Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 8 août 2014, Mme C..., représentée par Me Summerfield, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19 juin 2014 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 juin 2012 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Orientales de lui délivrer, après réexamen de sa demande, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil, celui-ci renonçant à l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que la vie privée et familiale pouvait difficilement se reconstruire au Maroc alors que son époux vit depuis 1990 en France et y a vécu de 1973 à 1986 ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- son époux, en raison de son état de santé et de son âge, ne peut espérer parvenir à augmenter ses revenus, ni, par conséquent, remplir les conditions requises pour bénéficier du regroupement familial ; à la date de la décision attaquée, le mariage dure depuis 6 ans et deux enfants sont nés ;
- l'arrêté est contraire à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2015, la préfète des Pyrénées-Orientales conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Un mémoire présenté pour Mme C..., enregistré le 6 novembre 2015, n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille du 30 septembre 2014.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la lettre du 16 juin 2015 informant les parties, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et indiquant la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du code de justice administrative ;
- l'avis d'audience du 5 février 2016 valant, en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, clôture de l'instruction à la date de son émission.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-marocain en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Busidan a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que Mme C..., de nationalité marocaine, relève appel du jugement rendu le 19 juin 2014 par le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 juin 2012 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales lui a refusé l'admission au séjour ;
Sur les conclusions en annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ; que, pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine ; qu'aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. " ; qu'aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel (...) " ;
3. Considérant que la circonstance que l'étranger relèverait des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration, en application des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sur la gravité de l'atteinte à la vie privée et familiale de l'intéressé ;
4. Considérant qu'il est constant que Mme C..., née en 1980, est entrée en France régulièrement le 25 février 2009, sous couvert d'un passeport en cours de validité pourvu d'un visa Schengen délivré par les autorités espagnoles et valable du 15 janvier 2009 au 14 juillet 2009 ; qu'elle a ainsi rejoint en France un compatriote, qu'elle avait épousé le 31 décembre précédent au Maroc et qui est titulaire d'une carte de résident valable, à ce jour, jusqu'en 2020 ; qu'à la date de l'arrêté, le couple avait eu deux enfants nés le 4 mars 2010 et le 30 juillet 2011 ; que l'époux, vivant en France depuis 1990 et retraité, perçoit une pension dont le montant, bien inférieur au salaire minimum de croissance mensuel, n'assurerait pas qu'il obtienne l'introduction de sa femme et de ses enfants sur le territoire français au titre du regroupement familial ; qu'alors qu' à la date de l'arrêté, la vie familiale était constituée en France depuis plus de trois ans sans enfant et depuis deux ans et trois mois avec enfant, et que l'époux de la requérante s'occupait d'un autre fils issu d'un premier mariage, encore mineur et depuis longtemps scolarisé en France, le préfet des Pyrénées-Orientales, en refusant à Mme C... la délivrance d'un titre de séjour, a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ce refus de titre de séjour a été pris, et a ainsi méconnu l'article 8 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement et sur les autres moyens de la requête, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ; qu'elle est, dès lors, fondée à obtenir l'annulation de ce jugement et de l'arrêté en litige ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Considérant que le présent arrêt implique nécessairement, eu égard à ses motifs, la délivrance du titre de séjour sollicité par Mme C... ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date du présent arrêt des éléments de droit ou de fait nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose à la demande de Mme C... une nouvelle décision de refus ; qu'il y a lieu, dès lors, d'enjoindre à la préfète des Pyrénées-Orientales de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de un mois à compter de la notification de la présente décision ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
6. Considérant que Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Summerfield, avocate de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Summerfield de la somme de 1 500 euros qu'elle demande ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement rendu le 19 juin 2014 par le tribunal administratif de Montpellier et l'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales du 25 juin 2012 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète des Pyrénées-Orientales de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Summerfield, avocate de Mme C..., une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Summerfield renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C..., au ministre de l'intérieur, à la préfète des Pyrénées-Orientales et à Me B... Summerfield.
Délibéré après l'audience du 26 février 2016, où siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail, président-assesseur,
- Mme Busidan, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 mars 2016.
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N° 14MA03587