Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 21NC01809 le 22 juin 2021, Mme D..., épouse C... représentée par Me Berry, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 16 février 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2020 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et, entretemps, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet l991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
s'agissant de la régularité du jugement :
- le tribunal a omis d'examiner le moyen tiré, à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi, de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
s'agissant du refus de titre de séjour :
- cette décision méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît la circulaire du 28 novembre 2012 et l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est privée de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision attaquée méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation personnelle ;
s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- cette décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2022, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme D..., épouse C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 25 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., épouse C..., ressortissante marocaine, est entrée en France, selon ses déclarations, le 2 janvier 2014, en compagnie de son époux. Le 7 juillet 2020, elle a sollicité du préfet du Haut-Rhin la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant de la durée de son séjour, de la présence de sa famille, A... la scolarisation de ses enfants et de son insertion en France. Par arrêté du 15 octobre 2020, le préfet du Haut-Rhin a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Mme D..., épouse C... relève appel du jugement du 16 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif de Strasbourg a omis d'examiner le moyen soulevé devant lui par Mme D..., épouse C... et qui n'était pas inopérant, tiré de ce que la décision fixant son pays de renvoi méconnaissait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. La requérante est par suite fondée, pour ce motif, à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi.
3. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions de Mme D..., épouse C... dirigées contre la décision fixant son pays de renvoi. Les conclusions dirigées contre les décisions lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'obligeant de quitter le territoire français doivent en revanche être examinés dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.
Sur la légalité de l'arrêté du 15 octobre 2020, en tant qu'il porte refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".
5. D'une part, aux termes de l'article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Font l'objet d'une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret ". Aux termes de l'article L. 312-3 du même code : " Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret./ Toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée./Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement ". Aux termes de l'article R. 312-10 du même code : " Les sites internet sur lesquels sont publiés les documents dont toute personne peut se prévaloir dans les conditions prévues à l'article L. 312-3 précisent la date de dernière mise à jour de la page donnant accès à ces documents ainsi que la date à laquelle chaque document a été publié sur le site./ Ces sites comportent, sur la page donnant accès aux documents publiés en application de l'article L. 312-3, la mention suivante : " Conformément à l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par les documents publiés sur cette page, pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée, sous réserve qu'elle ne fasse pas obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement ". Enfin, aux termes de l'article D. 312-11 du même code : " Les sites internet mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-3 sont les suivants : / (...) / ; www.interieur.gouv.fr (...)/ Lorsque la page à laquelle renvoient les adresses mentionnées ci-dessus ne donne pas directement accès à la liste des documents mentionnés à l'article L. 312-3, elle comporte un lien direct vers cette liste, identifié par la mention " Documents opposables ".
6. Les énonciations de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui est dépourvue de caractère réglementaire, constituent seulement des orientations générales adressées par le ministre aux préfets pour les éclairer dans la mise en œuvre de leur pouvoir de régularisation, ces autorités administratives disposant d'un pouvoir d'appréciation pour prendre une mesure au bénéfice de laquelle la personne intéressée ne peut faire valoir aucun droit. Cette circulaire, qui ne prévoit pas la délivrance de plein droit d'un titre de séjour à l'étranger qui totaliserait les durées de résidence et d'emploi qu'elle indique, ne comporte ainsi pas de lignes directrices dont les intéressés pourraient utilement se prévaloir devant le juge et ne comporte pas davantage une interprétation du droit positif ou d'une règle qu'ils pourraient invoquer sur le fondement des articles L. 312-2 et L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration. Au surplus, il résulte des dispositions combinées des articles L. 312-3, R. 312-10 et D. 312-11 du code des relations entre le public et l'administration que, pour être opposable, une circulaire du ministre de l'intérieur adressée aux préfets doit faire l'objet d'une publication sur le site www.interieur.gouv.fr par le biais d'une insertion dans la liste définissant les documents opposables et comportant les mentions prescrites à l'article R. 312-10, et doit comporter un lien vers le document intégral publié sur le site " Légifrance.gouv.fr ", site relevant du Premier ministre. En l'espèce, la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, si elle a bien été publiée sur le site Légifrance et figure sur le site du ministère de l'intérieur reprenant les publications au bulletin officiel, ne l'a pas été dans les conditions prévues par les dispositions précitées du code des relations entre le public.
7. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la requérante ne saurait utilement se prévaloir des critères de régularisation figurant dans la circulaire du 28 novembre 2012.
8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme D..., épouse C... est entrée en France en 2014, alors âgé de 33 ans et s'y est maintenue jusqu'à sa demande de titre de séjour présentée en 2020, sans disposer d'un titre de séjour. La scolarisation de ses enfants, nés en France en 2014, 2016 et 2019 ne fait pas obstacle, notamment au regard de l'âge des enfants, à ce que ceux-ci reprennent une scolarité dans son pays d'origine ou le pays où elle serait légalement admissible. Son époux fait également l'objet d'une mesure d'éloignement. Dans ces conditions, et malgré l'insertion dans la société française et la présence en France de membres de sa famille, dont se prévaut la requérante, le préfet du Haut-Rhin n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la situation de celle-ci ne répondait pas à des considérations humanitaires ou à des motifs exceptionnels justifiant son admission au séjour au titre de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : 7° (...) A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".
10. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment à la durée et aux conditions du séjour en France de la requérante et de sa famille, rappelées au point 6 du présent arrêt, le refus de titre de séjour que lui a opposé le préfet du Haut-Rhin n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel cette décision a été prise. Il n'a dès lors méconnu ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'est pas entaché d'un erreur manifeste dans l'appréciation. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 6, ce refus de titre de séjour ne méconnaît pas l'intérêt supérieur de l'enfant, protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
11. En premier lieu, la décision refusant à la requérante la délivrance d'un titre de séjour n'étant pas illégale, celle-ci n'est pas fondée à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision la décision l'obligeant à quitter le territoire français.
12. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 8 du présent arrêt, il y a lieu d'écarter les moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français, tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi que de l'erreur manifeste commise par le préfet dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle et familiale de la requérante.
Sur la légalité de l'arrêté du 15 octobre 2020, en tant qu'il porte fixation du pays de renvoi :
13. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 8 du présent arrêt, il y a lieu d'écarter les moyens dirigés contre la décision fixant le pays de renvoi, tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
14. En second lieu, l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 15 octobre 2020 concernant Mme D..., épouse C... et celui pris à la même date concernant son époux prévoient que ceux-ci pourront, à l'issue du délai de départ volontaire que leur a accordé le préfet, être reconduits d'office à la frontière du pays dont ils ont la nationalité ou tout autre pays dans lequel ils établissent être légalement admissibles. Si la requérante fait valoir que son époux, titulaire d'une carte de résident de longue durée délivrée par les autorités italiennes, ne pouvait être éloigné qu'en direction de l'Italie, elle ne justifie pas de la durée de validité de ce titre à la date de la décision du préfet et n'établit pas que son époux aurait demandé à être éloigné vers ce pays. La décision fixant le pays de renvoi de la requérante n'est donc, en tout état de cause, pas entachée d'illégalité.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D..., épouse C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 octobre 2020 en tant qu'il porte refus de séjour et obligation de quitter le territoire français, non plus qu'à demander l'annulation de cet arrêté en tant qu'il fixe le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
16. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme D..., épouse C....
Sur les frais liés à l'instance :
17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme D..., épouse C... au titre de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 16 février 2021 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme D..., épouse C... tendant à l'annulation de la décision du 15 octobre 2020 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a fixé son pays de renvoi.
Article 2 : Le surplus des conclusions d'appel de Mme D..., épouse C... et ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 15 octobre 2020 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a fixé son pays de renvoi sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., épouse C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfet du Haut-Rhin.
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N° 21NC01809