Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2019, Mme F... B... épouse A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 juillet 2019 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 5 février 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale ", et à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour le temps de procéder à un nouvel examen de sa situation, et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le préfet a commis une erreur de fait, une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation eu égard aux dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision contestée porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale et méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me C..., représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., née en 1953 et de nationalité ivoirienne, est entrée régulièrement en France le 31 janvier 2015 munie d'un passeport et d'un visa de court séjour. A la suite de son mariage avec un ressortissant français, Mme A... a obtenu la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " valable jusqu'au 22 février 2018. Elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Par arrêté du 5 février 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui renouveler son titre de séjour au motif que la communauté de vie avait cessé entre les conjoints. Mme A... relève appel du jugement du 26 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 5 février 2018.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° de l'article L. 313-11 est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé, sauf si elle résulte du décès du conjoint français. Toutefois, lorsque l'étranger a subi des violences familiales ou conjugales et que la communauté de vie a été rompue, l'autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger et en accorde le renouvellement (...) ".
3. Si les dispositions précitées de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne créent aucun droit au renouvellement du titre de séjour d'un étranger dont la communauté de vie avec son conjoint de nationalité française a été rompue en raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de ce dernier, de telles violences, subies pendant la vie commune, ouvrent la faculté d'obtenir, sur le fondement de cet article, un titre de séjour, sans que cette possibilité soit limitée au premier renouvellement d'un tel titre. Il incombe à l'autorité préfectorale, saisie d'une telle demande, d'apprécier, sous l'entier contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'intéressé justifie le renouvellement du titre à la date où il se prononce, en tenant compte, notamment, du délai qui s'est écoulé depuis la cessation de la vie commune et des conséquences qui peuvent encore résulter, à cette date, des violences subies.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a épousé le 4 février 2017 M. A..., ressortissant français. Elle a bénéficié d'un titre de séjour en qualité de conjoint de français valable jusqu'au 22 février 2018. Le 5 février 2018, elle s'est présentée en préfecture afin d'obtenir le renouvellement de ce titre de séjour en se prévalant de faits de violence de son conjoint qui l'ont contrainte à quitter le domicile conjugal et du dépôt d'une requête en divorce le 3 octobre 2017. Mme A... a définitivement quitté le domicile conjugal le 24 juillet 2017 comme en atteste sa déclaration de main-courante du même jour. Pour établir les violences conjugales, la requérante produit un dépôt de plainte du 15 juillet 2017 à l'encontre de son conjoint pour des faits de violences physiques et morales et d'injures raciales dans un cadre privé. Elle produit également son audition du 20 avril 2018 dans le cadre de l'enquête préliminaire où elle y explique avec une grande précision les violences morales et sexuelles qui l'ont incitée à fuir son époux. Elle se prévaut par ailleurs des suites défavorables d'une intervention chirurgicale du rachis lombaire subie en octobre 2016 en raison, selon elle, des coups de poing assénés par son conjoint. Si Mme A... produit à cet effet un rapport médicolégal du 21 juillet 2017, ce compte-rendu précise que l'imputabilité de la douleur à la mobilisation de la hanche droite et les difficultés de marche de l'intéressée aux faits de violence invoqués est difficilement évaluable compte tenu des antécédents. Le certificat médical d'un médecin de la clinique Bellefontaine du 24 juin 2019, prenant en charge Mme A... pour une rééducation, confirme que l'origine des troubles neurologiques des membres inférieurs est difficile à déterminer dans le contexte d'une pathologie rachidienne lombaire et d'un diabète. Par contre, s'agissant des conséquences psychologiques des violences physiques, morales et sexuelles, le médecin médicolégal note dans son rapport du 21 juillet 2017 un retentissement psychologique chronique important et préconise une expertise spécialisée. Il en déduit une incapacité totale de travail inférieure à huit jours pour chacun des épisodes de violence. Pour la première fois en appel, Mme A... produit une attestation du centre d'information des droits des femmes et des familles du 6 août 2017 qui relate la prise en charge de Mme A... depuis le 17 mai 2017. La juriste souligne la détresse psychologique de la requérante à cette période. Cet élément est confirmé par l'attestation de M. E... qui a constaté l'état psychologique de Mme A... et l'a accompagnée auprès du médecin judiciaire et en gendarmerie afin de faire constater les violences subies. Il affirme avoir aidé financièrement Mme A... qui était dépourvue de toute ressource de la part de son mari. Dans ces circonstances très particulières, eu égard aux éléments produits qui corroborent l'impact psychologique des violences sexuelles et morales subies par Mme A... de la part de son conjoint, la communauté de vie doit être regardée comme ayant été rompue du fait de l'existence de violences conjugales. Il s'ensuit que le préfet de Meurthe-et-Moselle a fait une inexacte application des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant, par la décision en litige, de renouveler le titre de séjour de la requérante.
5. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 4, l'exécution du présent arrêt implique que soit délivré à Mme A..., un titre de séjour mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, par suite, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle, de délivrer le titre de séjour sollicité par l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
7. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser au conseil de Mme A... au titre des frais d'instance non compris dans les dépens, sous réserve qu'il soit renoncé à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 26 juillet 2019 et l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 5 février 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera au conseil de Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B... épouse A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
2
N° 19NC03719