Procédure devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 10 juin 2016, et un mémoire enregistré le 8 juillet 2016, la société DCNS, représentée par MeB..., demande à la Cour :
1°) - d'annuler l'ordonnance du 28 mai 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy ;
2°) - de condamner VNF à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Elle soutient que :
- son appel est recevable ;
- la notification de l'ordonnance du 28 mai 2016, faite à son conseil, précisait que la voie de recours était l'appel ;
- l'ordonnance attaquée préjudicie à ses droits et ceux de l'Etat français ;
- il appartenait à VNF, pour diligenter une telle mission de constat, de mandater un huissier en informant ses représentants ainsi que ceux de l'Etat de la date et de l'heure de ce constat afin d'en assurer le caractère contradictoire ;
- VNF a d'ailleurs pris soin, avant que l'ordonnance ne soit rendue, de faire intervenir un huissier aux fin de constater l'état des vantaux endommagés ;
- les portes des écluses endommagées ont manifestement été déposées et transportées avant que l'ordonnance ne soit rendue ;
- les diverses interventions et déplacements sur les portes effectués à l'initiative de VNF avant l'intervention de l'expert rendent sans objet l'ordonnance de constat ;
- le caractère frustratoire de la mesure de constat est avéré ;
- ni elle, ni les services de l'Etat n'ont reçu communication de la requête de VNF ;
- aucune circonstance particulière, pas même l'urgence, n'empêchait de respecter le caractère contradictoire de la procédure ;
- elle présente un intérêt personnel à ce que toutes les opérations d'expertise soient menées au contradictoire de l'Etat dans la mesure où elle succède, dans le cadre de la présente affaire, à la Direction des Constructions Navales, entité de l'Etat ;
- elle a fait des observations lors de la réunion d'expertise du 10 juin 2016 ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2016, l'établissement public Voies Navigables de France (VNF), représenté par la SCP Baker et McKenzie, demande à la Cour :
1°) - de rejeter la requête d'appel de la société DCNS ;
2°) - de mettre à la charge de la société DCNS le paiement des dépens et d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- il a insisté, devant le juge des référés de première instance, sur l'urgence liée à la réalisation des premières constatations des dommages occasionnés aux portes de l'écluse E 25 du canal de la Marne au Rhin, lors de l'incident survenu le 26 mai 2016 ;
- une réunion a eu lieu le 30 mai 2016 qui a permis les opérations de constat ;
- la société DCNS n'a pas été appelée à la cause avant que le juge des référés ne statue ;
- la société DCNS n'avait pas qualité pour interjeter appel de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, mais pouvait seulement former une tierce opposition ;
- la requête d'appel de la société DCNS est donc irrecevable ;
- l'ordonnance attaquée est parfaitement fondée ;
- l'utilité de recourir à une procédure de constat dirigée par un spécialiste n'était pas, en l'espèce, sérieusement contestable ;
- il avait précisé, dans sa requête aux fins de constat, que la dépose immédiate des portes de l'écluse s'imposait pour rétablir sans tarder les conditions normales de navigation ;
- la dépose des vantaux n'était pas incompatible avec le constat réalisé par l'expert :
- la désignation de M. A...en tant qu'expert pour les opérations de constat n'a pas été possible ;
- les dispositions de l'article R. 531-1 du code de justice administrative n'imposent pas une communication de la requête aux défenseurs éventuels ;
II - Par un recours, enregistré le 15 juin 2016, le ministre de la défense demande que la Cour accueille la requête d'appel de la société DCNS dirigée contre l'ordonnance du 28 mai 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy ;
Il soutient que :
- il a l'obligation d'intervenir aux droits de la société DCNS en application d'une convention de garantie de passif de juin 2003 portant sur les contentieux liés à des marchés antérieurs à la constitution de cette nouvelle société ;
- il souhaite que son ministère soit appelé en la cause, en application de l'article R. 632-1 du code de justice administrative, au même titre que pour l'instance toujours pendante devant le tribunal administratif de Nancy ;
- il souscrit intégralement aux termes et conclusions des écritures produites par la société DCNS ;
- il y a eu violation manifeste du principe du contradictoire dans la mesure où son administration, pas plus que la société DCNS, n'ont été informées du dépôt de la requête de VNF ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2016, l'établissement public Voies Navigables de France (VNF), représenté par la SCP Baker et McKenzie, demande à la Cour :
1°) - de rejeter la requête du ministre de la défense ;
2°) - de mettre à la charge de l'Etat (ministre de la défense) le paiement des dépens et d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- il a insisté, devant le juge des référés de première instance, sur l'urgence liée à la réalisation des premières constatations des dommages occasionnées aux portes de l'écluse E 25 du canal de la Marne au Rhin, lors de l'incident survenu le 26 mai 2016 ;
- le ministre de la défense n'a pas qualité pour interjeter appel l'ordonnance du 28 mai 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy ;
- la requête du ministre de la défense ne peut qu'être rejetée, quelle que soit la qualification qu'on lui donne (appel ou tierce opposition) ;
- l'argumentation du ministre de la défense n'apporte aucun élément de nature à démontrer que les constats sollicités auraient été inutiles ou auraient eu un caractère frustratoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
Sur la jonction :
1. Les requêtes susvisées n°s 16NC01136 et 16NC01208 sont dirigées contre la même ordonnance et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu, par suite, de les joindre pour y statuer par une même ordonnance.
2. A la suite d'un incident ayant endommagé les portes de l'écluse E 25 située sur le canal de la Marne au Rhin, Voies navigables de France (VNF), établissement public chargé de la gestion du réseau de voies navigables, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant, sur le fondement de l'article R. 531-1 du code de justice administrative, à désigner un expert aux fins de constater les désordres résultant de cet incident. La société DCNS interjette appel de l'ordonnance du 28 mai 2016 ayant fait droit à cette demande. Le ministre de la défense présente également des conclusions à l'encontre de cette ordonnance.
Sur la requête de la société DCNS :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'a produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance ".
4. Aux termes de l'article R. 531-1 du code de justice administrative : " S'il n'est rien demandé de plus que la contestation de faits, le juge des référés peut, sur simple requête qui peut être présentée sans ministère d'avocat, et même en l'absence d'une décision administrative préalable, désigner un expert pour constater sans délai les faits qui seraient susceptibles de donner lieu à un litige devant la juridiction. Il peut, à cet effet, désigner une personne figurant sur l'un des tableaux établis en application de l'article R. 221-9. Il peut, le cas échéant, désigner toute autre personne de son choix. / Avis en est donné immédiatement aux défenseurs éventuels. / Par dérogation aux dispositions des articles R. 832-2 et R. 832-3, le délai pour former tierce opposition est de quinze jours. ".
5. Si les dispositions de l'article R. 531-1 du code de justice administrative imposent au juge des référés de notifier immédiatement aux défenseurs éventuels l'ordonnance par laquelle il désigne un expert pour constater des faits, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce qu'il mette en cause, avant de rendre son ordonnance et alors même qu'il n'y est jamais obligé, le ou les défendeurs éventuels.
6. Toutefois, si le juge des référés décide de ne pas mettre en cause le ou les défendeurs éventuels avant de rendre son ordonnance, ceux-ci, quand bien même ils auraient assisté aux opérations de constat, n'ont pas, en application des dispositions précitées de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, la qualité pour interjeter appel de la décision rendue. Il leur appartient, en revanche, s'il s'y croient fondés, de former tierce opposition à des ordonnances qui préjudicient à leurs droits devant le tribunal qui a rendu la décision contestée.
7. Il résulte de ce qui précède que la société requérante, à laquelle le courrier notifiant l'ordonnance attaquée précisait la possibilité de former une tierce opposition dans un délai de 15 jours, est sans qualité pour interjeter appel de ladite ordonnance. Il s'ensuit que sa requête est manifestement irrecevable et ne peut qu'être rejetée.
Sur la requête du ministre de la défense :
8. Il ressort de ses écritures mêmes, que le ministre de la défense, qui n'a pas été appelé à l'instance devant le tribunal administratif, a entendu intervenir à l'appui de la requête de la société DCNS sur le fondement des dispositions de l'article R. 632-1 du code de justice administrative. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la requête de cette société n'est pas recevable. Par suite, l'intervention du ministre de la défense est irrecevable.
9. Par ailleurs, à supposer que le ministre de la défense ait entendu former une tierce opposition dans la mesure où il estimerait que l'ordonnance du 28 mai 2016 préjudicie aux droits de son ministère, une telle requête serait également irrecevable comme formée devant une juridiction incompétente, dès lors que la tierce opposition à un jugement doit être portée, comme il a été dit au point 6, devant la juridiction qui a prononcé ce jugement.
Sur les dépens :
10. L'instance en cours n'a pas donné lieu à des dépens. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de VNF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société DCNS demande au titre des frais non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société DCNS le versement à VNF d'une somme de 1 500 euros. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par VNF à l'encontre de l'Etat.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la société DCNS est rejetée.
Article 2 : Le recours du ministre de la défense est rejeté.
Article 3 : La société DCNS versera à VNF une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de VNF tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article L. 761-1 du même code dirigées contre l'Etat sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société DCNS, au ministre de la défense et à Voies navigables de France.
Fait à Nancy, le 11 juillet 2016.
La Conseillère d'état, présidente de la Cour
Signé :
La République mande et ordonne au ministre de la défense, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme
Le Greffier,
6
N° 16NC01136
N° 16NC01208