Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 février 2021, le préfet du Doubs, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 26 janvier 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Besançon.
Il soutient que le magistrat désigné a commis une erreur de droit, de qualification juridique des faits et une erreur de fait dans l'examen du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 21 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 en considérant que la demande d'asile avait été introduite le 29 juin 2020 lors de sa prise en charge par l'association d'Hygiène sociale de Franche-Comté, structure de premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA) et non le 6 juillet 2020 lors de sa présentation au guichet unique d'enregistrement de la préfecture. En outre, il se prévaut des termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile pour soutenir que le tribunal administratif ne pouvait lui enjoindre d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en France.
Par un mémoire du 19 juillet 2021, Mme A... B... représentée par Me Dravigny a demandé l'exécution sous astreinte du jugement du 26 janvier 2021.
Par une décision du 14 octobre 2021, la présidente de la Cour administrative d'appel de Nancy a classé cette procédure au motif que le préfet du Doubs avait exécuté le jugement.
Par des mémoires en défense du 30 mars 2021 et du 2 août 2021, Mme A... B... représentée par Me Dravigny conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une décision du 15 avril 2021, le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale accordée par une décision en date du 29 janvier 2021 a été maintenu de plein droit pour Mme B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Barrois, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante angolaise, née le 9 mars 1984, a sollicité la reconnaissance du statut de réfugié le 6 juillet 2020. Dans le cadre de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, les autorités françaises ont adressé une demande de prise en charge le 1er octobre 2020 aux autorités portugaises qui ont donné leur accord explicite le 16 novembre 2020. Par deux arrêtés en date du 21 décembre 2020, le préfet du Doubs ordonnait son transfert aux autorités portugaises et prononçait son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par la présente requête, le préfet du Doubs fait appel du jugement du 26 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Besançon a annulé ces deux arrêtés.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité des décisions de transfert et d'assignation à résidence :
2. D'une part, aux termes de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Le processus de détermination de l'État membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un État membre. / 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite, le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal doit être aussi court que possible. / (...) ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 21 du même règlement : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / (...) / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéas, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite ".
3. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-670/16 du 26 juillet 2017, il résulte des dispositions précitées du deuxième paragraphe de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qu'une demande de protection internationale est réputée introduite lorsqu'un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l'autorité chargée de l'exécution des obligations découlant de ce règlement et, le cas échéant, lorsque seules les principales informations figurant dans un tel document, mais non celui-ci ou sa copie, sont parvenues à cette autorité. Pour pouvoir engager efficacement le processus de détermination de l'Etat responsable, l'autorité compétente a besoin d'être informée, de manière certaine, du fait qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité une protection internationale, sans qu'il soit nécessaire que le document écrit dressé à cette fin revête une forme précisément déterminée ou qu'il comporte des éléments supplémentaires pertinents pour l'application des critères fixés par le règlement (UE) n° 604/2013 ou, a fortiori, pour l'examen au fond de la demande, et sans qu'il soit nécessaire à ce stade de la procédure qu'un entretien individuel ait déjà été organisé.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, (...) dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. (...) / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément. / (...) / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / (...) ". Aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " Pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 741-1, l'autorité administrative compétente peut prévoir que la demande est présentée auprès de la personne morale prévue au deuxième alinéa de l'article L. 744-1. ". Enfin, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 744-1 du même code, l'Office français de l'immigration et de l'intégration " peut déléguer à des personnes morales, par convention, la possibilité d'assurer certaines prestations d'accueil, d'information et d'accompagnement social, juridique et administratif des demandeurs d'asile pendant la période d'instruction de leur demande ".
5. Compte tenu de ce qui a été dit au point 3 du présent arrêt, lorsque l'autorité compétente pour assurer au nom de l'Etat français l'exécution des obligations découlant du règlement (UE) n° 604/2013 a, ainsi que le permet l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévu que les demandes de protection internationale doivent être présentées auprès de l'une des personnes morales qui ont passé avec l'Office français de l'immigration et de l'intégration la convention prévue à l'article L. 744-1 du même code, la date à laquelle cette personne morale, auprès de laquelle le demandeur doit se présenter en personne, transmet aux services de l'Etat le document écrit matérialisant l'intention de ce dernier de solliciter la protection internationale doit être regardée comme celle à laquelle est introduite cette demande de protection internationale, au sens du deuxième paragraphe de l'article 20 de ce règlement, et fait donc partir le délai de trois mois qu'il prévoit au premier paragraphe de son article 21. L'objectif de célérité dans le processus de détermination de l'Etat responsable, rappelé par l'arrêt C-670/16 du 26 juillet 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne, serait compromis si le point de départ de ce délai devait être fixé à la date à laquelle ce ressortissant se présente au " guichet unique des demandeurs d'asile " de la préfecture ou celle à laquelle sa demande est enregistrée par la préfecture.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est présentée, le 29 juin 2020, auprès du service de premier accueil des demandeurs d'asile de Besançon aux fins de solliciter l'asile en France et a été mise en possession, le jour même, d'une convocation à se rendre au guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture du Bas-Rhin le 9 juillet 2020 en vue de l'enregistrement de sa demande. Il est constant que la gestion d'un tel service, chargé de réceptionner les demandes d'asile dans le département de Franche Comté, a été confiée à l'association " Association d'hygiène sociale de Franche-Comté " en application des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Alors même que cette association n'a pas compétence pour procéder à l'enregistrement des demandes d'asile et qu'elle est dépourvue de prérogatives de puissance publique, elle doit être regardée comme une " autorité publique " au sens du droit de l'Union européenne. Dans ces conditions, la convocation ainsi délivrée à Mme B... le 29 juin 2020, dont il n'est pas contesté qu'elle a été transmise aux services de la préfecture, matérialise de façon certaine l'intention de l'intéressé de solliciter la protection internationale de la France. Ainsi, le délai de trois mois prévu au premier alinéa du premier paragraphe de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 ayant commencé à courir le 29 juin 2020, et non pas le 6 juillet 2020 comme le fait valoir le préfet du Doubs, il était expiré lorsque les autorités portugaises ont été saisies, le 1er octobre 2020, de la demande de prise en charge de Mme B.... Dès lors, en application du troisième alinéa du premier paragraphe de ce même article, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale formulée par l'intéressée incombait, à la date de l'arrêté en litige, à la France. Par suite, le transfert de Mme B... à destination du Portugal était entaché d'une illégalité qui est de nature à entrainer l'annulation de la décision l'assignant à résidence prise sur son fondement.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a annulé ses deux arrêtés en date du 21 décembre 2020.
En ce qui concerne l'injonction prononcée par le tribunal administratif :
8. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ". L'article L. 911-1 du code de justice administrative énonce que : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".
9. Le préfet se prévaut des termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile pour soutenir que le tribunal administratif ne pouvait lui enjoindre d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en France.
10. Les dispositions de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la mise en œuvre, par le juge, des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Selon ces dispositions, lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction prescrit, par cette même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution.
11. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de Mme B... retenu par le premier juge, le jugement de première instance impliquait nécessairement que les autorités françaises se reconnaissent responsables de l'examen de sa demande d'asile et qu'ainsi Mme B... soit autorisée à enregistrer sa demande d'asile en France.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Besançon a annulé ses arrêtés du 21 décembre 2020 et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme B....
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Dravigny, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dravigny de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du préfet du Doubs est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Dravigny, avocat de Mme B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Dravigny renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet du Doubs, à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
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N° 21NC00570