Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 mai 2019, sous le n° 19NC01597, M. B..., représenté par Me Ciaudo, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 janvier 2019 en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 170,08 euros correspondant à des reliquats de salaire sur la période comprise entre novembre 2011 à août 2013, augmentée des intérêts et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
s'agissant de la régularité du jugement attaqué :
- en ne mettant pas en œuvre ses pouvoirs d'instruction pour établir l'existence et le montant de la créance en cause, le tribunal a méconnu son office ;
s'agissant de la créance alléguée :
- il a justifié de l'existence de reliquats de salaire lui étant dus pour un montant de 2 170,08 euros ;
- le calcul proposé par le garde des sceaux est erroné puisqu'il retient la rémunération nette alors que les textes applicables donnent droit aux détenus de percevoir la rémunération brute en pourcentage du SMIC horaire applicable et en fonction de la nature de leurs fonctions.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 28 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., détenu de la maison centrale d'Ensisheim, a travaillé aux services généraux " cuisines " de cet établissement de novembre 2011 à août 2013. Par une réclamation adressée en télécopie par la voie de son avocat au directeur de la maison centrale le 15 août 2016, reçue le même jour, il a sollicité le versement d'une somme de 2 170,08 euros correspondant, selon lui, à un reliquat de rémunération lui restant due. A la suite du rejet implicite de sa réclamation, M. B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser cette somme augmentée des intérêts et de leur capitalisation. Par un jugement du 17 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a partiellement fait droit à sa demande en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 90,10 euros, avec intérêts à compter du 4 janvier 2017 et capitalisation des intérêts échus à la date du 4 janvier 2018 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date. M. B... demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif de Strasbourg a jugé qu'il y avait lieu de limiter à 90,10 euros le montant de la créance de M. B... au titre du reliquat de rémunération lui restant due pour son activité au sein de la cuisine de la maison centrale d'Ensisheim de novembre 2011 à août 2013, en se référant uniquement aux erreurs de calcul admises par les services du ministre de la justice. En se bornant à retenir la créance ainsi reconnue par l'administration, au motif que M. B..., qui soutenait avoir droit au versement intégral de sa rémunération brute, n'explicitait pas le détail de ses calculs, fournissait un tableau dépourvu des précisions permettant d'en comprendre le sens et la portée et n'avait pas produit la copie de l'ensemble des bulletins de salaires relatifs à la période en litige, alors, d'une part, que les éléments communiqués par le ministre de la justice ne permettaient pas, eux-mêmes, de vérifier la justesse des rémunérations versées à l'intéressé et, d'autre part, qu'il appartenait au tribunal, s'il s'estimait insuffisamment informé par les pièces versées par M. B..., de faire usage de ses pouvoirs d'instruction, notamment en sollicitant de l'administration la production des bulletins de salaires manquants ainsi que toute explication complémentaire de nature à l'éclairer sur le calcul des rémunérations effectivement versées, les premiers juges ont méconnu leur office. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le jugement est entaché d'irrégularité et à en demander, pour ce motif, l'annulation.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Sur la demande de M. B... :
En ce qui concerne la prescription quadriennale :
4. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites au profit de l'Etat (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Selon l'article 3 de la même loi, la prescription ne court pas " contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de la créance ".
5. Lorsqu'un litige oppose un détenu à l'administration pénitentiaire sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit au titre du travail accompli pour le compte des services généraux de l'établissement pénitentiaire où il se trouve incarcéré, le fait générateur de la créance se trouve en principe dans les services accomplis par l'intéressé. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à ces services court, sous réserve des cas prévus à l'article 3 précité de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au titre de laquelle ils auraient dû être rémunérés.
6. Le fait générateur de la créance dont se prévaut M. B... est constitué par le service accompli par lui entre novembre 2011 et août 2013 pour le compte des services généraux au sein de la cuisine de la maison centrale d'Ensisheim. Si, en application des dispositions rappelées ci-dessus de la loi du 31 décembre 1968, le délai de prescription applicable aux rémunérations qui lui étaient dues en contrepartie des services accomplis en novembre et décembre 2011 devait en principe commencer à courir le 1er janvier 2012, il ne résulte pas de l'instruction et n'est ni établi, ni même soutenu par le ministre que l'intéressé se serait vu remettre les bulletins de salaire afférents à ces deux mois et aurait ainsi eu la possibilité matérielle d'en vérifier l'exactitude avant le terme de l'année 2011. Dans ces conditions, M. B... peut être regardé comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance, au moins jusqu'à la fin de l'année 2011. Ainsi, cette créance n'était pas prescrite à la date du 15 août 2016, à laquelle les services de l'administration pénitentiaire ont reçu la réclamation préalable de M. B... portant notamment sur les mois de novembre et décembre 2011. Il y a lieu, par suite, d'écarter l'exception de prescription quadriennale soulevée par le ministre de la justice.
En ce qui concerne la créance de M. B... :
7. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 717-3 du code de procédure pénale : " (...) Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail. (...) / Les règles relatives à la répartition des produits du travail des détenus sont fixées par décret. Le produit du travail des détenus ne peut faire l'objet d'aucun prélèvement pour frais d'entretien en établissement pénitentiaire. / La rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l'article L. 3231-2 du code du travail. Ce taux peut varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées. " Aux termes de l'article D. 432-1 du même code : " Hors les cas visés à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article 717-3, la rémunération du travail effectué au sein des établissements pénitentiaires par les personnes détenues ne peut être inférieure au taux horaire suivant : / (...) / 25 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance pour le service général, classe II ; / (...) / Un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, détermine la répartition des emplois entre les différentes classes en fonction du niveau de qualification qu'exige leur exécution ". Il résulte de l'instruction que M. B..., affecté à la cuisine de la maison centrale d'Ensisheim entre novembre 2011 et août 2013, a exercé ainsi un travail relevant du service général, classe II, dans la classification prévue par l'article D. 432-1 du code de procédure pénale précité.
8. D'autre part, aux termes de l'article D. 433-4 du code de procédure pénale : " Les rémunérations pour tout travail effectué par une personne détenue sont versées, sous réserve des dispositions de l'article D. 121, à l'administration qui opère le reversement des cotisations sociales aux organismes de recouvrement et procède ensuite à l'inscription et à la répartition de la rémunération nette sur le compte nominatif des personnes détenues, conformément aux dispositions de l'article D. 434. / Ces rémunérations sont soumises à cotisations patronales et ouvrières selon les modalités fixées, pour les assurances maladie, maternité et vieillesse, par les articles R. 381-97 à R. 381-109 du code de la sécurité sociale. / (...) ". S'agissant de l'assurance maladie et maternité, l'article R. 381-99 du code de la sécurité sociale fixe ainsi le taux de la cotisation à 4,20 % du montant brut des rémunérations versées aux détenus et prévoit que cette cotisation est à la charge de l'employeur. S'agissant de l'assurance vieillesse, l'article R. 381-104 du code de la sécurité sociale prévoit que les cotisations, salariale et patronale, sont fixées au taux de droit commun du régime général et assises sur le total des rémunérations brutes des détenus et l'article R. 381-105 dispose que " Lorsque le travail est effectué pour le compte de l'administration et rémunéré sur les crédits affectés au fonctionnement des services généraux, les cotisations, salariale et patronale, sont intégralement prises en charge par l'administration (...) ".
9. Enfin, en vertu de l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, il est institué une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement, dite contribution sociale généralisée, à laquelle sont notamment assujetties " 1° Les personnes physiques qui sont à la fois considérées comme domiciliées en France pour l'établissement de l'impôt sur le revenu et à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie ; / (...) ". Le I de l'article L. 136-2 du même code dispose que " La contribution est assise sur le montant brut des traitements, indemnités, émoluments, salaires (...). / Pour l'application du présent article, les traitements, salaires et toutes sommes versées en contrepartie ou à l'occasion du travail sont évalués selon les règles fixées à l'article L. 242-1. (...) ". L'article L. 242-1 du même code prévoit que, pour le calcul des cotisations de sécurité sociale dues pour les périodes au titre desquelles les revenus d'activité sont attribués, " sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire ". Le I de l'article 14 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale institue " une contribution sur les revenus d'activité et de remplacement mentionnés aux articles L. 136-2 à L. 136-4 du code de la sécurité sociale ", dite contribution au remboursement de la dette sociale, et prévoit que " Cette contribution est assise sur les revenus visés et dans les conditions prévues aux articles L. 136-2 à L. 136-4 et au III de l'article L. 136 8 du code de la sécurité sociale ".
10. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la cotisation d'assurance maladie et maternité et la cotisation patronale pour l'assurance vieillesse auxquelles sont soumises les rémunérations versées pour tout travail effectué par une personne détenue sont prises en charge par l'employeur, tandis que la cotisation salariale pour l'assurance vieillesse reste en principe à la charge de la personne détenue sauf dans le cas où celle-ci effectue un travail pour le compte des services généraux de l'administration pénitentiaire. Par ailleurs, quelle que soit la nature de leur activité, toutes les personnes détenues sont assujetties à la contribution sociale généralisée et la rémunération qu'elles perçoivent en contrepartie du travail qu'elles effectuent dans les conditions prévues à l'article 717-3 du code de procédure pénale entre dans l'assiette de la contribution sociale généralisée ainsi que dans celle de la contribution pour le remboursement de la dette sociale.
11. Il résulte de l'instruction que M. B... a exercé des fonctions au sein de la cuisine de la maison centrale d'Ensisheim entre novembre 2011 et août 2013. En application des dispositions, citées précédemment, de l'article D. 432-1 du code de procédure pénale, la rémunération de ce travail ne pouvait être inférieure au taux horaire de 25 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance, s'agissant de fonctions qui relevaient d'un service général de classe II, ainsi qu'il a été dit au point 7. Le taux minimum de rémunération horaire applicable à l'intéressé était ainsi de 2,25 euros en novembre 2011, de 2,298 euros en décembre 2011, de 2,305 euros de janvier à juin 2012, de 2,35 euros de juillet à décembre 2012 et enfin de 2,358 euros de janvier à août 2013. Si M. B... n'a pas produit l'ensemble des bulletins de salaire de la période en litige, le nombre mensuel d'heures de travail accomplies, tel qu'il apparaît dans le tableau récapitulatif qu'il présente n'est pas contesté par le ministre et est confirmé, pour les mois concernés, par les bulletins de salaires produits devant le tribunal. Il y a lieu, dès lors, d'établir la rémunération brute de M. B... en multipliant le nombre d'heures mensuel de travail figurant sur ce tableau par le taux horaire de rémunération correspondant à chacun des 22 mois concernés, tel qu'il vient d'être rappelé. La rémunération nette due à M. B... s'établit en ajoutant à cette rémunération brute le montant des sommes versées, pour chacun des mois de la période en litige à titre de gratification, tels qu'ils apparaissent sur les bulletins de salaires de l'intéressé et en en retranchant le montant correspondant de cotisation à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale. La créance de M. B... s'établit à une somme égale à la différence entre les rémunérations nettes qui lui ont été effectivement versées et celles à laquelle il avait droit en application des éléments de calculs qui viennent d'être énoncés. Il résulte de l'instruction que le montant de cette créance est supérieur à la somme de 90,10 euros, que le ministre de la justice reconnaît comme étant due à l'intéressé à titre de reliquat de rémunération. M. B... est par suite fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser le montant de ce reliquat. Toutefois, l'état de l'instruction ne permet pas de déterminer le montant exact des sommes ainsi dues à M. B.... Il y a lieu, dans ces conditions, de renvoyer le requérant devant le ministre de la justice pour qu'il soit procédé à la liquidation des sommes qui lui sont dues en exécution du présent arrêt.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
12. M. B... a droit à compter du 15 août 2016, date à laquelle l'administration pénitentiaire a reçu sa réclamation préalable, au versement des intérêts sur le montant des sommes qui lui sont dues à titre de reliquat de rémunération impayée. Les intérêts échus à la date du 15 août 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
14. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ciaudo, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Ciaudo de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 janvier 2019 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B... le reliquat de rémunération impayée qui lui est dû au titre de son activité au sein des services généraux de la maison centrale d'Ensisheim entre novembre 2011 et août 2013. M. B... est renvoyé devant le ministre de la justice pour qu'il soit procédé à la liquidation des sommes auxquelles il a droit à ce titre sur les bases définies dans les motifs du présent arrêt. Les sommes en cause porteront intérêt à compter du 15 août 2016 et ces intérêts seront capitalisés à la date du 15 août 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à Me Ciaudo une somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Ciaudo renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- M. Rees, président-assesseur,
- M. Goujon-Fischer, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mars 2022.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. Goujon-FischerLa présidente,
Signé : S. Vidal
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 19NC01597