M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 19 août 2019 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 24 mois.
Par un jugement n° 1902396 du 22 août 2019, la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrés sous le n°20NC00068, les 10 et 13 janvier et 8 juin 2020, M. A... C..., représenté par la SCP A. Levi-Cyferman et L. Cyferman, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 août 2019 en tant que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) d'annuler cet arrêté du 9 août 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour avec autorisation de travail ou à défaut de réexaminer sa demande et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet a méconnu son droit d'être entendu garanti par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur d'appréciation au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
II. Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrés sous le n°20NC00087, les 13 janvier et 8 juin 2020, M. A... C..., représenté par la SCP A. Levi-Cyferman et L. Cyferman, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 août 2019 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 19 août 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour avec autorisation de travail ou à défaut de réexaminer sa demande et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- sa situation constitue une circonstance humanitaire empêchant de lui faire interdiction de retour sur le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né en 1994 et de nationalité algérienne, serait entré irrégulièrement en France en 2015 selon ses déclarations. Il a été interpellé par la police aux frontières le 7 août 2019. Par arrêté du 9 août 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 33 mois. M. C... relève appel par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, des jugements du 12 août 2019 en tant que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté le surplus de sa demande et du 22 août 2019 par lequel la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur l'obligation de quitter le territoire français sans délai :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Il résulte cependant de la jurisprudence de la cour de justice de l'union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
3. Il résulte toutefois de la jurisprudence de cette même cour de justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. En outre, ainsi que la cour de justice l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
4. Il ressort des pièces du dossier que lors de son audition du 8 août 2019 par la police aux frontières, dans le cadre de l'enquête diligentée pour détention et usage de faux document, M. C... a été informé de ce que le préfet était susceptible de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement assorti d'un placement en rétention ou d'une assignation à résidence, et d'une interdiction de retour. Il a pu utilement faire valoir ses observations en mentionnant préférer regagner l'Allemagne plutôt que d'être éloigné vers l'Algérie, être en couple et vouloir se marier, et être en bonne santé. Dans ces conditions, M C... a été informé de l'éventualité d'une mesure d'éloignement et a été mis à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur les décisions prises à son encontre lui faisant obligation de quitter le territoire français et refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.
5. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
6. Il ressort des pièces du dossier que M. C... prétend être en France depuis 2015. Cependant, son frère a déclaré au cours d'une audition par les services de la police aux frontières qu'il était arrivé en France en 2016 ou 2017. En se bornant à produire une facture d'achat dans un supermarché du 24 décembre 2015 le requérant n'établit pas sa présence en France en 2015. Il ne justifie ainsi que de trois années de présence en France à la date de la décision attaquée. Par ailleurs, M. C..., entré irrégulièrement en France, n'a jamais tenté de régulariser sa situation. De plus, la relation de M. C... avec sa compagne est récente, le couple ne vivant ensemble que depuis janvier 2019 et leur mariage religieux a été célébré en avril 2019, soit quelques mois seulement avant les décisions attaquées. Il ne peut par suite se prévaloir de la stabilité de sa relation avec sa compagne et les deux enfants que cette dernière a eu d'une précédente union. La circonstance qu'il attend un enfant avec cette dernière est sans influence sur la légalité des décisions attaquées, la grossesse de sa compagne étant en tout état de cause postérieure. M. C... n'est pas dépourvu d'attaches familiales en Algérie où vivent ses parents et une partie de sa fratrie. S'il se prévaut de la présence en France d'une partie de sa famille, et notamment de ses deux frères, le préfet fait valoir qu'un de ses frères n'est pas en situation régulière et le requérant ne justifie pas, par la seule production d'attestations non circonstanciées, de l'intensité des liens qu'il a avec sa famille en France. Dans ces conditions, et en dépit de l'insertion professionnelle du requérant et du commencement d'une relation, le préfet n'a pas porté au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels la décision contestée a été prise. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
7. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En second lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III. _ L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) ". Il résulte de ces dispositions que, réserve faite de circonstances humanitaires, l'interdiction de retour est prononcée dès lors que tout délai de départ volontaire a été refusé, comme en l'espèce.
9. En faisant valoir sa relation avec sa compagne et ses enfants et les liens qu'il aurait avec sa famille en France, M. C... n'établit pas, pour les motifs exposés au point 6 du présent arrêt, que l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de 24 mois porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision contestée a été prise, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il résulte de tout ce qui précède, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 20NC00068, 20NC00087