Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n°19NC02197 le 10 juillet 2019, M. B... E..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 janvier 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
2°) d'annuler cet arrêté du 22 janvier 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen, et ce sous astreinte de cent cinquante euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement est insuffisamment motivé et les premiers juges ont omis de statuer sur les moyens tirés de la méconnaissance par le refus de séjour de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et de la méconnaissance par la décision fixant le pays de renvoi de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le jugement est entaché d'une erreur de droit, les premiers juges n'ayant pas appliqué l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- c'est à tort que les premiers juges n'ont pas opposé au préfet le principe de l'acquiescement aux faits quant à leur nationalité respective ;
Sur la légalité de l'arrêté :
- l'arrêté est entaché d'un vice de compétence ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le préfet a méconnu l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2020, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée sous le n°19NC02198 le 10 juillet 2019, Mme A... F... épouse E..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 janvier 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
2°) d'annuler cet arrêté du 22 janvier 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen, et ce sous astreinte de cent cinquante euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soulève les mêmes moyens que ceux développés par M. B... E... dans la requête n°19NC02197.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 3 novembre 2020, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête pour les mêmes motifs que ceux exposés à l'encontre de la requête n° 19NC02197.
M. et Mme E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 19 septembre 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme E..., respectivement de nationalité russe et géorgienne, et nés tous deux en 1989, seraient entrés irrégulièrement en France le 25 février 2013 selon leurs déclarations. Ils ont sollicité leur admission au séjour au titre de l'asile. A la suite d'une décision de réadmission en Pologne, M. E... est revenu irrégulièrement en France le 14 octobre 2013. Il a déposé une nouvelle demande d'asile en France. Mme E... n'ayant pu quant à elle être transférée, sa demande d'asile a été instruite en France. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 18 juillet 2014 confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 24 avril 2015. Leurs demandes de réexamen ont été définitivement rejetées par la Cour nationale du droit d'asile le 22 septembre 2016. M. E... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant de son état de santé, qui a fait l'objet d'un refus assorti d'une mesure d'éloignement le 9 juin 2016. Les 5 mars et 17 décembre 2018, M. et Mme E... ont respectivement sollicité leur admission exceptionnelle au séjour. Par arrêtés du 22 janvier 2019, le préfet du Bas-Rhin a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. et Mme E... relèvent appel du jugement du 12 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés du 22 janvier 2019.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, d'une part, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments avancés par les requérants, ont, au point 6 du jugement, sous un titre intitulé " sur la légalité des arrêtés du 22 janvier 2019 ", écarté comme non fondé le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils ont ainsi implicitement mais nécessairement répondu au moyen soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi. D'autre part, s'agissant du défaut de réponse au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant entachant d'illégalité les refus de séjour, il ressort des écritures de première instance que les requérants ont soutenu que les arrêtés avaient pour conséquence de séparer la cellule familiale en raison de leur nationalité différente. Cette circonstance est sans incidence sur la légalité d'une décision portant refus de titre de séjour ou obligation de quitter le territoire français, seules les décisions fixant le pays de destination pouvant être contestées au motif qu'il existerait, du fait de la différence de nationalité, un risque de séparation du couple et des enfants dans deux pays distincts. Dans ces conditions, le moyen invoqué par M. et Mme E... à l'encontre des refus de séjour était inopérant et le tribunal administratif n'était, par suite, pas tenu d'y répondre.
3. En deuxième lieu, M. et Mme E... ne sauraient soutenir que le tribunal administratif aurait entaché d'irrégularité son jugement en n'appliquant pas l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que cette critique des motifs du jugement ne concerne pas la régularité du jugement mais son bien-fondé.
4. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le tribunal administratif aurait adressé au préfet une mise en demeure de produire ses observations. Par suite, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme E..., le préfet ne saurait être regardé comme ayant acquiescé aux faits qu'ils ont exposés. En tout état de cause, le fait pour le tribunal de ne pas constater l'existence d'un acquiescement aux faits et de ne pas en tirer les conséquences de droit relève du bien-fondé du jugement et donc sans incidence sur sa régularité.
5. Il s'ensuit que les moyens tirés de l'irrégularité du jugement de première instance ne peuvent qu'être écartés.
Sur les conclusions à fin d'annulation des arrêtés du 22 janvier 2019 :
6. M. et Mme E... reprennent en appel, sans apporter d'élément nouveau ni critiquer utilement les motifs de rejet qui leur ont été opposés par le tribunal administratif de Strasbourg, le moyen tiré de ce que les arrêtés contestées seraient entachés d'incompétence. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus, à juste titre, par les premiers juges.
En ce qui concerne les refus de titre de séjour et les obligations de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Les requérants sont entrés en France en 2013 et s'y sont maintenus malgré la mesure d'éloignement prononcée le 9 juin 2016 à l'encontre de M. E... et le rejet définitif de leurs demandes d'asile le 22 septembre 2016. Leur durée de présence en France résulte essentiellement de l'instruction de leurs demandes d'asile. En outre, la seule participation à des cours de français depuis septembre 2017 ne démontre pas d'une insertion particulière en France. M. et Mme E..., qui résident dans un centre d'hébergement, ne justifient pas avoir tissé des liens sociaux intenses en France et ne se prévalent que de la présence en France de la mère de M. E.... Il ne ressort cependant pas des pièces du dossier que cette dernière a vocation à demeurer en France, sa demande de renouvellement de titre de séjour étant en cours d'instruction à la date des arrêtés contestés. La scolarisation de leur fils né en 2013, au demeurant établie seulement du 1er septembre 2016 au 5 avril 2017, et l'accueil ponctuel en crèche de leur fille née en 2016 ne caractérisent pas des circonstances particulières qui justifieraient de la stabilité d'une vie privée et familiale en France. Les requérants ne peuvent se prévaloir de la naissance en France de leur troisième enfant le 25 février 2019, qui est postérieure aux arrêtés contestés. Enfin, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, à l'encontre des décisions leur refusant le séjour et des décisions portant obligation de quitter le territoire français, de leur différence de nationalité dès lors que ces décisions n'ont pas par elles-mêmes pour effet de rompre l'unité de la famille en fixant le pays de renvoi du couple. Dans ces conditions, eu égard aux conditions du séjour en France des intéressés et en dépit de sa durée, les décisions leur refusant le séjour et les obligeant à quitter le territoire français n'ont pas porté à leur droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elles ont été prises. Par suite, ces décisions n'ont méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ".
10. Compte tenu de ce qui a été indiqué au point 8, l'admission au séjour de M. et Mme E... ne peut être regardée comme répondant à des considérations humanitaires ou se justifiant par des motifs exceptionnels au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
12. Les décisions attaquées, distinctes de celles fixant le pays de destination, n'ont par elle-même, ni pour objet, ni pour effet de séparer durablement les enfants de leur mère ou de leur père. Ces enfants sont en bas âge et n'ont pas eux-mêmes vocation à demeurer sur le territoire national. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées méconnaîtraient les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.
13. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés aux points 8, 10 et 12, le préfet n'a pas entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de renvoi :
14. Il ressort des termes mêmes des décisions attaquées que les arrêtés prévoient que M. et Mme E... pourront, à l'expiration du délai de départ volontaire, " être reconduit[s] à destination du pays dont [ils ont] la nationalité ou qui [leur] a délivré un titre de voyage en cours de validité ou encore à destination de tout pays dans lequel [ils établissent] être légalement admissible[s] qu'à la condition que ce pays [leur] permette de ne pas être séparés " de leur conjoint et de leurs enfants. Par conséquent, les arrêtés doivent être lus comme excluant, tant s'agissant du pays dont chacun à la nationalité que s'agissant d'un autre pays où ils seraient admissibles, l'éloignement des intéressés vers un pays où le conjoint ne serait pas aussi légalement admissible. Ainsi ces décisions rendent impossible l'éloignement de l'un des époux à destination d'un pays différent de celui de son conjoint. En outre, comme le fait valoir le préfet en défense, les requérants n'apportent aucun élément de nature à établir qu'ils auraient accompli des démarches vaines en vue d'être tous deux légalement admissibles soit en Russie soit en Géorgie soit dans tout autre pays. Dans ces conditions, les arrêtés attaqués ne portent pas à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis et ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. Il résulte de tout ce qui précède, que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les attaqués, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés attaqués. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes présentées respectivement par M. et Mme E... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., à Mme A... E... et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 19NC02197, 19NC02198