Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 février 2020, Mme E..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 septembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 9 août 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours suivant la notification du présent arrêt, le cas échéant, sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle viole les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
S'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français :
- cette décision n'est pas suffisamment motivée au regard des quatre critères prévus au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen approfondi de sa situation privée et familiale ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle ne s'est pas soustraite à une précédente mesure d'éloignement et qu'elle ne représente pas une menace pour l'ordre public ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2021, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 23 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme C..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., de nationalité géorgienne née en 1978, est entrée sur le territoire français, selon ses déclarations, le 10 juillet 2017. Sa demande d'asile a été rejetée tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 14 septembre 2018 que par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 2 mai 2019. Elle a présenté une demande de réexamen de sa demande d'asile qui a été déclarée irrecevable par une décision de l'OFPRA du 27 juin 2019. Par arrêté du 9 août 2019, le préfet de la Moselle a abrogé l'attestation de demande d'asile dont elle était titulaire, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Mme E... relève appel du jugement du 30 septembre 2019, par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté 9 août 2019 :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". D'autre part, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... est entrée en France en 2017, à l'âge de 39 ans. Si elle allègue s'être parfaitement intégrée en France et que ses trois enfants y sont d'ailleurs scolarisés, il ressort toutefois des pièces du dossier que, compte tenu du caractère récent de son entrée en France à la date de l'arrêté contesté et du fait que son époux, M. D..., fait également l'objet d'une mesure d'éloignement, rien ne faisait obstacle à ce que Mme E... retourne dans son pays d'origine avec ses enfants où ces derniers peuvent poursuivre leur scolarité. La requérante fait également valoir que son fils aîné bénéficie d'un suivi psychiatrique au service de psychiatrie infanto-juvénile de Moselle. Toutefois, par les éléments produits, notamment le certificat médical du 26 septembre 2019 dans lequel le médecin psychiatre se borne à attester avoir reçu le fils de la requérante en consultation et la référence aux termes généraux du rapport de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) du 28 août 2018 concernant l'accès aux soins psychiatriques en Géorgie, la requérante ne démontre pas que son fils ne pourrait pas bénéficier dans ce pays des soins nécessités par son état de santé. Dans ces conditions, la décision l'obligeant à quitter le territoire français n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette mesure a été prise, ni n'est contraire à l'intérêt des enfants. Dès lors, cette décision n'a méconnu ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour les mêmes raisons, cette décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de la requérante.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
4. Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
5. En se bornant à soutenir qu'un retour dans son pays d'origine l'exposera à des risques de traitements dégradants et inhumains, sans apporter aucun élément probant, Mme E... n'établit pas que le préfet de la Moselle a méconnu les stipulations précitées en fixant la Géorgie comme pays de destination. Par suite le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
6. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
7. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs.
8. La décision en litige, qui rappelle les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne que les liens de Mme E... avec la France ne sont pas intenses et stables et qu'elle est présente sur le territoire national depuis juillet 2017. Elle ajoute que son époux fait également l'objet d'une mesure d'éloignement, qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et qu'elle ne représente pas une menace pour l'ordre public. Elle précise également que dans ces conditions une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an est justifiée. Par suite, le préfet de la Moselle n'a pas entaché sa décision d'une insuffisance de motivation. Dès lors, ce moyen doit être écarté.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait assorti l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an sans procéder à un examen préalable de la durée du séjour et de la situation personnelle et familiale de Mme E... en France. Il ressort en revanche des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, l'intéressée ne justifiait que d'une durée brève de présence en France. En outre, ses liens avec la France se limitaient à la présence de son époux, qui lui-même faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et à ses trois enfants avec lesquels il lui est possible de retourner dans son pays d'origine. Dans ces conditions, et alors même que la requérante n'avait pas fait l'objet antérieurement d'une mesure d'éloignement et ne constituait pas une menace à l'ordre public, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 511-1, citées au point 3, en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté attaqué.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
11. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme E....
Sur les frais liés à l'instance :
12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
13. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
N° 20NC00467 2