Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 avril 2019, sous le n° 19NC01264, M. D..., représenté par Me Gauché, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement tribunal administratif de 20 décembre 2018 et de renvoyer le jugement de l'affaire au tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement :
- en mettant à la charge de l'Etat la somme de 1 249,68 euros au titre des reliquats de salaires dus ainsi que la somme de 500 euros en réparation du préjudice résultant du non-respect de l'article D. 432-1 du code de procédure pénale ;
- en annulant la décision implicite par laquelle le ministre de la justice, garde des sceaux, a refusé de lui transmettre des bulletins de paie modifiés et corrigés ;
- en enjoignant au ministre de la justice, garde des sceaux de produire de nouveaux bulletins de salaire, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;
- en mettant à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il omet, en violation de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, de viser les conclusions par lesquelles il demandait l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de communication de bulletins de paie rectifiés ;
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de l'erreur de droit entachant le refus implicite de communication de bulletins de paie rectifiés ;
- en s'abstenant de fixer définitivement la dette de l'État envers lui au motif qu'une provision d'un montant au moins égal à cette dette lui avait été accordée par le juge des référés, le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit ;
- le taux horaire sur la base duquel a été déterminée la rémunération de son travail en détention entre février 2013 et avril 2016 était inférieur à celui prévu par les dispositions des articles 717-3, alinéa 5 et D. 432-1 du code de procédure pénale ; il a ainsi perçu, sur cette période, un salaire brut de 8 586,73 euros au lieu de la somme de 9 836,41 euros qui lui était due et peut dès lors prétendre à un reliquat de salaire brut de 1 249,68 euros ;
- en n'appliquant pas le salaire minimum individuel désormais prévu à l'article D. 432-1 du code de procédure pénale, malgré les recommandations du contrôleur général des lieux de privation de liberté et les nombreuses condamnations par les juridictions administratives, l'administration pénitentiaire a commis une faute ;
- cette faute l'a privé de l'équivalent de près de six mois de ressources financières généralement considérées comme nécessaires pour vivre en détention ; il en est résulté un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, ainsi qu'une atteinte à sa dignité, qui peuvent être évalués à la somme globale de 300 euros ;
- en rejetant sa demande de production de bulletins de paie rectifiés des mentions inexactes relatives à sa rémunération, l'administration pénitentiaire a méconnu l'article R. 3242-1 du code du travail et commis une erreur de droit ;
Par un mémoire en défense enregistré le 9 septembre 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut :
1°) à titre principal, à ce que la cour prononce un non-lieu à statuer en l'état ;
2°) à titre subsidiaire, au rejet de la requête ;
Elle fait valoir que :
- le requérant étant décédé postérieurement à l'introduction de la requête sans que l'affaire soit en état d'être jugée, et en l'absence de reprise d'instance par les héritiers ou ayants-droit, il n'y a pas lieu, en application de l'article R. 634-1 du code de justice administrative, de statuer sur la requête ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;
Par un mémoire, enregistré le 6 octobre 2020, Madame B... C..., représentée par Me Gauché, déclare reprendre l'instance engagée par M. D..., aujourd'hui décédé.
Elle fait valoir qu'elle est l'unique héritière de M. D..., son fils.
A... mémoire a été produit par Me Gauché pour Madame C... le 2 septembre 2021 et n'a pas été communiqué.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 28 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., incarcéré à la maison centrale d'Ensisheim à compter du 21 juin 2012, y a exercé des activités de production pour le compte de la société Brennenstuhl, de manière discontinue de janvier 2013 à avril 2016, dans le cadre d'une concession de main-d'œuvre pénale. Par un courrier du 30 septembre 2016, il a demandé à la garde des sceaux, ministre de la justice, par la voie de son conseil, le versement de 1 249,68 euros au titre de reliquats de rémunération et de 500 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi en raison de l'insuffisance des rémunérations perçues, ainsi que la communication de bulletins de salaire corrigés tenant compte des reliquats dont il sollicitait le paiement. Le silence gardé pendant deux mois par la ministre a fait naître une décision implicite de rejet de ces demandes. M. D... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant au versement, à titre de provision, de la somme de 1 249,68 euros, augmentée des intérêts moratoires, à titre de reliquats de rémunération. Par une ordonnance du 12 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser à M. D... une provision de 1 089,65 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2016, correspondant à la somme que la garde des sceaux, ministre de la justice avait admis être due à l'intéressé au titre de ses rémunérations. Par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les demandes indemnitaires formulées au fond par M. D... au motif que le montant de la provision allouée par le juge des référés excédait la somme due à ce dernier au titre de reliquats de rémunération et que son préjudice moral n'était pas établi. M. D..., décédé depuis lors, a relevé appel de ce jugement.
Sur la reprise d'instance par Mme B... C... :
2. Aux termes de l'article R. 634-1 du code de justice administrative prévoit que " Dans les affaires qui ne sont pas en état d'être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès de l'une des parties ou par le seul fait du décès, de la démission, de l'interdiction ou de la destitution de son avocat. Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer avocat ".
3. Il résulte des attestations d'hérédité et de porte-fort établies le 1er septembre 2021 par Mme B... C..., mère de M. D..., lequel est l'auteur de la requête enregistrée au greffe de la cour sous le n° 19NC01264 et est aujourd'hui décédé, que celle-ci est également son héritière. Ainsi Mme C... est recevable à reprendre l'instance engagée de son vivant par M. D....
4. Eu égard à cette reprise d'instance, il y a lieu de rejeter les conclusions de la garde des sceaux, ministre de la justice, tendant au prononcé d'un non-lieu à statuer en l'état.
Sur la régularité du jugement attaqué :
5. En premier lieu, il ressort de la lecture du jugement attaqué que, pour rejeter les conclusions de M. D... tendant au versement de reliquats de rémunération de 1 249,68 euros, le tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, jugé que l'intéressé ne justifiait pas avoir droit à ce titre à une somme supérieure au montant de 1 080,76 euros, admis par la garde des sceaux, ministre de la justice comme lui étant dû, et, d'autre part, relevé que le montant alloué par le juge des référés à titre de provision au titre de ce même reliquat était au moins égal à la somme que le requérant était fondé à réclamer. En statuant ainsi, le tribunal s'est pleinement prononcé sur les conclusions indemnitaires dont il était saisi au fond et n'a, dès lors, pas méconnu son office.
6. En second lieu, il ressort des écritures produites par M. D... devant le tribunal administratif de Strasbourg que l'intéressé avait présenté des conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice avait rejeté sa demande de communication de fiche de paie rectifiées tenant compte des reliquats de rémunération lui étant dus. En s'abstenant de statuer sur ces conclusions qu'il n'a au surplus pas visées, le tribunal a entaché son jugement d'une omission à statuer. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité, il y a lieu d'annuler, dans cette mesure, ce jugement.
7. Il y a lieu d'évoquer les conclusions tendant à l'annulation de la décision de la garde des sceaux, ministre de la justice refusant implicitement à M. D... la communication de fiches de paie rectifiées et d'y statuer immédiatement.
Sur les conclusions indemnitaires :
8. En premier lieu, aux termes de l'article 717-3 : " Les activités de travail et de formation professionnelle ou générale sont prises en compte pour l'appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des condamnés. / Au sein des établissements pénitentiaires, toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle, une formation professionnelle ou générale aux personnes incarcérées qui en font la demande. / Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail. Il peut être dérogé à cette règle pour les activités exercées à l'extérieur des établissements pénitentiaires. / Les règles relatives à la répartition des produits du travail des détenus sont fixées par décret. Le produit du travail des détenus ne peut faire l'objet d'aucun prélèvement pour frais d'entretien en établissement pénitentiaire. / La rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l'article L. 3231-2 du code du travail. Ce taux peut varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées ". Aux termes de l'article D. 432-1 du même code : " Hors les cas visés à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article 717-3, la rémunération du travail effectué au sein des établissements pénitentiaires par les personnes détenues ne peut être inférieure au taux horaire suivant : / 45 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance pour les activités de production (...) ".
9. Il résulte de l'instruction que M. D..., détenu à la maison centrale d'Ensisheim, a été employé à une activité de production dans le cadre d'une convention de concession liant l'administration pénitentiaire à une entreprise privée, de janvier à juin 2013, de septembre 2013 à janvier 2015, en mars 2015 et de septembre 2015 à avril 2016. L'acte d'engagement au travail le concernant prévoyait une rémunération de 4,32 euros, fixée sur la base d'un taux horaire minimum correspondant à 45 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance. La garde des sceaux, ministre de la justice, a admis que le calcul des rémunérations versées à M. D... au titre des périodes indiquées précédemment comportait des erreurs et a fourni un tableau récapitulatif, dont il ressort que les rectifications effectuées l'ont été sur la base du taux horaire minimum correspondant à 45 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance prévu par l'article D. 432-1 du code de procédure pénale. Si M. D... a lui-même présenté un tableau comportant des montants de rémunération dus supérieurs à ceux indiqués par la ministre, il ne justifie pas par les éléments de calcul de ce seul document, qui n'incluent pas au demeurant le montant des charges sociales à déduire de la rémunération brute, avoir droit, aux titre de ses reliquats de rémunération, à une somme supérieure à celle de 1 080,76 euros, sur la base de laquelle ses rémunérations ont été rectifiées. Eu égard au montant alloué par le juge des référés, supérieur à cette somme, l'intéressé n'est pas fondé à solliciter le versement d'une indemnité supplémentaire.
10. En second lieu, s'il est soutenu que M. D..., en étant privé de sommes auxquelles il avait droit à titre de rémunération de son activité de production, a subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence liés à l'impossibilité de cantiner plus de produits nécessaires ou de présenter des garanties de réinsertion sociales plus solides en indemnisant davantage les parties civiles ainsi qu'en se constituant un pécule de sortie plus important, ainsi qu'à l'atteinte portée à sa dignité, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard notamment aux montants des sommes en litige et des rectifications opérées par l'administration pénitentiaire, que celui-ci ait subi un préjudice distinct de celui qui a été réparé par le versement des reliquats de rémunération qui lui étaient dus.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme C..., qui a repris l'instance engagée par M. D..., n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les demandes indemnitaires de ce dernier.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de la garde des sceaux, ministre de la justice refusant implicitement à M. D... la communication de fiches de paie rectifiées :
12. Il résulte de l'ensemble des dispositions du code de procédure pénale rappelées ci-dessus que le législateur a souhaité favoriser le travail des personnes détenues pour faciliter leur réinsertion à l'issue de leur détention. Afin de concilier les exigences inhérentes à la détention avec l'octroi des garanties dont elles ont vocation à bénéficier dans le cadre de leur travail, celui-ci n'a cependant pas entendu soumettre ces personnes au droit commun des relations du travail tel qu'il résulte, en cas de conclusion d'un contrat de travail, des dispositions du code du travail. En particulier, aucune disposition n'a rendu applicables aux détenus les dispositions de l'article R. 3242-1 du code du travail relatives aux modalités de versement des rémunérations des salariés. Par suite, ces dispositions ne sauraient, en tout état de cause, être utilement invoquées à l'encontre de la décision implicite par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de M. D... tendant à la communication de fiches de paie rectifiées. Les conclusions dirigées contre cette décision implicite ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions indemnitaires et celles présentées à fin d'annulation de la décision de la garde des sceaux, ministre de la justice, refusant implicitement à M. D... la communication de fiches de paie rectifiées, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions de la requête à fin d'injonction.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les conclusions de la garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à ce que la cour prononce un non-lieu à statuer en l'état sont rejetées.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 décembre 2018 est annulé en tant qu'il omet de statuer sur les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la garde des sceaux a rejeté sa demande de communication de fiches de paie rectifiées.
Article 3 : Les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la garde des sceaux a rejeté sa demande de communication de fiches de paie rectifiées, présentées devant le tribunal administratif de Strasbourg, ainsi que le surplus des conclusions de la requête d'appel sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Vidal, présidente de chambre,
M. Rees, président-assesseur,
M. Goujon-Fischer, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 septembre 2021.
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N° 19NC01264