Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 26 août 2016 et par un mémoire complémentaire, enregistré le 12 décembre 2017, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er juillet 2016 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de condamner l'institut de recherche et de développement à lui verser une somme ramenée à 56 995,87 euros assortie des intérêts et les intérêts étant capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'institut de recherche et de développement la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il ne peut être opposé l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement définitif du 18 janvier 2012 pour rejeter ses conclusions en réparation de son préjudice moral résultant de l'illégalité de la décision fautive du 16 novembre 2009 de l'institut de recherche ;
- les faits antérieurs au jugement du 18 janvier 2012 peuvent être à nouveau invoqués car les préjudices subis résultent d'un même processus disciplinaire s'étendant de 2009 à 2014 ;
- son préjudice financier résulte directement de l'illégalité des deux exclusions temporaires de fonctions font elle a fait l'objet par décisions des 16 novembre 2009 et 26 avril 2012 ;
- la perte de la majoration de sa prime semestrielle de participation à la recherche scientifique en 2009 doit être indemnisée par la somme de 1 995,87 euros ;
- les troubles dans les conditions d'existence subis doivent être réparés par une somme portée à 5 000 euros ;
- elle a subi des troubles dans les conditions d'exercice de ses fonctions eu égard au harcèlement et à la discrimination dont elle a fait l'objet de la part de ses supérieurs hiérarchiques, et notamment à des conditions dégradantes de travail, au non-renouvellement de son mandat de représentation de l'administration au comité technique paritaire, au blocage de ses demandes de mobilité interne et externe, au retard à valider ses congés en 2010 et au lancement en 2013 d'une enquête administrative à son encontre ;
- ces troubles, en lien direct avec la faute de l'administration, seront réparés par l'allocation d'une somme de 40 000 euros ;
- son préjudice de carrière lié à la perte de chance d'obtenir une promotion donnera lieu à l'allocation d'une somme de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2017, l'institut de recherche pour le développement (IRD), représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 1er du jugement en tant qu'il l'a condamné à verser la somme de 1 000 euros à la requérante et, en tout état de cause, à ce que soit mis à la charge de cette dernière la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- à titre principal, la requête est irrecevable eu égard à l'autorité de la chose jugée ;
- à titre subsidiaire, les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2002-69 du 15 janvier 2002 fixant le régime de la prime de participation à la recherche scientifique dans certains établissements publics à caractère scientifique et technologique ;
- le décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 fixant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des établissements publics scientifiques et technologiques ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carassic,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me B... représentant l'IRD.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ingénieur d'études de 2ème classe, a été affectée sur l'emploi d'administrateur adjoint du centre de l'institut de recherche pour le développement (IRD) de Montpellier à compter du 1er mai 2008. Par une première décision du 16 novembre 2009, l'IRD l'a sanctionnée d'une exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de quinze jours assortie d'un sursis de trois jours. La requérante, s'estimant harcelée par sa hiérarchie sur son lieu de travail, a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle. Mme D... a contesté devant le tribunal administratif de Montpellier cette sanction d'exclusion et le refus de lui attribuer la protection fonctionnelle et a présenté des conclusions indemnitaires pour la réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de ces décisions et d'une situation de harcèlement moral. Par un jugement définitif en date du 18 janvier 2012, le tribunal a annulé la sanction prise le 16 novembre 2009 pour insuffisance de motivation et constatant l'absence de harcèlement moral et d'illégalité de la sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions, a rejeté les conclusions dirigées contre le refus d'attribution de la protection fonctionnelle, et les demandes indemnitaires présentées par Mme D.... Le 26 avril 2012, prenant acte du jugement du 8 janvier 2012, l'IRD a pris une nouvelle décision de sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quinze jours assortie d'un sursis de trois jours. Par jugement du 15 avril 2014, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cette décision du 26 avril 2012 au motif que les seuls faits établis par les pièces du dossier ne caractérisaient pas une faute disciplinaire. Estimant qu'elle subissait des préjudices du fait de la seconde sanction disciplinaire illégale du 26 avril 2012, Mme D... a présenté à l'IRD une demande indemnitaire. Par décision du 8 septembre 2014, l'IRD lui a attribué une indemnité exceptionnelle destinée à compenser les pertes de revenus et autres émoluments et indemnités afférentes à l'exercice de ses fonctions durant la période d'exclusion d'un montant de 878,29 euros. Mme D... a alors demandé au tribunal administratif de Montpellier la condamnation de l'IRD à lui verser une somme de 59 940,39 euros en réparation des préjudices subis. Par jugement attaqué du 1er juillet 2016, les premiers juges ont, par l'article 1er de ce jugement, condamné l'IRD à verser à Mme D... la somme de 1 000 euros assortie des intérêts et les intérêts étant capitalisés en réparation de son préjudice moral et, par son article 3, rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Mme D... relève appel du jugement en tant qu'il a limité à 1 000 euros la réparation totale de ses préjudices. L'IRD demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation de l'article 1er du jugement en tant qu'il l'a condamné à verser cette somme de 1 000 euros à Mme D....
Sur l'exception de chose jugée opposée par l'IRD :
2. Aux termes de l'article 1351 du code civil : " L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. ". L'autorité de chose jugée dont est revêtu un jugement s'attache à son dispositif et aux points qu'il a tranchés implicitement ou explicitement et qui viennent au soutien de son dispositif.
En ce qui concerne le jugement du 18 janvier 2012 :
3. Par un jugement définitif n° 1000191, 1001104 du 18 janvier 2012, le tribunal administratif de Montpellier a estimé que la requérante n'établissait pas avoir été victime d'un harcèlement moral, que les faits reprochés étaient de nature à justifier la sanction du 16 novembre 2009 du directeur de l'IRD de son exclusion temporaire de fonctions et a rejeté, au fond, par voie de conséquence, les conclusions indemnitaires de Mme D... tendant à la réparation des préjudices qui en résulteraient. La demande d'indemnisation des préjudices causés par un même évènement relèvent d'une même cause juridique si elles sont fondées sur une faute que l'administration aurait commise. Ainsi, l'autorité relative de la chose jugée dont est revêtu ce jugement du 18 janvier 2012 s'oppose à ce que Mme D... puisse introduire une nouvelle action indemnitaire à l'encontre de l'IRD en vue d'obtenir la réparation des mêmes préjudices résultant de cette sanction prise le 16 novembre 2009 et de faits de harcèlement moral pendant la même période que celle ayant fait l'objet du jugement du 18 janvier 2012. Dès lors, l'IRD est fondé à soutenir que l'autorité de la chose jugée qui s'attache tant aux motifs qu'au dispositif de ce jugement s'oppose à ce que la requérante puisse réclamer, à nouveau, une indemnisation au titre, d'une part, d'un harcèlement moral pendant la période prise en compte par le tribunal administratif et, d'autre part, au titre de la sanction d'exclusion dont elle a fait l'objet le 16 novembre 2009.
En ce qui concerne le jugement du 15 avril 2014 :
4. Par un jugement définitif du 15 avril 2014, le tribunal administratif de Montpellier a estimé que les faits reprochés à la requérante n'étaient pas constitutifs d'une faute disciplinaire et a annulé la nouvelle sanction du 26 avril 2012 du directeur de l'IRD d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quinze jours assortie d'un sursis. Ce jugement d'annulation pour excès de pouvoir est revêtu de l'autorité absolue de chose jugée. La circonstance que les premiers juges aient mentionné dans ce jugement que la suspension des fonctions d'encadrement de Mme D.... et son changement d'affectation ont été prononcés à bon droit dans l'intérêt du service ne constitue pas un motif venant au soutien nécessaire à l'annulation de la sanction prononcée dans le dispositif de ce jugement. Les premiers juges, qui n'étaient pas saisis de conclusions indemnitaires, ne se sont pas prononcés sur une demande d'indemnisation de Mme D.... Par suite, l'IRD n'est pas fondé à soutenir que l'autorité de la chose jugée ferait obstacle à ce que la requérante puisse demander l'indemnisation des préjudices résultant de l'illégalité fautive de cette sanction du 26 avril 2012.
Sur la responsabilité de l'IRD et l'indemnisation des préjudices :
5. En premier lieu, l'illégalité de la sanction disciplinaire du 26 avril 2012, constatée par le jugement du 15 avril 2014, revêtu sur ce point de l'autorité absolue de la chose jugée, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'IRD.
6. En second lieu, et d'une part, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
7. D'autre part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
En ce qui concerne le préjudice financier :
8. L'article 3 du décret du 15 janvier 2002 prévoit que la prime de participation à la recherche peut être majorée, notamment, à titre de compensation des sujétions, astreintes, interventions au cours des astreintes et contraintes particulières de travail. Un agent n'a pas de droit acquis à la majoration d'une prime. Mme D... n'allègue pas que son activité professionnelle aurait exigé en 2013 des contraintes particulières de nature à lui ouvrir droit au versement de la majoration de cette prime. Par suite, à défaut d'établir avoir eu une chance sérieuse de bénéficier de la majoration de cette prime, alors même que son travail a été évalué favorablement par la directrice de l'UMR Espace-Dév et que ce supérieur hiérarchique a proposé que la requérante puisse en bénéficier au titre du premier semestre 2013, la réalité du préjudice financier invoqué n'est pas établie. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'indemnisation de ce chef de préjudice.
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'exercice de ses fonctions :
9. En premier lieu et, d'une part, l'article 89 du décret du 30 décembre 1983 prévoit que peuvent accéder, au choix, au grade d'ingénieur d'études de 1ère classe les ingénieurs d'études qui ont été inscrits par le directeur général de l'établissement, sur proposition des directeurs d'unités de recherche et des chefs de service, après avis de la commission administrative paritaire, sur un tableau d'avancement annuel et que pour pouvoir être inscrits au tableau d'avancement, les ingénieurs d'études de 2ème classe doivent avoir accompli au moins un an au 8ème échelon et justifier d'au moins neuf années de services effectifs en catégorie A. D'autre part, l'article 66 de ce décret prévoit que les ingénieurs de recherche sont recrutés, dans chaque établissement public scientifique et technologique, par concours et au choix et que, dans ce dernier cas, le fonctionnaire appartenant notamment au corps des ingénieurs d'études doit justifier de neuf ans de services publics dont trois ans au moins en catégorie A, inscrits sur une liste d'aptitude annuelle établie, sur proposition des directeurs d'unités de recherche et des chefs de service, dans la limite des emplois à pourvoir.
10. Il est constant que Mme D... n'a rempli les conditions d'ancienneté de service prévues par ces deux articles qu'en 2012, pour une promotion au grade d'ingénieur d'études de 1ère classe en 2013 ou pour un recrutement au choix en qualité d'ingénieur de recherche en 2013. Elle a été proposée par son chef de service pour ces deux promotions dès qu'elle a rempli ces conditions. Eu égard au nombre très limité de postes offerts à cet avancement au choix ou à ce recrutement au choix par rapport au nombre de candidats, la circonstance que ses candidatures n'ont pas été retenues dès l'année 2013 n'est pas susceptible de faire présumer une situation de harcèlement moral de ses supérieurs hiérarchiques à son encontre. La réalité du préjudice de carrière invoqué n'est ainsi pas établie. Par ailleurs, la requérante ne démontre pas qu'elle aurait perdu une chance d'avoir obtenu une promotion et à demander l'indemnisation de ce chef de préjudice.
11. En deuxième lieu, la requérante ne conteste pas qu'elle a rempli les conditions pour bénéficier de l'avancement accéléré d'échelon prévu par l'article 91 du décret du 30 décembre 1983 et limité à un sixième de l'effectif du corps des ingénieurs d'études à compter de l'année 2013. Elle a été proposée par son supérieur hiérarchique dès 2013. Compte tenu de la limite de l'effectif du corps pouvant bénéficier de la réduction de la durée moyenne d'échelon, la circonstance que la requérante n'a pas bénéficié dès 2013 de cet avancement accéléré d'échelon ne permet pas de faire présumer un harcèlement moral ou une discrimination à son encontre. Par suite, la requérante n'établit pas avoir subi un préjudice de ce fait.
12. En troisième lieu, la mise en place par l'IRD d'une enquête administrative à la rentrée 2013 à son encontre résulte d'un signalement de la part d'un agent affecté dans le service dirigé par la requérante faisant état d'un harcèlement moral qu'il subissait de la part de la requérante. Dans ces conditions, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que le lancement de cette enquête par sa hiérarchie est de nature à faire présumer un acte de harcèlement à son encontre.
13. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à demander l'indemnisation du préjudice subi au titre des troubles allégués dans les conditions d'exercice de ses fonctions.
En ce qui concerne le préjudice moral :
14. La requérante a subi du fait de l'illégalité fautive de la sanction du 26 avril 2012 du directeur de l'IRD et, contrairement à ce que soutient l'IRD par la voie de l'appel incident, un préjudice moral. Les premiers juges n'ont pas fait une appréciation insuffisante de ce préjudice en allouant à Mme D... la somme de 1 000 euros en réparation de ce chef de préjudice.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice moral subi. L'IRD n'est pas fondé à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à indemniser le préjudice moral subi par la requérante.
Sur les frais liés au litige :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il ne paraît pas inéquitable de laisser à chacune des parties à l'instance la charge des frais qu'elles ont exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : L'appel incident de l'IRD et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D...et à l'institut de recherche pour le développement.
Délibéré après l'audience du 20 avril 2018, où siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail, président assesseur,
- Mme Carassic, première conseillère.
Lu en audience publique, le 9 mai 2018.
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N° 16MA03517