Procédure devant la cour :
Par une requête et une pièce complémentaire, enregistrées le 18 mars 2021 et le 14 février 2022, Mme C... B..., représentée par Me Gaffuri, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de lui délivrer une carte de séjour temporaire, à défaut de réexaminer sa situation, A... un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision lui refusant un titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle ne repose pas sur un examen approfondi de sa situation ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- elle repose sur une appréciation manifestement erronée de sa situation ;
- elle viole les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est privée de base légale du fait de l'illégalité du refus de séjour ;
- elle repose sur une appréciation manifestement erronée de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en fixant à deux ans la durée de l'interdiction.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2022, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 14 juin 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Stenger, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante sénégalaise, née le 24 février 1985, est entrée irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 12 mars 2014, avec ses deux enfants mineurs, pour y solliciter l'asile. Sa demande d'asile, dont il est contant qu'elle a été enregistrée sous une fausse identité, a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par une décision du 29 mai 2015, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile le 7 mars 2016. Le préfet de l'Aube a pris à l'encontre de l'intéressée, le 20 avril 2016, un premier arrêté l'obligeant à quitter le territoire français, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 28 septembre 2016, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel du 31 janvier 2017. Mme B... s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français jusqu'à ce que, le 8 juillet 2020, elle sollicite du préfet de l'Aube, la délivrance d'un titre de séjour au titre de sa vie privée et familiale. Toutefois, par un arrêté du 7 octobre 2020, le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligée à quitter le territoire A... le délai de trente jours, a fixé le pays de destination duquel elle pourra être éloignée et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Mme B... relève appel du jugement du 16 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, cette décision mentionne de manière suffisante et non stéréotypée les considérations de droit et de fait qui constituent son fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation sera écarté.
3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier ni des termes de la décision attaquée que le préfet de l'Aube n'a pas procédé à un examen approfondi de la situation personnelle et familiale de Mme B.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen sérieux de la situation de la requérante doit être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant A... les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ;/ Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, A... les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ;(...) ".
5. Si la requérante établit, par les pièces qu'elle produit, que M. D..., de nationalité française, est le père de sa dernière fille née à Troyes le 14 novembre 2016, elle ne justifie pas que ce dernier participe à son entretien et à son éducation en se bornant à verser aux débats un relevé bancaire prouvant qu'elle a bénéficié de sa part de trois virements de 100 euros les 2 juillet, 14 octobre et 9 novembre 2020, une attestation de M. D... qui indique qu'il voit sa fille " assez souvent " et que " des fois " il lui fait un virement ou lui remet de l'argent en main propre et une attestation de l'oncle de ses deux premiers enfants selon laquelle M. D... achète à sa fille des habits et des jouets et " l'amène passer des week-end chez lui ". Par ailleurs, si Mme B... produit en appel une copie du jugement du 2 décembre 2021 par lequel le juge aux affaires familiales de Troyes lui a accordé la garde conjointe de sa fille ainsi qu'à M. D..., ce jugement, qui est intervenu postérieurement à la décision en litige, ne permet pas de regarder comme établie la participation de ce dernier à l'entretien et à l'éducation de sa fille, au sens des dispositions précitées du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A... ces conditions, c'est à bon droit que le préfet de l'Aube a considéré que la requérante ne justifiait pas que M. D... contribuait effectivement à l'entretien et à l'éducation de sa fille, qu'il n'a d'ailleurs reconnu que quinze mois après sa naissance.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique A... l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, A... une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas A... les catégories précédentes ou A... celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion A... la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée A... le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger A... la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a déclaré être entrée en France en mars 2014 après s'être séparée de son mari resté au Sénégal. Si elle se prévaut de la durée de son séjour en France, celui-ci n'a été rendu possible qu'en raison d'abord de l'instruction de sa demande d'asile puis de son maintien irrégulier sur le territoire français alors qu'elle faisait l'objet d'une mesure d'éloignement prise à son encontre par le préfet de l'Aube le 20 avril 2016. Hormis la scolarisation de ses enfants, Mme B... n'est en mesure de faire valoir aucune intégration A... la société française. Elle a déclaré être célibataire et ne se prévaut d'aucune attache personnelle ou familiale en France, à l'exception de M. D..., père de sa dernière fille, dont il est constant qu'elle est séparée et dont il a été démontré au point 5 du présent arrêt qu'il ne contribuait pas de manière effective à l'entretien et à l'éducation de sa fille. Par ailleurs, Mme B... ne justifie pas être dépourvue d'attache A... son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans et où réside toujours le père de ses deux premiers enfants dont elle ne justifie pas être divorcée. A... ces conditions, il n'existe aucun obstacle à ce que la requérante poursuive sa vie familiale A... son pays d'origine et à ce que ses enfants y poursuivent leur scolarité. Par suite, le préfet de l'Aube n'a pas, A... les circonstances de l'espèce, porté une atteinte disproportionnée aux droits protégés par les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par rapport aux motifs ou aux buts de l'arrêté attaqué ni n'a méconnu les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes raisons, le préfet n'a pas non plus commis d'erreur manifeste A... l'appréciation des conséquences de sa décision de refus de titre sur la situation personnelle de la requérante.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 : " A... toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, A... l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants A... toutes les décisions les concernant.
9. Dès lors que, comme il a été dit au point 5, Mme B... n'établit pas l'intensité des liens affectifs que M. D... aurait noués avec sa fille, le préfet n'a pas porté atteinte à l'intérêt de cet enfant en refusant de lui délivrer le titre de séjour " vie privée et familiale " qu'elle sollicitait. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire :
10. En premier lieu, cette décision mentionne de manière suffisante et non stéréotypée les considérations de droit et de fait qui constituent son fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation sera écarté.
11. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire.
12. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, pour les mêmes motifs qu'énoncés au point 7 du présent arrêt, que le préfet de l'Aube aurait commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision portant obligation de quitter le territoire sur la situation personnelle du requérant.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans :
13. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, A... sa version applicable au litige : " (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ( ...) ".
14. Il ressort des termes mêmes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, A... le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
15. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
16. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer A... quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, A... son principe et A... sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
17. L'arrêté attaqué mentionne notamment que Mme B... est célibataire, qu'elle a reconnu s'être soustraite à une précédente décision d'éloignement, qu'elle ne démontre pas avoir tissé des liens stables et intenses sur le territoire français et qu'elle possède des liens personnels et familiaux au Sénégal où réside le père de ses deux premiers enfants. A... ces conditions, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est suffisamment motivée au regard des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
18. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, les moyens tirés de ce que l'interdiction de retour sur le territoire français en litige méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste A... l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de la requérante doivent être écartés.
19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par suite, sa requête d'appel doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de l'Aube.
N° 21NC00812 2