Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 novembre 2017, le préfet de la Moselle demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 2 novembre 2017 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme B...devant le tribunal administratif de Nancy ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat afin qu'il donne son avis sur la question de la compatibilité de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avec l'article 8-3 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
Le préfet soutient que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas incompatible avec l'article 8-3 de la directive 2013/33/UE, qui impose seulement aux Etats membres de définir dans leur droit national les motifs de placement en rétention, mais pas les critères objectifs permettant de considérer une demande d'asile comme dilatoire. L'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pris pour la transposition de cette directive retient notamment comme motif de placement en rétention celui indiqué au point d) de l'article 8-3, à savoir le cas où un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier et placé en rétention dans l'attente de l'exécution d'une mesure d'éloignement présente une demande d'asile en vue de faire échec à cette mesure. Conformément à l'article 8-3 de la directive, l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impose en cette hypothèse à l'autorité administrative de justifier sur la base de critères objectifs qu'il existe des raisons de penser que la demande est dilatoire.
La requête a été communiquée à M. et MmeB..., qui n'ont pas présenté de mémoire en défense.
Par ordonnance du 19 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 22 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;
- la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2015-1166 du 21 septembre 2015 pris pour l'application de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Laubriat, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et MmeB..., ressortissants algériens, ont déclaré être entrés en France le 9 février 2017 sans être munis d'un document leur permettant de circuler sur le territoire français. Ils ont été interpellés le 12 octobre 2017 par les services de police aux frontières Est. Par deux arrêtés du 12 octobre 2017, le préfet de la Moselle leur a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a ordonné leur placement en rétention administrative pour une durée de quarante huit heures. Le 17 octobre 2017, alors qu'ils se trouvaient toujours en rétention administrative, M. et Mme B... ont déposé une demande d'asile. Par deux arrêtés du 18 octobre 2017, le préfet de la Moselle a décidé leur maintien en rétention durant le temps nécessaire à l'examen de leurs demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Le préfet de la Moselle fait appel du jugement du 2 novembre 2017 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, annulé les arrêtés du 18 octobre 2017, d'autre part, enjoint au préfet de la Moselle de délivrer à M. et Mme B...l'attestation de demande d'asile prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nancy :
2. Pour annuler les décisions du préfet de la Moselle du 18 octobre 2017 portant maintien en rétention de M. et MmeB..., le premier juge s'est fondé sur l'incompatibilité des dispositions de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du décret n° 2015-1166 du 21 septembre 2015 susvisé avec celles du 3 de l'article 8 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013, cette incompatibilité résultant de ce que le délai de transposition de cette directive a expiré sans que ces dispositions législatives et réglementaires n'aient défini les critères objectifs permettant à l'administration d'examiner la situation particulière de chaque demandeur d'asile.
3. L'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, issu de l'article 16 de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, dispose : " Lorsqu'un étranger placé en rétention en application de l'article L. 551-1 présente une demande d'asile, l'autorité administrative peut, si elle estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement, maintenir l'intéressé en rétention le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celui-ci, dans l'attente de son départ, sans préjudice de l'intervention du juge des libertés et de la détention. La décision de maintien en rétention est écrite et motivée. A défaut d'une telle décision, il est immédiatement mis fin à la rétention et l'autorité administrative compétente délivre à l'intéressé l'attestation mentionnée à l'article L. 741-1. (...) ".
4. Aux termes de l'article 8 de la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 susvisée : " 1. Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu'elle est un demandeur conformément à la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale. 2. Lorsque cela s'avère nécessaire et sur la base d'une appréciation au cas par cas, les États membres peuvent placer un demandeur en rétention, si d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées. 3. Un demandeur ne peut être placé en rétention que : a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ; b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu'il y a risque de fuite du demandeur ; c) pour statuer, dans le cadre d'une procédure, sur le droit du demandeur d'entrer sur le territoire ; d) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d'une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour préparer le retour et/ou procéder à l'éloignement, et lorsque l'État membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d'accéder à la procédure d'asile, qu'il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour ; e) lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l'ordre public l'exige ; f) conformément à l'article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride. / Les motifs du placement en rétention sont définis par le droit national. ".
5. Si le paragraphe 3 de l'article 8 précité prévoit que, s'agissant des demandeurs placés en rétention dans le cadre d'une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE, l'État membre concerné doit être à même de justifier du bien-fondé de la mesure de rétention sur la base de critères objectifs, il n'impose pas expressément aux Etats membres d'inscrire la définition de ces critères dans leur droit national. Une telle exigence ne résulte pas davantage du principe général de droit communautaire de sécurité juridique. Au demeurant, le paragraphe 3 de l'article 8 précité énumère de manière précise et exhaustive les différents motifs susceptibles de justifier un placement en rétention et permet ainsi de rendre suffisamment prévisible leur mise en oeuvre.
6. Dès lors, en prévoyant à l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité administrative peut, si elle estime, sur le fondement de critères objectifs, que la demande d'asile est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement, maintenir l'intéressé en rétention, le législateur n'a pas procédé à une transposition incorrecte ou incomplète de la directive et il n'en a pas davantage fait une interprétation contraire aux droits fondamentaux ou aux principes généraux du droit de l'Union. A plus forte raison, il en va de même pour les auteurs du décret n° 2015-1166 du 21 septembre 2015 susvisé.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur le fondement de l'article L. 111-3 du code de justice administrative, que le préfet de la Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les décisions litigieuses, le premier juge s'est fondé sur l'incompatibilité des dispositions de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du décret n° 2015-1166 du 21 septembre 2015 susvisé avec le paragraphe 3 de l'article 8 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 susvisée.
8. Toutefois, il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et MmeB....
Sur les autres moyens soulevés par M. et Mme B...:
9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 9 octobre 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Moselle du même jour, le préfet de la Moselle a donné délégation à Mme E...C..., directrice de l'immigration et de l'intégration, à l'effet de signer l'ensemble des actes se rapportant aux matières relevant de sa direction, à l'exclusion de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions de maintien en rétention. L'article 4 du même arrêté prévoit que M.F..., adjoint au chef du bureau de l'éloignement et de l'asile de la préfecture de la Moselle, est habilité à signer les décisions, pour les matières relevant de son bureau, en lieu et place de Mme C...en cas d'absence ou d'empêchement de cette dernière. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... n'était pas absente ou empêchée le 18 octobre 2017, lorsque M. F...a signé les arrêtés en litige. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des arrêtés attaqués doit être écarté.
10. En second lieu, il ressort des termes des décisions attaquées que, pour considérer que les demandes d'asile de M. et Mme B...avaient été présentées dans le seul but de faire échec à leur éloignement, le préfet s'est fondé sur la date de leur arrivée en France le 9 février 2017, soit plus de neuf mois auparavant, sur leurs déclarations aux agents de la police aux frontières selon lesquelles ils n'encourent aucun risque ou menace grave en cas de retour dans leur pays d'origine et enfin sur la circonstance qu'ils ont présenté une demande d'asile 5 jours après leur placement en rétention alors qu'ils n'avaient entrepris jusqu'alors aucune démarche afin de régulariser leurs situations administratives. Le préfet de la Moselle s'étant ainsi fondé sur des éléments objectifs permettant raisonnablement de penser que M. et Mme B...ont présenté des demandes d'asile à seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution des obligations de quitter le territoire français prises à leur encontre le 12 octobre 2017, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que les arrêtés du 18 octobre 2017 décidant leur maintien en détention le temps nécessaire à l'examen de leurs demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides seraient entachés d'erreur manifeste d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé ses arrêtés du 18 octobre 2017 prononçant le maintien en rétention de M. et Mme B....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1702836-1702837 du 2 novembre 2017 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme B...devant le tribunal administratif de Nancy sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. D...B...et à Mme A...B....
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
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N° 17NC02785