Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 mars 2018, M. D... A..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 décembre 2017 par lequel le préfet de la Marne a décidé sa remise aux autorités italiennes et celui du 2 janvier 2018 par lequel le préfet de la Marne l'a assigné à résidence dans le département de la Marne pour une durée de six mois ;
2°) d'annuler ces arrêtés ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en France et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de quinze jours, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur l'arrêté de remise :
- le préfet de la Marne a méconnu son droit d'être entendu garanti par les principes généraux de l'Union européenne et par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'absence de mention du critère de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile entache d'illégalité la décision ;
- il n'est pas démontré que la personne qui a conduit son entretien individuel dans le cadre de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 avait la qualité et la formation requises ;
- le préfet a commis une erreur de fait, une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en oeuvre la clause humanitaire, compte tenu de ses liens avec une compagne vivant en France.
Sur l'assignation à résidence :
- la décision doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de l'arrêté de remise.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2018, le préfet de la Marne conclut au rejet de la requête.
Il soutient les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 février 2018.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Lambing.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né en 1988 de nationalité nigériane, serait entré irrégulièrement en France le 1er juillet 2017 selon ses déclarations. Le 15 septembre 2017, il a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Ses empreintes digitales ayant été relevées dans le fichier EURODAC en Italie le 5 août 2014, le préfet de la Marne a saisi les autorités italiennes qui ont donné tacitement leur accord à la remise de M. A...le 11 octobre 2017. Par arrêtés du 12 décembre 2017 et du 2 janvier 2018, le préfet de la Marne a d'une part, décidé sa remise aux autorités italiennes et d'autre part, l'a assigné à résidence dans le département de la Marne pour une durée de six mois. M. A... relève appel du jugement du 5 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés du 12 décembre 2017 et du 2 janvier 2018.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de remise aux autorités italiennes :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
3. D'autre part, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a disposé des informations nécessaires pour présenter de manière utile et effective ses observations, au cours notamment de l'entretien individuel du 15 septembre 2017, où les brochures relatives au guide du demandeur d'asile et la procédure de détermination de l'Etat responsable lui ont été remises. Il a pu également informer les services de la préfecture des motifs qui auraient justifié que le préfet s'abstienne de prendre une décision de remise aux autorités italiennes. Il lui était loisible de faire état lors de cet entretien notamment, de sa relation avec sa compagne résidant en France. Par suite, il ne peut pas être regardé comme ayant été privé de son droit à être entendus garanti par le droit de l'Union.
5. En deuxième lieu, l'arrêté contesté vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment ses articles 3 et 8, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et notamment son article 41, le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ainsi que le règlement (CE) 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, relatif aux critères de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, et enfin le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si M. A...soutient que ces visas seraient insuffisamment précis faute d'indiquer les articles dont il est fait application et les critères de détermination de l'Etat responsable mis en oeuvre, la motivation de l'arrêté précise expressément les articles de ces textes dont il est fait application. En effet, l'arrêté indique, notamment, les conditions d'entrée en France de l'intéressé et précise qu'une attestation de demande d'asile en procédure Dublin lui avait été remise le 15 septembre 2017. Il mentionne ensuite que les autorités italiennes, saisies le 27 septembre 2017 en application de l'article 18 du règlement (UE) 604/2013, ont implicitement accepté de le reprendre en charge le 11 octobre 2017. Le préfet précise que la situation dans laquelle se trouve le requérant ne relève pas des dérogations prévues par les articles 16 et 17 du règlement (UE) 604/2013. Cet arrêté indique qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, cet arrêté est suffisamment motivé.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement européen n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
7. M. A...fait valoir qu'il n'est pas démontré que son entretien a été réalisé par une personne qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement européen n° 604/2013. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a bénéficié d'un entretien individuel auprès des services de la préfecture de la Marne le 15 septembre 2017, mené par l'adjointe au responsable de la cellule asile, MmeB..., tel que cela est mentionné sur le compte-rendu dudit entretien. Par arrêté du 24 avril 2017, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 27 avril 2017, une délégation de signature du directeur de la réglementation et des libertés publiques de la préfecture de la Marne a été donnée à cette dernière, à l'effet de signer tous documents, correspondances, copies et décisions relevant du service immigration. Par suite, l'entretien de M. A... a été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national conformément aux dispositions précitées de l'article 5 du règlement européen n° 604/2013.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement européen : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
9. D'une part, M. A... soutient que le préfet a commis une erreur de droit en s'étant à tort cru lié par la détermination des autorités italiennes comme étant responsables de sa demande d'asile. Il ressort toutefois des termes mêmes de l'arrêté que le préfet a examiné si des circonstances familiale ou médicale permettaient de considérer la clause humanitaire comme remplie. Par suite, le moyen doit être écarté.
10. D'autre part, M. A... soutient que le préfet a commis une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation en décidant sa remise aux autorités italiennes. Il se borne toutefois à faire valoir de manière générale que le système d'examen des demandes d'asile en Italie serait défaillant, sans apporter de précision quant à sa situation personnelle et, notamment, aux conditions de son séjour en Italie au cours de l'année 2014 qui feraient présumer un risque sérieux que sa demande d'asile ne soit pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Dans ces conditions, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie, tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet ne pouvait décider son transfert vers l'Italie. M. A...n'établit pas non plus la relation avec sa compagne qui serait en situation régulière en France, alors qu'il est hébergé par la Croix-Rouge depuis le 15 septembre 2017. Dans ces conditions, le préfet n'a ni commis une erreur de fait ni commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant la remise aux autorités italiennes sans mettre en oeuvre son pouvoir discrétionnaire d'examiner la demande d'asile de M.A....
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté par lequel le préfet de la Marne a assigné M. A...à résidence :
11. M. A...entend exciper de l'illégalité de l'arrêté de remise aux autorités italiennes qui lui a été opposé à l'encontre de la décision l'assignant à résidence. Il résulte de ce qui précède qu'il n'établit pas l'illégalité de cet arrêté de remise. Le moyen doit donc être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A...et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la Marne
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N° 18NC00960