Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2017, M. C..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 22 septembre 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 juillet 2015 par lequel la Garde des sceaux, ministre de la justice, l'a muté dans l'intérêt du service au service pénitentiaire d'insertion et probation de l'Aude à l'antenne de Narbonne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement méconnaît l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- la mesure de mutation d'office, qui révèle l'intention de son auteur de lui infliger une sanction disciplinaire pour manquement au devoir de réserve ainsi que le relèvent les premiers juges et porte atteinte à ses obligations statutaires en ce qu'il perd l'attribution de primes auxquelles il pouvait prétendre, constitue une sanction disciplinaire déguisée ;
- en l'absence d'information de son droit à être assisté par un avocat et de la consultation de sa situation par le conseil de discipline, la mesure méconnaît l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 ;
- aucun manquement au devoir de réserve ne peut lui être reproché dès lors que ce devoir s'amenuise lorsque l'administration est à l'origine de la situation l'ayant affecté et au demeurant, il s'est borné à porter à la connaissance du public les termes d'une décision de justice rendue et, en conséquence, la mesure de mutation n'est pas justifiée ;
- à titre subsidiaire, les motifs à l'origine de la mesure qui sont étrangers au fonctionnement service, sont d'ordre personnel en ce qu'ils découlent des propos qu'il a tenus en raison du comportement de l'administration qui a initié des poursuites pénales à son encontre ;
- cette mesure lui faisant perdre un avantage est dépourvue de considérations de fait et méconnaît ainsi les articles 1er et 3 de la loi du 11 juillet 1979 ;
- la mesure en litige, prise en considération de sa personne, est irrégulière en ce qu'il ne lui pas été accordé un délai suffisant pour consulter son dossier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2018, la Garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté ;
- les autres moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905, notamment son article 65 ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lopa Dufrénot,
- et les conclusions de M. Roux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Premier surveillant affecté au centre pénitentiaire (CP) de Béziers, M. C... a été mis en examen le 20 juin 2010, des chefs de détention, offre et cession de stupéfiants et d'introduction illicite d'objets prohibés dans un établissement pénitentiaire. En détention provisoire, le 22 juin 2010, il a été placé le 27 décembre 2010, sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer les fonctions de surveillant et de se rendre au CP de Béziers. Par arrêté du 11 janvier 2012, il a fait l'objet d'une suspension de ses fonctions. Par arrêt du 15 janvier 2015, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier a rejeté l'appel interjeté par le procureur de la République contre l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Béziers du 30 septembre 2014. Par arrêtés des 5 mai 2015 et 7 mai 2015, le ministre de la justice a mis fin à la mesure de suspension, d'une part et, a réintégré l'agent au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de l'Aude à l'antenne de Narbonne à compter du 15 mai 2015 d'autre part. A la suite de la consultation de la commission administrative paritaire les 22 et 24 juin 2015, par arrêté du 3 juillet 2015, la ministre de la justice a retiré l'arrêté du 7 mai 2015 et a prononcé la mutation de M. C... au SPIP de l'Aude à l'antenne de Narbonne à compter du 6 juillet suivant. Par jugement dont relève appel M. C..., le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté ministériel du 3 juillet 2015.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort de l'examen de la minute du jugement attaqué qu'elle comporte les signatures des trois personnes désignées par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que ces trois signatures ne figurent pas sur l'expédition du jugement notifiée aux parties est sans incidence sur la régularité du jugement. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-7 précité doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination. / Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier. Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté. / L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés. ".
4. Une mutation d'office revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.
5. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la copie d'articles de presse parus en janvier, mars et mai 2015, d'extraits des pages du compte Facebook dont est titulaire le requérant, datés du 28 mai et juin 2015 et de la correspondance de la directrice adjointe du centre pénitentiaire de Béziers adressée au directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulon le 28 juin 2015, que M. C... a porté des accusations à l'encontre tant du directeur de l'établissement pénitentiaire en mettant en cause son intégrité professionnelle et son discernement pour avoir donné crédit aux accusations portées par des détenus sur l'existence d'un trafic de drogues auquel il aurait participé, à l'origine de l'enquête policière que d'autres collègues, pour certains d'entre eux identifiables par leur prénom complété de l'initiale de leur patronyme, leur reprochant, soit de conserver le silence, soit d'être les auteurs d'accusations mensongères. En outre, les révélations à l'origine de l'enquête de police ayant conduit à la mise en examen de M. C... puis au prononcé du non-lieu par la cour d'appel de Montpellier en 2015 ont provoqué des relations conflictuelles, notamment entre des agents faisant partie de son comité de soutien et les autorités hiérarchiques du CP de Béziers, voire de menaces de la part d'un agent. A la suite notamment d'une demande d'audience présentée par un ancien collègue de M. C..., s'estimant menacé, la direction du CP de Béziers exposant l'ensemble de ces circonstances, a sollicité la reprise des fonctions de M. C..., dans l'intérêt du service, dans un autre service. Dans ces circonstances, et à supposer même que, ainsi que l'affirme M. C..., la décision ait emporté des effets sur sa situation professionnelle, son affectation au service pénitentiaire d'insertion et de probation de l'Aude était exclusivement justifiée par l'intérêt du service et non par un manquement au devoir de réserve ainsi que l'allègue le requérant. Par voie de conséquence, la décision en cause ne présentait pas le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée.
6. Il découle de ce qui a été dit au point précédent que les moyens tirés du non-respect des garanties disciplinaires prévues par les dispositions de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 précitée, telles que l'information du droit à être assisté par un avocat et la consultation du conseil de discipline sont sans incidence sur la légalité de la décision contestée.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 : " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté ". En vertu de ces dernières dispositions, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause. Dans le cas où l'agent public fait l'objet d'un déplacement d'office, il doit être regardé comme ayant été mis à même de solliciter la communication de son dossier s'il a été préalablement informé de l'intention de l'administration de le muter dans l'intérêt du service, quand bien même le lieu de sa nouvelle affectation ne lui aurait pas alors été indiqué.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été informé dès le 7 mai 2015 du projet de mutation au SPIP de Narbonne puis de son droit à pouvoir consulter son dossier à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Toulouse, le 9 juin 2015, par un courrier daté du 5 juin précédent alors que la mesure contestée est intervenue par arrêté du 3 juillet 2015. Ce faisant, il a été mis à même de solliciter la communication de son dossier conformément à l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 et, pour ce faire, a disposé d'un délai suffisant pour le consulter. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 doit donc être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, alors en vigueur : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. La mesure de mutation d'office en cause n'appartient à aucune des catégories mentionnées à l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979. En particulier, cette mesure, qui a pour effet de mettre fin aux " indemnités de charges pénitentiaires " compte tenu des nouvelles sujétions ou de l'exercice des nouvelles fonctions, ne constitue pas une décision refusant un avantage dont l'attribution constituerait un droit pour les agents qui remplissent les conditions pour l'obtenir. Le moyen tiré du défaut de motivation doit, par suite, être écarté.
10. En quatrième lieu, dès lors que la mesure d'affectation au SPIP de l'Aude est fondée sur l'intérêt du service ainsi qu'il a été au point 5, M. C... ne peut utilement soutenir qu'aucun manquement au devoir de réserve ne peut lui être reproché, ni que les motifs à l'origine de la mesure sont étrangers au fonctionnement du service et sont d'ordre personnel.
11. En dernier lieu, eu égard à ce qui a été dit au point 5, le détournement de pouvoir allégué en ce que la décision contestée présenterait le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée, doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C...et à la Garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 29 janvier 2019, où siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- Mme Simon, présidente-assesseur,
- Mme Lopa Dufrénot, première conseillère.
Lu en audience publique, le 12 février 2019.
4
N° 17MA04473