Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 juillet 2019 et le 12 mars 2020, M. A..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 avril 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 19 juin 2018 par laquelle le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à défaut, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer durant ce réexamen une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 47 du Code civil dès lors que le préfet a estimé à tort que les actes de l'état civil produits par le requérant sont frauduleux ;
- il méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 janvier 2020, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 9 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Le rapport de Mme D..., présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, est entré en France le 25 août 2015. Il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du Doubs le 12 novembre 2015, en raison de sa minorité déclarée. Le 23 mai 2017, M. A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 19 juin 2018, le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit à l'expiration de ce délai. M. A... fait appel du jugement du 26 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 311-2-2 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Enfin, aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Ces dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.
3. M. A... a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un extrait d'acte de naissance et un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance. Le préfet soutient que la direction départementale de la police aux frontières du Doubs, par un rapport d'examen technique documentaire du 4 septembre 2015, a rendu un avis défavorable sur l'authenticité de l'extrait d'acte de naissance du 20 novembre 2000 produit par le requérant en notant que cet acte présentait des anomalies, notamment dans sa forme et eu égard au mode d'impression des textes pré-imprimés.
4. Toutefois, il est constant que M. A... a présenté également à l'appui de sa demande un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance du 28 juin 2017 et sa transcription dans le registre d'état civil de la commune urbaine de Gueckedou, qui mentionnent également qu'il est né le 1er novembre 1999 à Gueckedou. Si la direction interdépartementale de la police aux frontières de Pontarlier, dans un rapport d'examen technique documentaire du 15 mars 2018, a émis un avis défavorable sur l'authenticité de ces documents, elle s'est uniquement basée sur des informations générales provenant du service de sécurité intérieure de l'ambassade de France en République de Guinée, selon lesquelles il existerait une fraude généralisée concernant l'état civil de ce pays. Ainsi, il n'a pas été procédé à une analyse technique et à un examen personnalisé des pièces produites par le requérant permettant d'établir que les actes d'état civil produits par M. A... ne seraient pas authentiques.
5. En outre, le préfet ne peut utilement se borner à soutenir, pour les écarter, que ces actes auraient été délivrées par les autorités guinéennes sur la base de l'extrait d'acte de naissance argué de faux dès lors qu'il n'a pas procédé à la vérification de cette assertion auprès de ces autorités. Dans ces conditions, il n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que les informations sur l'état civil de M. A... figurant dans ces documents ne correspondent pas à la réalité. Par suite, en estimant que M. A... avait déclaré une fausse identité et qu'il ne démontrait pas avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et dix-huit ans, le préfet du Doubs a commis une erreur de droit et a méconnu les dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les dispositions de l'article 47 du code civil.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 juin 2018 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit à l'expiration de ce délai.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'exécution du présent arrêt implique seulement que la demande de M. A... soit réexaminée et que, dans cette attente, soit délivrée à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour en application des dispositions de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Doubs de délivrer à M. A..., dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire de séjour valable pendant la durée de réexamen de sa situation. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B..., avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B... de la somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1900285 du 26 avril 2019 du tribunal administratif de Besançon est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet du Doubs du 19 juin 2018 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer à M. A..., dans les quinze jours de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire de séjour valable pendant la durée de réexamen de sa situation.
Article 4 : L'Etat versera à Me B..., avocate de M. A..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
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N° 19NC02468