Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2019, sous le numéro 19NC02280, ainsi qu'un mémoire complémentaire enregistré le 19 octobre 2020, la SARL Leclerc et Fils, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les évènements en cours à la clôture de l'exercice 2013 étaient de nature à établir la probabilité du caractère irrécouvrable de sa créance de prêt détenue sur sa filiale la société slovaque Frabastav SRO compte tenu de la situation financière obérée de cette dernière ;
- la renonciation de sa part à facturer les prestations d'assistance au profit de ses filiales au titre de l'année 2012 et la décision de leur accorder des avoirs au titre des factures émises au cours de l'année 2013 sont justifiées par la situation financière de ses filiales et par la nécessité de sauvegarder la valeur des titres de ces sociétés figurant à l'actif de son bilan ; dans ces conditions, c'est à tort que l'administration et le jugement attaqué ont estimé qu'elle ne justifiait pas d'un intérêt propre ou encore que la situation du groupe informel aurait été dans l'ensemble bénéficiaire.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 février et 18 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2012-958 de finance rectificative pour l'année 2012 du 16 août 2012 et notamment son article 17 ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public.
Une note en délibéré, enregistrée le 8 janvier 2021, a été présentée pour la SARL Leclerc et Fils.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Leclerc et Fils est la société holding d'un groupe de sociétés industrielles et commerciales, françaises et étrangères, au profit desquelles elle assure des prestations d'assistance en matière commerciale, financière, administrative, informatique et de gestion. La SARL Leclerc et Fils, qui clôture ses exercices comptables au 30 septembre, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er octobre 2010 au 30 avril 2014 à l'issue de laquelle le service lui a notifié, selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales et par une proposition de rectification du 10 décembre 2014, des redressements concernant une provision pour créance irrécouvrable et des renonciations à recettes. Le service a maintenu partiellement ces rectifications par une lettre de réponse aux observations du contribuable du 23 mars 2015 et à la suite d'un recours hiérarchique du 9 avril suivant. Les suppléments d'impôt sur les sociétés consécutifs à cette procédure de contrôle fiscal ont été mis en recouvrement le 30 septembre 2016 après un avis favorable de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 10 juin 2016. Sa réclamation préalable n'ayant été admise que partiellement par décision du 12 avril 2017, prononçant le dégrèvement des majorations pour manquement délibéré, la SARL Leclerc et Fils a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à la décharge des impositions contestées. Par le jugement attaqué du 16 avril 2019, dont la SARL Leclerc et Fils relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Sur la constitution d'une provision pour créance douteuse :
2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts rendu applicable en matière d'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment :/ (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice le montant de charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.
3. Il résulte de l'instruction que par acte sous-seing privé non daté, la SARL Leclerc et Fils a consenti à sa filiale à 100 %, la société de droit slovaque Frabastav Sro, un prêt de 220 000 euros à compter du 5 septembre 2010, remboursable en soixante mensualités de 4 002 euros au taux de 3,5 % l'an, destiné à l'acquisition d'un immeuble situé à Sturovo (Slovaquie) devant servir de siège aux activités de l'emprunteur. Il n'est pas contesté que la société Frabastav n'a honoré que six mensualités de ce prêt, la dernière échéance payée étant celle du 4 avril 2012. Au 30 septembre 2013, la SARL Leclerc et Fils a constaté dans ses écritures une provision de 217 825 euros égale à la totalité de sa créance détenue sur la société Frabastav. Afin de justifier du risque de non-recouvrement de cette créance, la SARL Leclerc et Fils entend se fonder sur la situation financière, qu'elle présente comme obérée, de sa filiale à la date du 30 septembre 2013. Il résulte à cet égard de l'instruction qu'au titre des années 2012 et 2013 les chiffres d'affaires de la société Frabastav se sont établis respectivement à 465 727 euros et 308 061 euros, ses résultats à 29 532 euros et 9 584 euros, ses créances à court-terme à 427 263 euros et 224 144 euros, ses disponibilités à 15 590 euros et 8 094 euros et ses dettes commerciales à 245 450 euros et 31 874 euros. Ces seuls éléments, même appuyés par l'attestation établie par le gérant de sa débitrice, ne sauraient toutefois établir au 30 septembre 2013 la probabilité que la société Frabastav ne pouvait honorer la totalité de sa dette à l'égard de la SARL Leclerc et Fils. Si cette dernière soutient que l'actif constitué par les créances commerciales de la société Frabastav n'était pas disponible, elle n'apporte à l'appui de cette allégation aucune justification utile en se bornant à faire valoir les difficultés de la société Etip, principal client de sa filiale slovaque, laquelle s'est pourtant acquittée avec ponctualité de ses dettes au cours de la période litigieuse. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la SARL Leclerc et Fils, laquelle n'a effectué aucune diligence afin d'obtenir le règlement des mensualités échues de sa créance, sans qu'elle puisse utilement soutenir que l'identité de gérant des deux sociétés y ait fait obstacle, ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que des évènements en cours à la clôture de l'exercice 2013 rendaient probable le non-paiement de la totalité de sa créance détenue sur la société Frabastav.
Sur les produits non comptabilisés :
4. D'une part, il résulte des articles 38 et 39 du code général des impôts, dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, que le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. La prise en charge du coût de prestations de services rendues au profit d'une autre entreprise, des prêts sans intérêts ou assortis d'un taux minoré ainsi que l'abandon de créances accordés par une entreprise au profit d'un tiers, ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Cette règle doit recevoir application même si le bénéficiaire de ces avantages est une filiale, hormis le cas où la situation des deux sociétés serait telle que la société mère puisse être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt en venant en aide à une filiale en difficulté. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages consentis par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties. Dans l'hypothèse où l'entreprise apporte une telle justification, il incombe ensuite à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'apporter la preuve de ce que cette contrepartie est dépourvue d'intérêt pour l'entreprise ou que sa rémunération est excessive.
5. D'autre part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts applicable à compter du 4 juillet 2012 : "13. Sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt les aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l'exception des aides à caractère commercial./Le premier alinéa ne s'applique pas aux aides consenties en application d'un accord constaté ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 611-8 du code de commerce ni aux aides consenties aux entreprises pour lesquelles une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte./Les aides mentionnées au deuxième alinéa qui ne revêtent pas un caractère commercial sont déductibles à hauteur de la situation nette négative de l'entreprise qui en bénéficie et, pour le montant excédant cette situation nette négative, à proportion des participations détenues par d'autres personnes que l'entreprise qui consent les aides ".
6. Il résulte de l'instruction que la SARL Leclerc et Fils a conclu le 17 janvier 2005 avec ses quinze filiales des conventions par laquelle elle s'engage à leur fournir des prestations de conseil dans les domaines stratégique, financier, commercial administratif, juridique et administratif tout en se chargeant de la communication au niveau du groupe. A l'exception de trois sociétés pour lesquelles il était prévu une rémunération forfaitaire, la SARL Leclerc et Fils devait être rémunérée pour ses prestations par une redevance annuelle égale à 1,20 % de la valeur ajoutée de la société bénéficiaire, cette rémunération ayant été portée par avenants à 1,6 puis 2,1 % par an. Par décision du 30 décembre 2011, l'assemblée général ordinaire des associés de la SARL Leclerc et Fils a décidé de ne pas facturer les prestations de service rendues aux filiales au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012. Cette décision a ensuite fait l'objet d'un avenant en ce sens conclu avec les filiales. Puis, par décision du 20 septembre 2013, l'assemblée générale ordinaire des associés de la SARL Leclerc et Fils a décidé d'abandonner les redevances correspondant aux prestations facturées au titre de la période du 1er janvier 2013 au 30 septembre 2013 et des avoirs ont été établis en conséquence. Le service a réintégré dans les bénéfices imposables des années 2012 et 2013 les montants correspondant à ces renonciations à recettes et ces abandons de créance après avoir considéré qu'ils constituaient des aides à caractère financier dont la déductibilité est exclue par les dispositions ci-dessus reproduites du 13 de l'article 39 du code général des impôts et qu'ils ne répondaient pas à une gestion commerciale normale.
7. Aux termes de ses écritures d'appel, la SARL Leclerc et Fils soutient que l'intérêt qu'elle a eu d'accorder à ses filiales les aides litigieuses résidait dans la nécessité de sauvegarder la valeur des titres de ses filiales inscrites à l'actif de son bilan. S'il résulte de l'instruction que la SARL Leclerc et Fils tire l'essentiel de son chiffre d'affaires des prestations d'assistance qu'elle rend à ses filiales, il ressort des stipulations de ces contrats d'assistance qu'elle se borne dans le domaine commercial à mettre à disposition de la filiale la partie de son fichier client susceptible de l'intéresser tout en lui faisant part de toutes les opportunités de marché dont elle aurait connaissance et à lui apporter une assistance technique spécialisée ainsi que, sur sa demande, lors des négociations commerciales. Par cette clause, la SARL Leclerc et Fils n'a pas pris la responsabilité de la gestion commerciale de ses filiales non plus que de leurs relations avec leurs clients et fournisseurs. Ces conventions d'assistance n'ayant pas excédé des prestations de conseil rendus principalement dans les domaines administratif et financier, il en résulte que la SARL Leclerc et Fils n'a pas entretenu avec ses filiales des relations de nature commerciale. Par suite, les aides qu'elle leur a consenties au cours de la période litigieuse doivent s'analyser en des aides ne revêtant pas un caractère commercial dont la déduction des bénéfices est exclue par les dispositions ci-dessus reproduites du 13 de l'article 39 du code général des impôts.
8. En tout état de cause, en admettant qu'elle ait également entendu se placer sur le terrain des aides à caractère commercial, la SARL Leclerc et Fils, en se bornant à faire état de la situation de trésorerie de ses sociétés filiales et du montant de leurs dettes, n'établit pas leurs difficultés financières de nature à justifier l'aide ainsi accordée, alors qu'il ressort des liasses fiscales produites à l'appui de son mémoire en réplique que seulement deux des quinze filiales concernées avaient une situation nette négative. Si la SARL Leclerc et Fils fait également état des procédures collectives ayant affecté cinq des quinze filiales concernées, il ressort de ses écritures que ces évènements, à l'exception de la société Mosellane de Traction, ont concerné les années 2016 à 2018, très éloignées de la période litigieuse. Par suite, la SARL Leclerc et Fils ne justifie pas de son intérêt à renoncer à facturer des prestations à ses filiales et à leur accorder des avoirs pour les prestations déjà facturées à hauteur de l'intégralité de son propre chiffre d'affaires.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Leclerc et Fils n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 16 avril 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête d'appel doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Leclerc et Fils est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Leclerc et Fils et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
N° 19NC02280 2