Par une requête, enregistrée le 12 octobre 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Nancy ;
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'arrêté attaqué était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les autres moyens de la demande de première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 février 2022, Mme C..., représentée par Me Jeannot, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet de Meurthe-et-Moselle ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- Le rapport de M. Agnel ;
- Et les observations de Me Jeannot assistant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante bosnienne, née le 29 mai 1982, serait entrée en France le 12 septembre 2015, selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 6 avril 2016 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), puis par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 7 octobre 2016. La demande de réexamen de sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA le 5 avril 2017, puis par la CNDA, le 30 juin 2017. Par arrêté du 22 septembre 2017 l'autorité préfectorale a fait obligation à l'intéressée de quitter le territoire. La légalité de cet arrêté a été confirmé par ordonnance de la cour du 9 mai 2018 rejetant l'appel formé contre un jugement du tribunal administratif de Nancy du 16 novembre 2017. L'intéressée s'est maintenue toutefois sur le territoire. Le 26 février 2020, Mme C... a sollicité une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 9 avril 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant son pays de destination. Le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement du 30 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nancy, faisant droit à la demande de Mme C..., a annulé cet arrêté.
Sur l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
3. Mme C... ayant demandé le bénéficie de l'aide juridictionnelle, il y a lieu de l'admettre, au vu de l'urgence, à l'aide juridictionnelle provisoire.
Sur le moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :
4. Aux termes des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".
5. En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 313-14, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".
6 Il ressort des pièces du dossier que Mme C... ne se maintient sur le territoire depuis cinq années que pour les besoins de l'instruction de ses demandes d'asile et en dépit d'une mesure d'éloignement. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, en dehors de la scolarisation de ses enfants mineurs et d'une activité de bénévolat, elle n'est en mesure de se prévaloir d'aucune intégration dans la société française, dont elle ne maîtrise que très sommairement la langue ainsi qu'il ressort des attestations produites au dossier, et n'exerce aucune activité professionnelle en dehors de la réalisation de quelques heures d'aide à la personne lui ayant permis de percevoir un salaire de 50,18 euros nets au cours du mois de juin 2020. Une telle activité non plus que le projet de s'y consacrer, ainsi qu'en attesterait la promesse d'embauche produite, ne saurait constituer un motif d'admission exceptionnelle au séjour au sens des dispositions ci-dessus reproduites. Il ressort enfin des pièces du dossier que l'intéressée est occupante sans titre d'un logement réservé à l'hébergement des demandeurs d'asile et que séparé de son mari, au demeurant en situation irrégulière sur le territoire, elle ne dispose d'aucune attache personnelle et familiale en France. Mme C... ne saurait utilement par ailleurs se prévaloir des énonciations de la circulaire du 28 novembre 2012. Il résulte de ces éléments qu'en lui refusant l'admission exceptionnelle au séjour le préfet de Meurthe-et-Moselle ne s'est pas livré à une appréciation manifestement erronée de sa situation.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme C... à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Nancy.
Sur la légalité de l'arrêté prise dans son ensemble :
9. L'arrêté litigieux a été signé par M. A... en vertu d'un arrêté de délégation de signature du 24 février 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du 26 février 2021. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté sera écarté.
10. Contrairement à ce que soutient l'intéressée, l'arrêté du 9 avril 2021 comporte de manière suffisante et non stéréotypée l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé afin de prendre à l'encontre de Mme C... les décisions attaquées.
Sur le refus de séjour :
11. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ". Aux termes enfin de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
12. Il résulte des éléments retracés ci-dessus que Mme C... n'a aucune attache familiale et personnelle en France. Ses enfants ont vocation à la suivre et il n'existe aucun élément permettant de penser qu'ils ne pourront pas suivre une scolarité dans le pays dont ils ont la nationalité ou celui dans lequel ils seront admissibles. Par suite, le refus de séjour ne porte au droit à la vie privée et familiale de Mme C... et à l'intérêt de ses enfants aucune atteinte en violation des normes ci-dessus reproduites.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire :
13. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à invoquer par la voie de l'exception l'illégalité du refus de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire.
14. L'obligation de quitter le territoire a été prise à la suite du refus de séjour litigieux lequel a été opposé à Mme C... en réponse à la demande de titre de séjour qu'elle a elle-même présentée et à l'occasion de laquelle elle a pu exposer tous les éléments nécessaires à l'appréciation de sa situation. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire a été prise en violation de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
15. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Meurthe-et-Moselle se serait cru en situation de compétence liée et se serait refusé à examiner les conséquences d'une telle mesure d'éloignement sur la situation personnelle de Mme C.... Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit sera écarté.
16. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'obligation de quitter le territoire ne porte aucune atteinte excessive aux droits garanties par les normes rappelées au point 9 ci-dessus.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
17. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à invoquer par la voie de l'exception l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
18. Si Mme C... soutient être exposée à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Bosnie, elle n'en justifie pas. Par suite, les moyens tirés de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, seront écartés.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 9 avril 2021. Il y a lieu, par suite, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Nancy.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse à l'avocat de Mme C... une somme au titre des frais qu'elle aurait exposés dans la présente instance si elle n'avait été admise à l'aide juridictionnelle provisoire. Par suite, les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991 seront rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Mme C... est admise à l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le jugement n° 2101786 du 30 septembre 2021 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Nancy est rejetée.
Article 4 : Les conclusions de Mme C... tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle et au bureau d'aide juridictionnelle.
N°21NC02694 2