Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 juin et 13 septembre 2018, le préfet du Doubs demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 8 juin 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... A... devant le tribunal administratif de Besançon.
Le préfet du Doubs soutient que :
- le jugement, qui est insuffisamment motivé, est irrégulier ;
- la seule circonstance qu'un ressortissant étranger manifeste son intention de demander l'asile lors de sa présentation au guichet d'une structure de premier accueil des demandeurs d'asile ne vaut pas présentation d'une demande d'asile. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 28 mai 2018 prononçant la remise de M. B... A... aux autorités italiennes au motif que la demande de prise au charge aurait été adressée aux autorités italiennes après l'expiration du délai de trois mois suivant l'introduction de la demande de protection prescrit par l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 24 juin 2013 ;
- l'arrêté portant remise aux autorités italiennes n'étant entaché d'aucune illégalité, le moyen tiré de ce que l'illégalité de cet arrêté entraîne l'illégalité de l'arrêté portant assignation à résidence ne peut qu'être écarté ;
- l'article 3 du jugement du 8 juin 2018 lui enjoignant de délivrer à M. B... A... une attestation de demande d'asile méconnaît l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'appel formé contre le jugement du 8 juin 2018 a eu pour effet de prolonger le délai de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 août 2018, M. B... A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros à verser à Me C..., avocat de M. B... A..., soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. B... A... soutient que la date à laquelle une structure de premier accueil des demandeurs d'asile, auprès de laquelle le demandeur doit se présenter en personne, établit le document écrit matérialisant l'intention de ce dernier de solliciter la protection internationale doit être regardée comme celle à laquelle est introduite cette demande au sens du paragraphe 2 de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 et fait donc partir le délai de trois mois fixé par l'article 21 paragraphe 1 du même règlement.
Par ordonnance du 1er février 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 22 février 2019.
M. B... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 27 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Laubriat, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet du Doubs fait appel du jugement du 8 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Besançon a, d'une part, annulé ses arrêtés du 28 mai 2018 prononçant la remise de M. B... A..., ressortissant soudanais, aux autorités italiennes et décidant l'assignation à résidence de ce dernier dans le département du Doubs pendant une durée maximale de 45 jours, d'autre part, lui a enjoint de délivrer à M. B... A... une attestation de demande d'asile, enfin a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991
Sur la régularité du jugement :
2. Le jugement attaqué cite les articles 20 et 21 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et indique les raisons pour lesquelles, en l'espèce, ces dispositions ont été méconnues. Le jugement est, par suite, suffisamment motivé.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'article 2 du jugement annulant les arrêtés du préfet du Doubs des 28 mai 2018 :
3. Aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Présentation d'une requête aux fins de prise en charge. 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif ("hit") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) no 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que si la requête de prise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés aux premier et deuxième alinéas de l'article 21 du règlement n° 604/2013, l'Etat membre auprès duquel a été introduit la demande de protection internationale devient responsable de l'examen de celle-ci.
5. Pour annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 28 mai 2018 prononçant la remise de M. B... A... aux autorités italiennes, le tribunal administratif de Besançon a considéré que les autorités françaises étaient devenues responsables de l'examen de la demande de protection internationale présentée par l'intéressé dès lors que la demande de prise en charge avait été adressée aux autorités italiennes après l'expiration du délai prescrit par les dispositions précitées de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 24 juin 2013.
6. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que M. B... A... s'est présenté, le 11 août 2017 à la plate-forme d'accueil des demandeurs d'asile de Besançon, puis le 11 octobre 2017 au guichet unique des demandeurs d'asile, d'autre part, qu'il est ressorti de la consultation de la base de données Eurodac le 11 octobre 2017 que les empreintes digitales de M. B... A... avaient été relevées par les autorités italiennes en juillet 2017, enfin que ces autorités ont été saisies le 13 novembre 2017 d'une demande de prise en charge.
S'agissant de la durée du délai dans lequel doit intervenir la requête aux fins de prise en charge :
7. Le délai spécifique de deux mois prévu au deuxième alinéa de l'article 21-1 du règlement Dublin III n'est applicable qu'en cas de réception d'un résultat positif Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 9 du règlement Eurodac, c'est-à-dire avec des données dactyloscopiques relevées à l'occasion d'une demande de protection internationale. Il ressort du point 1 de la partie II de la liste figurant à l'annexe II du règlement n° 1560/2003 qu'un tel résultat positif constitue une preuve de ce que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers. Ce résultat constitue donc, en application de l'article 22, paragraphe 3, sous a), i), de ce règlement, une preuve formelle qui détermine la responsabilité en vertu de ce critère, aussi longtemps qu'elle n'est pas réfutée par une preuve contraire. Par suite, la réception du résultat positif Eurodac mentionné au deuxième alinéa de l'article 21-1 dudit règlement est de nature à simplifier le processus de détermination de l'État membre responsable par rapport aux cas dans lesquels un tel résultat n'est pas reçu. Cette circonstance est, dès lors, susceptible de justifier l'application, le cas échéant, d'un délai plus court que le délai de trois mois visé au premier alinéa de l'article 21-1 du même règlement. Elle ne saurait, en revanche, justifier l'application d'un délai supplémentaire, s'ajoutant à ce délai.
8. Par ailleurs, l'interprétation de l'alinéa 2 de l'article 21-1 du règlement Dublin III doit être cohérente avec le premier alinéa de cet article, selon lequel la requête aux fins de prise en charge doit être formulée aussi rapidement que possible, et avec l'objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, mentionné au considérant 5 du préambule de ce règlement, de sorte que la réception d'un résultat positif Eurodac ne saurait être de nature à permettre d'outrepasser le délai de trois mois après l'introduction d'une demande de protection internationale mentionné au premier alinéa de cet article.
9. Il en résulte que l'article 21-1 du règlement Dublin III fait obstacle à ce qu'une requête aux fins de prise en charge puisse être valablement formulée plus de trois mois après l'introduction d'une demande de protection internationale, même si cette requête est formulée moins de deux mois après la réception d'un résultat positif Eurodac, au sens de cette disposition.
S'agissant du point de départ du délai dans lequel doit être formée la demande de prise en charge :
10. Aux termes de l'article 20 du règlement n° 604/2013 : " 1. Le processus de détermination de l'État membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un État membre. / 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite, le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal doit être aussi court que possible. (...) ".
11. Il résulte de ces dispositions ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-670/16, qu'au sens de cet article, une demande de protection internationale est réputée introduite lorsqu'un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l'autorité chargée de l'exécution des obligations découlant de ce règlement et, le cas échéant, lorsque seules les principales informations figurant dans un tel document, mais non celui-ci ou sa copie, sont parvenues à cette autorité. La cour a également précisé, dans cet arrêt, que, pour pouvoir engager efficacement le processus de détermination de l'Etat responsable, l'autorité compétente a besoin d'être informée, de manière certaine, du fait qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité une protection internationale, sans qu'il soit nécessaire que le document écrit dressé à cette fin revête une forme précisément déterminée ou qu'il comporte des éléments supplémentaires pertinents pour l'application des critères fixés par le règlement Dublin III ou, a fortiori, pour l'examen au fond de la demande, et sans qu'il soit nécessaire à ce stade de la procédure qu'un entretien individuel ait déjà été organisé (point 88).
12. Lorsque l'autorité compétente pour assurer au nom de l'Etat français l'exécution des obligations découlant du règlement Dublin III a, ainsi que le permet l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévu que les demandes de protection internationale doivent être présentées auprès de l'une des personnes morales qui ont passé avec l'OFII la convention prévue à l'article L. 744-1 de ce code, la date à laquelle cette personne morale, auprès de laquelle le demandeur doit se présenter en personne, établit le document écrit matérialisant l'intention de ce dernier de solliciter la protection internationale doit être regardée comme celle à laquelle est introduite cette demande de protection internationale et fait donc courir le délai de trois mois fixé au premier alinéa de l'article 21-1 de ce règlement. L'objectif de célérité dans le processus de détermination de l'Etat responsable, rappelé par l'arrêt précité de la CJUE, serait en effet compromis si le point de départ de ce délai devait être fixé à la date à laquelle ce ressortissant se présente au " guichet unique des demandeurs d'asile " (GUDA) de la préfecture.
13. Au cas d'espèce, M. B... A... a versé au dossier la convocation qui lui a été remise en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile au guichet unique de la préfecture du Doubs, prévu pour le 11 octobre 2017. Cette convocation, établie sur papier à en-tête de la République française, est datée du 11 août 2017 et lui a été délivrée par le service de premier accueil du Doubs. Dans ces conditions, la demande de protection internationale formée par M. B... A..., au sens de l'article 20 du règlement précité, doit être regardée comme ayant été introduite le 11 août 2017 et non, comme le soutient le préfet, à la date du rendez-vous en préfecture de l'intéressé le 11 octobre suivant. Ainsi, le délai de trois mois fixé par le premier alinéa de l'article 21-1 avait expiré lorsque, le 13 novembre 2017, le préfet a saisi les autorités italiennes de sa requête aux fins de prise en charge de l'intéressé. Dès lors, en application de l'alinéa 3 du même article, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale présentée par M. B... A... incombait, à la date de l'arrêté attaqué, à la France. Par suite, le préfet ne pouvait plus légalement décider de le transférer aux autorités italiennes.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a annulé son arrêté du 26 mai 2018 portant remise aux autorités italiennes de M. B... A..., ainsi que par voie de conséquence son arrêté du même jour décidant l'assignation à résidence de l'intéressé dans le département du Doubs pour une durée de quarante-cinq jours.
En ce qui concerne l'article 3 du jugement enjoignant au préfet de délivrer une attestation de demande d'asile :
15. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ".
16. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de M. B... A... vers l'Italie, tiré de ce que la responsabilité de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé incombait à la France, le présent arrêt implique nécessairement que l'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé en le munissant de l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévue dans cette hypothèse. Par suite, le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon lui a enjoint de délivrer à M. B... A... une attestation de demande d'asile.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
17. M. B... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocat de M. B... A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Doubs est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me C..., avocat de M. B... A..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... B... A....
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
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N° 18NC01862