Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 février 2019, sous le n° 19NC00492, et un mémoire enregistré le 22 décembre 2020, M. A..., représenté par Me Bizzarri, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 décembre 2018 ;
2°) la décision implicite née le 27 septembre 2017, du silence gardé par le préfet du Bas-Rhin sur sa demande de renouvellement de sa carte nationale d'identité, ensemble la décision du 31 octobre 2017, par laquelle le préfet du Bas-Rhin a expressément refusé de renouveler sa carte nationale d'identité ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une nouvelle carte nationale d'identité dans un délai de 20 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
s'agissant de la régularité du jugement :
- les premiers juges ont omis de statuer sur l'admission de l'intervention du Défenseur des droits ;
- les premiers juges ont opéré une inversion de l'ordre des questions à traiter, analysant le fond pour traiter de la question de la recevabilité de la requête ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit et une erreur de qualification juridique des faits dans l'application de la notion de " décision faisant grief " et commis une erreur d'appréciation quant à la réalité du grief subi.
s'agissant de la légalité des décisions du préfet du Bas-Rhin :
- le refus de renouvellement de sa carte nationale d'identité est intervenu en méconnaissance de l'article 3 du décret du 22 octobre 1995 prévoyant que les dossiers de renouvellement de carte nationale d'identité doivent être transmis au préfet de département si les demandeurs résident dans le chef-lieu de l'arrondissement ;
- ce refus méconnait les dispositions combinées des articles 1er et 4-1 du décret du 22 octobre 1955 et 6 du décret du 18 décembre 2013, qui plaçaient le préfet en situation de compétence liée pour procéder au renouvellement de sa carte nationale d'identité, même encore valide, dès lors que son dossier de demande était complet ;
- ce refus méconnaît le principe constitutionnel d'égalité ;
- il méconnaît également l'article 5 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) et les articles 4 et 5 de la directive du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et de leur famille de circuler et de séjourner librement dans les Etats membres ;
- en prolongeant la durée de validité des cartes nationales d'identité de citoyens français délivrées entre le 2 janvier 2004 et le 31 décembre 2013, sans toutefois garantir à ces citoyens une libre circulation dans les pays de l'Union Européenne et dans les pays qui ne reconnaissent que la date faciale des cartes nationales d'identité françaises, le décret du 18 décembre 2013 porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité et à l'article 45 du TFUE.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête ;
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité ;
- le décret n° 2013-1188 du 18 décembre 2013 relatif à la durée de validité et aux conditions de délivrance et de renouvellement de la carte nationale d'identité ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bizzarri, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... titulaire d'une carte nationale d'identité française, délivrée le 15 mai 2007 par le préfet du Bas-Rhin et portant la date d'expiration faciale du 14 mai 2017, a, le 27 juillet 2017, déposé auprès de la mairie de Strasbourg une demande de renouvellement de cette carte. Le silence gardé par le préfet du Bas-Rhin sur cette demande a fait naître, le 27 septembre 2017, une décision implicite de refus, confirmée par une décision expresse du préfet du Bas-Rhin du 31 octobre 2017. M. A... relève appel du jugement du 19 décembre 2018, par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 1er du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité, dans sa rédaction issue de l'article 2 du décret n° 2013-1188 du 18 décembre 2013 relatif à la durée de validité et aux conditions de délivrance et de renouvellement de la carte nationale d'identité dispose : " Il est institué une carte nationale certifiant l'identité de son titulaire. Cette carte a une durée de validité de quinze ans lorsqu'elle est délivrée à une personne majeure et de dix ans lorsqu'elle est délivrée à une personne mineure ". L'article 4-1 de ce décret, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que : " I. ' En cas de demande de renouvellement, la carte nationale d'identité est délivrée sur production par le demandeur : / a) De sa carte nationale d'identité sécurisée prévue au titre II, valide ou périmée depuis moins de cinq ans à la date du renouvellement, sans préjudice, le cas échéant, de la vérification des informations produites à l'appui de la demande de cet ancien titre (...) ".
3. Les personnes de nationalité française ont le droit, après que l'administration a pu s'assurer que les pièces produites par le demandeur sont de nature à établir son identité et sa nationalité, de se voir délivrer la carte nationale d'identité. Un refus de délivrance ou de renouvellement d'une carte nationale d'identité, qui a nécessairement pour effet de limiter la liberté d'aller et venir, constitue un acte faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, indépendamment des moyens alternatifs dont dispose déjà, le cas échéant, la personne intéressée pour justifier de son identité en France ou à l'étranger.
4. Par suite, M. A... est fondé à soutenir qu'en rejetant comme irrecevable sa demande au motif que les décisions implicite et explicite du préfet du Bas-Rhin lui refusant le renouvellement de sa carte nationale d'identité, ne constituaient pas des décisions faisant grief, le tribunal administratif de Strasbourg a entaché d'irrégularité son jugement. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de régularité soulevés par M. A..., il y a lieu d'annuler ce jugement.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation des décisions du préfet du Bas-Rhin des 27 septembre et 31 octobre 2017.
Sur la légalité des décisions du préfet du Bas-Rhin des 27 septembre et 31 octobre 2017 :
6. Aux termes de l'article 6 du décret du 18 décembre 2013 précise que " Les cartes nationales d'identité sécurisées prévues à l'article 6 du décret du 22 octobre 1955 susvisé en cours de validité au 1er janvier 2014, délivrées à des personnes qui étaient majeures à la date de délivrance, voient leur durée de validité portée à quinze ans. L'extension de la durée de validité ne s'applique pas aux cartes nationales d'identité sécurisées en cours de validité au 1er janvier 2014 délivrées à des personnes qui étaient mineures à la date de délivrance ".
7. Si, d'une part, la durée de validité de la carte nationale d'identité délivrée à M. A... le 15 mai 2007, en cours de validité à la date du 1er janvier 2014, a été portée à quinze ans par l'effet des dispositions de l'article 6 du décret du 18 décembre 2013 mentionnée ci-dessus, et, d'autre part, M. A... disposait, à la date de sa demande d'un passeport également en cours de validité, aucune de ces circonstances n'était au nombre des motifs susceptibles de justifier légalement, au regard des dispositions de l'article 4-1 du décret du 22 octobre 1955, citées au point 2, un refus de renouvellement de cette carte nationale d'identité. Par suite, en refusant pour ces motifs de faire droit à la demande de l'intéressé tendant au renouvellement de sa carte nationale d'identité, le préfet du Bas-Rhin a entaché d'illégalité ses décisions des 27 septembre et 31 octobre 2017.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à demander l'annulation de ces deux décisions.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. En l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet du Bas-Rhin, territorialement compétent, fasse droit à la demande de M. A... tendant au renouvellement de sa carte nationale d'identité. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à cette délivrance dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à M. A..., au titre de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1705970 du 19 décembre 2018 est annulé.
Article 2 : Les décisions du préfet du Bas-Rhin des 27 septembre et 31 octobre 2017 refusant le renouvellement de la carte nationale d'identité de M. A... sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de faire droit, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, à la demande de M. A... tendant au renouvellement de sa carte nationale d'identité.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée à la préfète du Bas-Rhin.
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N° 19NC00492