Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 juillet 2018, le 11 mars et le 1er avril 2019, l'EARL de la Croix de Mission et M. B..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 31 mai 2018 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 83 961,95 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'Etat a engagé sa responsabilité en raison de l'illégalité fautive du permis de construire délivré le 30 avril 2008, constatée par le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 22 mai 2012 ;
- ils n'ont commis aucune faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité en exécutant les travaux alors qu'une requête tendant à l'annulation de l'arrêté les autorisant était pendante ;
- ils n'ont pas commis de fraude lors du dépôt de la demande de permis de construire, de sorte que l'administration n'est pas fondée à demander à être exonérée de sa responsabilité pour ce motif ;
- ils sont fondés à demander à être indemnisés au titre des travaux de démolition, qu'implique nécessairement l'ordonnance du tribunal de grande instance de Metz qui a sursis à statuer sur les conclusions aux fins de démolition présentées par les voisins de la construction jusqu'à l'exécution des travaux autorisés par le permis de construire délivré le 10 avril 2017.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2019, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.
Elle s'en rapporte aux écritures de première instance du préfet de la Moselle.
Par une intervention enregistrée le 6 novembre 2018, et un mémoire enregistré le 1er avril 2019, la commune de Jallaucourt, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce que M. B... et l'EARL de la Croix de Mission lui versent une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucune illégalité fautive n'a été commise par la commune dès lors que le permis de construire annulé le 22 mai 2012 a été délivré sous la réserve expresse de respecter les prescriptions de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales en matière d'éloignement des habitations voisines ;
- les requérants ont commis une faute de nature à exonérer la commune de responsabilité en déposant une demande comportant des approximations faisant obstacle à l'examen des règles d'éloignement par le service instructeur ;
- le préjudice invoqué est inexistant dès lors que les requérants n'établissent pas avoir réalisé des travaux de mise en conformité et de démolition autrement que par le seul dépôt de deux permis de construire ;
- le préjudice est éventuel dès lors que le juge civil ne pourra prononcer la démolition du bâtiment dès lors que celui-ci n'est pas situé dans l'une des zones énumérées par l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme.
La clôture de l'instruction est intervenue le 4 avril 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dietenhoeffer, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., substituant Me F..., représentant M. B... et l'EARL de la Croix de Mission, ainsi que celles de Me A..., représentant la commune de Jallaucourt.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 30 avril 2008, le maire de Jallaucourt a délivré, au nom de l'Etat, un permis de construire un bâtiment à usage agricole à l'établissement agricole à responsabilité limitée (EARL) de la Croix de Mission, dont M. B... est représentant et exploitant. Par un jugement du 22 mai 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Strasbourg a, à la demande de propriétaires voisins, annulé cet arrêté. L'EARL de la Croix de Mission et M. B... font appel du jugement du 31 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 83 961,65 euros en réparation des préjudices de toute nature résultant de l'illégalité fautive du permis de construire du 30 avril 2008.
Sur l'intervention de la commune de Jallaucourt :
2. La commune de Jallaucourt ayant intérêt au rejet de la requête d'appel de l'EARL de la Croix de Mission et de M. B..., son intervention en défense doit être admise.
Sur la responsabilité de l'Etat :
3. Si l'illégalité d'un permis de construire délivré en méconnaissance des dispositions du code de l'urbanisme constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration à l'égard du pétitionnaire, ce dernier n'est fondé à demander à être indemnisé que des seuls préjudices présentant un caractère réel, direct et certain.
4. En premier lieu, la seule production d'un devis estimatif du 30 mars 2015 relatif aux travaux de démolition et de reconstruction d'un bâtiment agricole ne suffit pas à établir que des travaux de mise en conformité de la construction auraient été effectivement entrepris. En outre, si les appelants se prévalent du permis de construire qui, le 10 avril 2017, les a autorisés à construire un bâtiment d'élevage distant d'au moins cinquante mètres de la construction voisine, il résulte de la note descriptive jointe au dossier de demande de permis que ce projet de construction a pour unique objet d'améliorer les conditions de logement des bovins à viande de l'exploitation et des conditions de travail de l'éleveur. Au demeurant, selon le formulaire de demande de permis, et notamment sa rubrique 5.7, ce nouveau projet n'emporte pas, en tant que tel, suppression de surfaces existantes. Il en résulte que les requérants n'établissent pas que les travaux de démolition et de reconstruction, dont ils soutiennent qu'ils étaient nécessaires à la mise en conformité de la construction, auraient été réalisés.
5. En second lieu, par une ordonnance du 26 janvier 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Metz s'est borné à surseoir à statuer sur la demande de démolition présentée devant lui par les voisins de la construction, jusqu'à ce que soit mis en oeuvre le permis de construire délivré le 10 avril 2017, et ainsi cette ordonnance ne prononce ni la démolition de l'ouvrage ni aucune autre mesure de remise en état des lieux. En outre, les appelants ne démontrent pas ni même n'allèguent que la construction litigieuse serait située dans l'une des zones où, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable à l'instance pendante devant le tribunal de grande instance de Metz, un tribunal de l'ordre judiciaire peut condamner le propriétaire d'une construction édifiée conformément à un permis de construire à démolir cette dernière si ce permis a été annulé, sous réserve, au demeurant, d'être saisi de conclusions en ce sens présentées par le représentant de l'Etat dans le département. Par suite, ils n'établissent pas le caractère certain du préjudice dont ils demandent réparation au regard des suites susceptibles d'être apportées à l'action aux fins de démolition présentée par leurs voisins.
6. Il résulte de tout de ce qui précède que le préjudice correspondant au coût des travaux de démolition et de remise en état de la construction illégalement autorisée n'est que purement éventuel et que les appelants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs conclusions indemnitaires.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme que M. B... et l'EARL de la Croix de Mission demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées aux mêmes fins par la commune de Jallaucourt, qui en, sa qualité d'intervenante, n'est pas partie à l'instance, doivent également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de la commune de Jallaucourt est admise.
Article 2 : La requête de l'EARL de la Croix de Mission et de M. B... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Jallaucourt sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL de la Croix de Mission, à M. D... B..., à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la commune de Jallaucourt.
N° 18NC02116 2