Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 mai 2019 et 6 novembre 2020, M. B... E..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2009 et 2010, ainsi que des pénalités correspondantes
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le tribunal lui a fait supporter à tort la charge de la preuve de l'existence d'un transfert de compte à compte ;
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que la société SER Nord Est a été privée de produire des observations à la suite des rectifications ;
- le tribunal a omis de soulever d'office le moyen tiré de de ce que l'administration a, à tort, fait application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au 7 de l'article 158 du code général des impôts pour l'établissement des contributions sociales assises sur les revenus considérés comme distribués ;
Sur le bien-fondé des impositions :
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;
- l'administration n'a pas tenu compte des observations qu'il a formulées en qualité de gérant sur la proposition de rectification notifiée à la société SER Nord Est malgré le mandat qu'il détenait du liquidateur ; les rectifications qui lui ont été notifiées en conséquence sont par suite entachées d'irrégularité ;
- les revenus d'origine indéterminée correspondent à des mouvements entre comptes, à des dons de sa belle-mère et à des prêts de la part de M. A... ;
- les deux chèques regardés comme des revenus distribués sont la contrepartie de règlements de dettes de la société SER Nord Est ;
- l'établissement des contributions sociales assises sur les revenus considérés comme distribués ne doit pas être calculé sur une base majorée de 25 %.
Par un mémoire en défense et des pièces complémentaires, enregistrées les 3 octobre 2019 et 8 octobre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au non-lieu à statuer partiel et au rejet du surplus de la requête.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G...,
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., gérant et associé de la SARL SER Nord Est qui avait une activité de travaux publics, a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle sur les années 2009 et 2010. Faute de justification des crédits observés sur ses comptes bancaires, l'administration a réintégré dans le revenu imposable de M. E... des revenus d'origine indéterminée. Elle a aussi tiré les conséquences, au titre des revenus distribués, de la proposition de rectification du 3 octobre 2012 notifiée à la SARL SER Nord Est. Par proposition de rectification du 20 décembre 2012, l'administration lui a notifié au titre des années 2009 et 2010 des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire s'agissant des revenus de capitaux mobiliers et, dans le cadre de la procédure de taxation d'office, s'agissant des revenus d'origine indéterminée. M. B... E... relève appel du jugement du 12 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 6 octobre 2020, postérieure à l'introduction de la requête de M. E..., le ministre de l'économie, des finances et de la relance a prononcé un dégrèvement en matière de contributions sociales à hauteur de 16 432 euros lié à l'application du coefficient multiplicateur de 1,25 pour l'année 2009. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer, dans cette mesure, sur les conclusions à fin de décharge de M. E....
Sur la régularité du jugement :
3. En premier lieu, le jugement attaqué n'est pas entaché d'un défaut de réponse au moyen tiré de ce que la société SER Nord Est a été privée de produire des observations à la suite des rectifications au regard de son point 7.
4. En second lieu, si le requérant soutient que le jugement est erroné en ce qui concerne la charge de la preuve, une telle critique tenant au bien-fondé du jugement est sans incidence sur sa régularité. Il en est de même du moyen tiré de ce que les premiers juges se sont abstenus de soulever d'office le moyen tiré de l'application à tort du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au 7 de l'article 158 du code général des impôts pour l'établissement des contributions sociales assises sur les revenus considérés comme distribués.
Sur le surplus des conclusions à fin de décharge :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
5. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, la régularité d'une proposition de rectification ne dépend pas du bien-fondé de ses motifs. D'autre part, aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales, applicable dès lors que M. E... a régulièrement fait l'objet d'une procédure de taxation d'office concernant les revenus d'origine indéterminée : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable, trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions ".
6. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 20 décembre 2012, adressée à M. ou Mme E... indique le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal, les années d'imposition concernées et les motifs justifiant les rectifications. L'administration a produit la copie des chèques litigieux regardés comme des revenus d'origine indéterminée et a joint en annexe la liste des crédits constatés sur les comptes qu'elle a examinés au titre des années 2009 et 2010. Les sommes ayant fait l'objet d'une réintégration dans le revenu imposable sont détaillées précisément et ne sont pas globalisées comme le soutient M. E.... Si le requérant se prévaut également de ce que l'administration lui demande de produire des justifications, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de la proposition de rectification dès lors que le vérificateur, qui permet au contribuable d'apporter des éléments dans le cadre de ses observations, a suffisamment précisé les motifs de fait et le fondement sur lesquels il imposait ces sommes. Par suite, contrairement à ce que soutient le requérant, la proposition de rectification contestée répondait à l'exigence de motivation résultant des dispositions précitées du livre des procédures fiscales.
7. En second lieu, en vertu du principe d'indépendance des procédures d'imposition, les irrégularités qui auraient pu entacher la procédure d'imposition concernant la SARL SER Nord Est, société de capitaux, sont sans influence sur l'imposition des revenus distribués à l'impôt sur le revenu de M. E.... Par suite, le moyen tiré de de la violation du caractère contradictoire de la procédure d'imposition menée avec la SARL SER Nord Est doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
S'agissant des revenus d'origine indéterminée :
8. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". Aux termes de l'article R. 193-1 du même livre : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ". La procédure de taxation d'office ayant été régulièrement appliquée à M. E..., il lui incombe, en application de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales, d'apporter la preuve de l'exagération de ses bases d'imposition.
9. En premier lieu, si M. E... soutient que l'origine des crédits portés sur ses comptes bancaires et ceux de son épouse est établie dans la mesure notamment où l'identité des personnes ayant versé les fonds litigieux est connue, ces seules allégations d'ordre général ne sont pas assorties des documents ou pièces établissant la nature de ces sommes et permettant par suite de les regarder comme n'étant pas imposables.
10. En deuxième lieu, un contribuable qui est employé comme salarié d'un membre de sa famille ne peut se prévaloir de ce que les sommes portées au crédit de ses comptes bancaires et correspondant à des virements en provenance des comptes de ce membre de sa famille seraient présumées constituer, sauf preuve contraire apportée par l'administration, non des revenus imposables mais des prêts que celui-ci lui aurait consentis dans un cadre familial.
11. L'administration a réintégré dans le revenu imposable de M. E... les sommes provenant de la mère de son épouse à hauteur de 7 796, 78 euros en 2009 et de 5 450 euros en 2010 en opposant qu'aucune attestation n'a été présentée afin de justifier de la nature des versements. M. E... soutient qu'il s'agit de prêts personnels de sa belle-mère qui leur apportait une aide financière.
12. Il est constant que Mme E... était employée par sa mère et percevait à ce titre une rémunération au cours des années en litige. Les sommes en litige n'ayant pas été déclarées au titre des traitements et salaires dans la déclaration de revenus de M. et Mme E..., l'administration a pu à bon droit considérer qu'il ne s'agissait pas de rémunération. Le requérant n'apporte pas la preuve, qui lui incombe en application de ce qui a été dit aux point 10 et 11, de ses allégations selon lesquelles les sommes litigieuses ne constituaient pas des revenus imposables mais des prêts consentis par sa belle-mère en se bornant à faire référence aux relevés de compte de cette dernière. Ces prétendus prêts n'ont fait l'objet d'aucun enregistrement et aucune pièce n'est produite permettant d'attester de la réalité de ces prêts. Il s'ensuit que M. E... n'établit pas que les sommes en litige correspondraient à des prêts et n'auraient pas le caractère de revenus imposables.
13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que trois chèques ont été émis par M. A... au bénéfice de M. E... les 23 mars 2009, 4 juin et 9 juillet 2010 pour des montants respectifs de 8 200 euros, 3 300, 91 euros et de 3 127 euros. L'administration a considéré dans sa proposition de rectification du 20 décembre 2012, que faute de justification, ces sommes devaient être regardées comme des revenus d'origine indéterminée. M. E... s'est prévalu à l'appui de sa réclamation préalable du 23 juillet 2015 d'actes notariés de mars 2011 qu'il ne produit cependant pas. L'administration a constaté, dans sa décision de rejet du 16 septembre 2016, que M. A... avait consenti à M. E... deux prêts les 16 mars 2008 et 2 mars 2011 pour des montants respectifs de 100 000 euros et 6 500 euros. Par ailleurs, M. A... est devenu créancier par subrogation en payant une caution de 288 000 euros à laquelle était tenu M. E... à la suite de la liquidation de la société SER Nord Est. Aux termes de l'acte notarié produit à l'administration, M. A... a versé cette somme le 2 mars 2011 directement à la banque CIC Est. Il ressort de ces constatations non contredites par M. E... que les crédits en litige ne correspondent ni aux dates ni aux montants mentionnés dans les actes notariés dont il se prévaut. Dans ces conditions, M. E... ne peut être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, que les sommes en litige portées au crédit de ses comptes bancaires correspondraient à des prêts. Par conséquent, c'est à bon droit que l'administration a regardé ces sommes comme étant des revenus d'origine indéterminée.
S'agissant des revenus distribués :
14. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / (...) 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. / Les sommes imposables sont déterminées pour chaque période retenue pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés par la comparaison des bilans de clôture de ladite période et de la période précédente selon des modalités fixées par décret en conseil d'Etat ".
15. Il résulte de ces dispositions que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés ont, sauf preuve contraire apportée par l'associé titulaire du compte, le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
16. L'administration a constaté des apports au compte courant d'associé détenu par M. E... au sein de la SARL SER Nord Est qui ont engendré un solde créditeur au titre de l'année 2010 qui a été imposé au titre des revenus distribués. M. E... conteste l'imposition de deux chèques libellés à l'ordre de Me C... et de CRPP, émis respectivement le 19 et 25 mars 2010 pour des montants de 2 412, 36 euros et 357, 95 euros. Il soutient que ces sommes ont été enregistrées sur son compte courant d'associé en contrepartie de règlement de factures de la SARL SER Nord Est sur ses deniers personnels. Il se prévaut également de l'absence de disponibilités de la société permettant de le désintéresser.
17. Il n'est pas contesté que ces factures n'ont pas été enregistrées dans la comptabilité de la SARL SER Nord Est. Le requérant n'apporte aucun élément permettant d'établir que ces sommes correspondent à des dépenses relatives à l'activité de la société dont il aurait supporté la charge. En outre, il se prévaut d'un compte-rendu du cabinet KPMG du 21 avril 2016 qui a constaté l'absence de résultat positif de la société et que des dettes de la société ont été personnellement réglées par M. E.... Il résulte cependant de l'instruction que l'analyse réalisée par le cabinet KPMG ne porte que sur les opérations connues ou identifiées de l'exercice clos en 2010 après un retraitement des données comptables faute d'une comptabilité exploitable. Le cabinet admet ne pas pouvoir reconstituer une comptabilité complète mais considère, à partir des éléments mis à sa disposition, que la société n'a pas généré de résultat positif en 2010. Cette analyse, qui s'appuie sur des pièces qui lui ont été communiquées par la SARL SER Nord Est mais dont la liste n'est pas produite, ne suffit pas à démontrer l'exagération des impositions en litige et l'absence de disponibilités de la société.
S'agissant des contributions sociales :
18. Dans sa décision n° 2016-610 QPC du 10 février 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, sous la réserve que ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, être interprétées comme permettant l'application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts pour l'établissement des contributions sociales assises sur les rémunérations et avantages occultes mentionnés au c de l'article 111 du même code. Par sa décision n° 2017-643/650 QPC du 7 juillet 2017, le Conseil constitutionnel a étendu cette réserve d'interprétation aux contributions sociales assises sur les bénéfices ou revenus mentionnés au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, au nombre desquels figurent les revenus distribués de l'article 109 du même code.
19. M. E... a été imposé aux contributions sociales au titre de l'année 2010 à raison des revenus distribués par la SARL SER Nord Est sur le fondement des articles 109 et 111 c du code général des impôts. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que c'est à tort que, pour déterminer le montant de ces impositions, l'administration fiscale a appliqué le coefficient de 1,25 prévu par les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts à la base imposable aux contributions sociales. Par suite, comme le soutient le requérant, c'est à tort que, pour déterminer le montant de ces impositions, l'administration fiscale a appliqué le coefficient de 1,25 prévu par les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts à la base imposable aux contributions sociales aux contributions sociales mises à la charge de M. E... au titre de l'année 2010 à raison des revenus distribués par la SARL SER Nord Est imposés sur le fondement des articles 109 et 111 c du code général des impôts. Il s'ensuit que le requérant est fondé à demander la réduction des contributions sociales ayant résulté de la majoration de 25 % de la base imposable au titre de l'année 2010.
20. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la réduction de la cotisation supplémentaire de contributions sociales au titre de l'année 2010 correspondant à l'application à la base de ces impositions de la majoration de 1,25 prévue au 7 de l'article 158 du code général des impôts.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
21. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre mise à la charge de l'État, qui pour l'essentiel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête présentée par M. E... dans la mesure du dégrèvement prononcé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance le 8 octobre 2020 au titre des contributions sociales dues pour l'année 2009.
Article 2 : La base d'imposition de M. E... aux contributions sociales au titre de l'année 2010 est réduite du montant correspondant à la majoration de 25 % prévue au 7 de l'article 158 du code général des impôts.
Article 3 : M. E... est déchargé de la cotisation supplémentaire de contributions sociales à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2010, ainsi que des pénalités correspondantes, en conséquence de la réduction de base prononcée à l'article précédent.
Article 4 : Le jugement du 12 février 2019 du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a été contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
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N° 19NC01400