des pièces du dossier que le requérant, accompagné par une équipe pluridisciplinaire d'un service d'accompagnement médico-social et désormais locataire d'un bail indépendant, connait une stabilisation de sa situation sociale, ainsi qu'un début d'autonomie qui est nécessaire à l'amélioration de son état de santé psychiatrique et dont il ne pourrait pas bénéficier dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet n'établit pas que M. B... pouvait bénéficier, à la date de la décision en litige, d'un traitement et d'un suivi appropriés en Algérie au sens de l'article 6 7° de l'accord franco-algérien. Dans les conditions particulières de l'espèce, M. B... est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le refus de renouveler son titre de séjour ne méconnaissait pas l'article 6 7° de l'accord franco-algérien.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner ni la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Il est, dès lors, fondé à demander tant l'annulation de ce jugement que de l'arrêté en litige du 6 février 2019 du préfet des Bouches-du-Rhône portant refus de renouvellement de son certificat de résidence. Par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français en litige et la décision fixant le pays de destination sont dépourvues de base légale et doivent, dès lors, être annulées.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
7. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date de la présente décision, des éléments de droit ou de fait nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose un refus à la demande de M. B..., le présent arrêt, qui annule la décision de refus de renouveler le titre de séjour délivré au requérant, implique nécessairement, eu égard au motif sur lequel il se fonde, que le préfet renouvelle le certificat de résidence d'une durée d'un an sollicité par le requérant sur le fondement de l'article 6 7° de l'accord franco-algérien. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer ce certificat de résidence dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me E..., avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais engagés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 5 novembre 2019 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 6 février 2019 du préfet des Bouches-du-Rhône est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. B... un certificat de résidence valable un an dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me E... la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre de l'intérieur, au préfet des Bouches-du-Rhône et à Me E....
Copie en sera adressée au Procureur de la république près du tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2020, où siégeaient :
- M. Chazan, président de chambre,
- Mme D..., première conseillère,
- M. Mouret, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2020.
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N° 20MA00263