Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 septembre 2019 et 9 décembre 2020, Mme C... B..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 juillet 2019 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 18 janvier 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- dès lors que le tribunal administratif a regardé sa requête comme recevable, sa demande de titre de séjour devait être regardée comme complète par la préfecture ; le tribunal a ainsi commis une erreur de droit ;
- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur l'arrêté attaqué :
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'aucune disposition n'impose la production d'un passeport pour se voir délivrer un titre de séjour ;
- il méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2020, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Il soutient les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 novembre 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née en 1992 en Allemagne, serait entrée irrégulièrement en France le 25 janvier 2004 alors mineure, accompagnée de ses parents et de sa soeur. Le 29 juin 2011, elle a obtenu la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de mineure entrée en France avant l'âge de treize ans. Mme B... s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an le 5 avril 2012 et a bénéficié de récépissés de demande de renouvellement de son titre de séjour jusqu'au 3 janvier 2018. Le 9 février 2015, elle a déposé une demande de reconnaissance d'apatridie, qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 8 août 2016. Le 20 juillet 2018, elle a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Par arrêté du 18 janvier 2019, le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Mme B... relève appel du jugement du 9 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 18 janvier 2019.
Sur la régularité du jugement :
2. A supposer même que la requérante ait entendu contester la régularité du jugement, les moyens tirés de ce que le tribunal administratif a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation des faits relèvent du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
4. La demande de titre de séjour de Mme B... a été refusée par l'arrêté attaqué du 18 janvier 2019 au motif que la requérante ne justifiait pas de son état civil. Le préfet a cependant analysé les conséquences de son arrêté sur la situation personnelle de l'intéressée, notamment au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions, en procédant effectivement à l'examen de la situation personnelle et familiale de l'intéressée au regard de son droit au séjour, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est opérant.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., née en 1992 en Allemagne, est entrée irrégulièrement en France le 25 janvier 2004 alors mineure, accompagnée de ses parents et de sa soeur. Le 29 juin 2011, elle a obtenu la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de mineure entrée en France avant l'âge de treize ans. Puis, Mme B... s'est vue délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an le 5 avril 2012. Sa demande de renouvellement a été tacitement rejetée. Il n'est pas contesté qu'elle est ainsi en France depuis quinze ans à la date de la décision attaquée. Elle est en couple avec M. E..., de nationalité kosovare, qui bénéficie du statut de réfugié. Quatre enfants sont nés en France de leur union en 2011, 2012, 2014 et 2017. Les enfants sont scolarisés en France. Mme B... dispose d'attaches familiales en France, où vivent régulièrement ses beaux-parents, son frère et sa soeur. Dans ces conditions, eu égard à la durée de séjour en France, à la stabilité du couple qui a installé sa vie privée et familiale en France et à la circonstance qu'elle n'a vécu qu'en Allemagne et en France, le préfet de l'Aube a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a pris la décision attaquée et a, dès lors, méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, l'arrêté du 18 janvier 2019 doit être annulé.
6. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Compte tenu des motifs du présent arrêt, l'annulation de l'arrêté du 18 janvier 2019, implique nécessairement la délivrance à Mme B... d'un titre de séjour " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Aube d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt sous réserve de changement de circonstances de fait et de droit.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique :
8. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me A..., avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 9 juillet 2019 et l'arrêté du préfet de l'Aube du 18 janvier 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Aube de délivrer à Mme B... un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve de changement de circonstances de fait et de droit.
Article 3 : L'Etat versera à Me A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de l'Aube.
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N° 19NC02794