Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 avril 2018, 7 novembre 2018, 26 mars et 26 avril 2019, et un mémoire récapitulatif enregistré le 19 juillet 2019, M. D..., représenté par la SCP A... et Komly-Nallier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 22 février 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 30 janvier 2017 de non-renouvellement de son contrat ;
3°) d'enjoindre à l'établissement public CentraleSupélec, à titre principal, de lui proposer un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 1er avril 2017 et, à titre subsidiaire, de réexaminer la question du renouvellement de son contrat dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de CentraleSupélec une somme de 2 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- son moyen tiré de l'erreur de droit entachant le jugement est recevable ;
- son contrat a été renouvelé à compter du 1er avril 2017 pour une durée indéterminée, dès lors qu'une proposition de renouvellement lui a été adressée le 9 novembre 2016, et qu'il l'a acceptée le 11 décembre 2016 ;
- la décision du 30 janvier 2017 doit être regardée comme une décision de licenciement ;
- ce licenciement est illégal en ce que le délai de préavis n'a pas été respecté ;
- il n'a pas obtenu d'entretien préalable ;
- la commission consultative paritaire n'a pas été saisie ;
- ce licenciement a pris la forme déguisée d'un non renouvellement de contrat et il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- subsidiairement s'il s'agissait d'un non-renouvellement, la procédure prévue à l'article 45 du décret du 17 janvier 1986 n'a pas été respectée ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que le non renouvellement du contrat n'était pas justifié par l'intérêt du service.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2018, complété par des mémoires enregistrés les 1er mars et 10 avril 2019 et un mémoire récapitulatif enregistré le 17 juillet 2019, l'établissement public CentraleSupélec, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que ;
- le jugement n'est pas irrégulier ;
- le moyen tiré de l'erreur de droit entachant le jugement, qui relève d'une cause juridique nouvelle, est irrecevable ;
- les autres moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 1er août 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 19 août 2019.
Un mémoire, présenté pour M. D... a été enregistré le 1er août 2019 et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Favret, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., pour M. D..., ainsi que celles de Me C... substituant Me B..., pour CentraleSupélec.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ingénieur diplômé de l'Ecole nationale supérieure d'agronomie de Montpellier, a été recruté par l'Ecole Centrale de Paris devenue CentraleSupélec, en qualité de coordinateur scientifique de l'équipe de Reims-Pomacle du centre d'excellence en biotechnologies blanches, par un contrat à durée déterminée de trois ans prenant effet le 1er avril 2011. Ce contrat a été renouvelé jusqu'au 31 mars 2017. Par une décision du 30 janvier 2017, le directeur de CentraleSupélec a informé M. D..., de ce que ce contrat ne serait pas renouvelé à son terme. M. D... fait appel du jugement du 22 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, après avoir cité l'article 45 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986, applicable à la situation de M. D... en vertu de l'article 5 de son contrat de travail, et rappelé que l'administration pouvait toujours, " pour des motifs tirés de l'intérêt du service ou en raison de ce que le comportement de l'agent n'aurait pas donné entière satisfaction, décider de ne pas renouveler ce contrat et mettre fin à ses fonctions ", le tribunal administratif a précisé, au point 6 de son jugement, d'une part, que les qualifications de l'intéressé " ne correspondaient plus au poste, dès lors qu'il est désormais nécessaire qu'il soit occupé par un agent titulaire d'un doctorat habilité à diriger des recherches, ce qui n'était pas son cas " et, d'autre part, que " son comportement dilettante, son manque d'adhésion au positionnement de la chaire sur les domaines d'excellence de l'établissement et son manque de loyauté nuisent à l'intérêt du service ", lequel avait évolué depuis l'embauche de M. D.... Le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de préciser en quoi le défaut d'habilitation à diriger des recherches aurait des conséquences sur le fonctionnement du service, a, dans ces conditions, suffisamment motivé son jugement quant à l'intérêt du service justifiant le non-renouvellement du contrat de l'intéressé.
3. En deuxième lieu, après avoir énoncé, au point 2 de son jugement, le moyen tiré de ce que le contrat de M. D..., lequel avait accepté, le 11 décembre 2016, la proposition de renouvellement qui lui avait été faite le 9 novembre 2016, devait être regardé comme renouvelé à compter du 1er avril 2017 pour une durée indéterminée, le tribunal administratif a précisé qu'" il ne saurait être déduit de ce seul échange de consentement la conclusion tacite d'un nouveau contrat à durée indéterminée dès lors que, préalablement au terme du contrat en cours, l'établissement a informé M. D... de sa volonté de ne pas renouveler son contrat ". Ce faisant, et alors qu'il n'était pas tenu de répondre à chacun des arguments développés à l'appui de ce moyen, il doit être regardé comme y répondu de manière suffisamment explicite.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué:
En ce qui concerne la recevabilité du moyen tiré d'une contradiction des motifs du jugement :
4. Le moyen soulevé par le requérant dans son mémoire complémentaire enregistré le 7 novembre 2018, postérieurement à l'expiration du délai d'appel, tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur de droit en raison d'une contradiction de motifs, ne relève pas d'une cause juridique distincte de celle dont procèdent les autres moyens soulevés dans sa requête sommaire enregistrée le 23 avril 2018. Au demeurant, M. D... avait déjà soutenu, dans cette requête, que le jugement attaqué était entaché d'une " erreur de droit, qui se matérialise par une contradiction de motifs au sein du considérant n° 2 de la décision... ". Il est, par suite, recevable.
En ce qui concerne la nature de la décision du 30 janvier 2017 :
5. Il ressort des dispositions de l'article 6 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, seules applicables au contrat administratif ayant lié les parties, que la reconduction d'un contrat à durée déterminée doit être expresse. En outre, le contrat conclu entre M. D... et l'Ecole Centrale de Paris devenue CentraleSupélec pour une durée de trois ans, à compter du 1er avril 2011, renouvelée une fois à compter du 1er avril 2014, ne comporte aucune clause de tacite reconduction. Or, la décision du directeur de l'établissement de ne pas renouveler ce contrat à son terme est intervenue en cours d'exécution de celui-ci. Ainsi que l'a estimé le tribunal administratif dont le jugement n'est, sur ce point, entaché d'aucune contradiction de motifs, cette décision qui n'a pas eu pour effet de rompre avant son terme l'engagement qui liait les parties, ne constitue donc pas un licenciement, sans qu'ait une influence sur cette qualification, la circonstance que M. D... avait accepté, le 11 décembre 2016, une précédente proposition de renouveler son contrat pour une durée indéterminée à compter du 1er avril 2017 et sur laquelle l'administration est finalement revenue.
6. Il suit de là que les moyens tirés de ce que le délai de préavis applicable en matière de licenciement n'a pas été respecté, de ce que le requérant n'aurait pas bénéficié de l'entretien préalable à une telle mesure, de ce que la commission consultative paritaire de l'établissement n'a pas été saisie et de ce que la décision de licenciement serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés comme inopérants. Le détournement de pouvoir invoqué tiré de ce que le licenciement aurait pris la forme déguisée d'un non renouvellement de contrat n'est enfin pas établi.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision de non renouvellement du contrat :
7. Un agent qui a été recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficie d'aucun droit au renouvellement de son contrat. L'autorité compétente peut toujours décider, pour des motifs tirés de l'intérêt du service ou de ce que le comportement de l'agent n'a pas donné entière satisfaction, de ne pas renouveler le contrat d'un agent public recruté pour une durée déterminée et, par là-même, de mettre fin aux fonctions de cet agent. Il appartient au juge, en cas d'absence de reconduction de l'agent dans ses fonctions, de vérifier que cette décision est bien fondée dans l'intérêt du service.
8. L'établissement CentraleSupélec soutient, sans être sérieusement contredit sur ce point, que la réforme territoriale, qui a abouti à la création de treize nouvelles régions et à de nouvelles répartitions de compétences entre les collectivités territoriales, a entraîné une modification du contexte de développement de la chaire de Biotechnologie de l'Etablissement, la nouvelle région Grand Est s'étant donné pour ambition de développer des projets d'excellence en matière de biotechnologie. En définissant, pour cette chaire, de nouvelles orientations conduisant en particulier à poser l'exigence que les postulants justifient soit d'un doctorat, soit d'une habilitation à diriger des recherches (HDR) " afin d'accompagner les doctorants (de plus en plus nombreux) dans une synergie RetD permettant de développer les indicateurs académiques tout en maintenant la dynamique de transfert des résultats vers l'industrie ", l'établissement a porté sur les besoins du service une appréciation qui n'est entachée d'aucune erreur manifeste, alors que l'intéressé a reconnu lui-même, dans ses écritures, que la qualification de HDR était hautement souhaitée, même si elle ne constituait pas, à l'époque de son recrutement, une condition impérative à l'occupation de son poste. Or, il est constant que M. D... ne détient ni un doctorat ni une habilitation à diriger des recherches et ce seul motif était, par suite, de nature à justifier, dans l'intérêt du service, le non-renouvellement de son contrat.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision de non renouvellement :
9. Aux termes de l'article 45 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986, applicable à la situation de M. D... en vertu de l'article 5 de son contrat de travail : " Lorsque l'agent non titulaire est recruté par un contrat à durée déterminée susceptible d'être renouvelé en application des dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables, l'administration lui notifie son intention de renouveler ou non l'engagement au plus tard : (...) - trois mois avant le terme de l'engagement pour l'agent dont le contrat est susceptible d'être renouvelé pour une durée indéterminée en application des dispositions législatives ou réglementaires applicables. / La notification de la décision doit être précédée d'un entretien lorsque le contrat est susceptible d'être reconduit pour une durée indéterminée ou lorsque la durée du contrat ou de l'ensemble des contrats conclus pour répondre à un besoin permanent est supérieure ou égale à trois ans (...) ".
10. Il résulte de ces dispositions que la décision de ne pas renouveler le contrat d'un agent employé depuis six ans sous contrat à durée déterminée doit être précédée d'un entretien. Toutefois, hormis le cas où une telle décision aurait un caractère disciplinaire, l'accomplissement de cette formalité, s'il est l'occasion pour l'agent d'interroger son employeur sur les raisons justifiant la décision de ne pas renouveler son contrat et, le cas échéant, de lui exposer celles qui pourraient justifier une décision contraire, ne constitue pas pour l'agent, eu égard à la situation juridique de fin de contrat sans droit au renouvellement de celui-ci, et alors même que la décision peut être prise en considération de sa personne, une garantie dont la privation serait de nature par elle-même à entraîner l'annulation de la décision de non renouvellement, sans que le juge ait à rechercher si l'absence d'entretien a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision. Tel est également le cas du respect du délai de préavis de trois mois dont la méconnaissance n'a pas d'incidence sur la légalité de la décision de non renouvellement.
11. Dans ces conditions, s'il est constant que la notification, à M. D..., de la décision de non renouvellement de son contrat à son échéance n'a pas été précédée de l'entretien prévu par les dispositions citées au point 10 et n'est pas davantage intervenue dans le délai réglementaire de préavis, ces irrégularités n'ont pas, compte tenu notamment de ce qui est dit au point 9, été susceptibles d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise et n'ont pas privé l'intéressé d'une garantie.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur de CentraleSupélec du 30 janvier 2017.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
13. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
14. Le présent arrêt n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. D... doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de CentraleSupélec, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
17. Il y a lieu, pour le même motif, de mettre à la charge de M. D... le versement d'une somme de 1 500 euros à CentraleSupélec au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : M. D... versera à l'établissement public CentraleSupélec une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et à l'établissement public CentraleSupélec.
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N° 18NC01297