Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 décembre 2015 et
15 février 2017, M. et MmeC..., représentés par MeA..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 3 novembre 2015 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2006 à 2008 ainsi que des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'article 155 A du code général des impôts, aux termes de la décision n° 2010-70 QPC du Conseil Constitutionnel, ne peut trouver application qu'à raison de prestations rendues en France ; or, les rémunérations en cause concernent des prestations de service rendues au Luxembourg au profit de preneurs établis en France ;
- les sommes en cause ne peuvent être imposées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- leur imposition sur le fondement du code général des impôts méconnaît les articles 14, 15, 16 et 24 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise modifiée ; ils doivent ainsi être imposées au Luxembourg ;
- la réserve constitutionnelle relative à la double imposition n'est nullement applicable aux seules hypothèses de doubles impositions françaises, ainsi que cela ressort de l'article 24 de la convention franco-luxembourgeoise ;
- l'article 155 A du code général des impôts méconnaît les principes de liberté d'établissement et de la libre prestation de services prévus par les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le principe d'unicité de la législation en matière de protection sociale fixé par des accords internationaux, qui désigne la législation de l'Etat où est exercée l'activité professionnelle pour percevoir les cotisations et prélèvements sociaux, fait obstacle à l'application de prélèvements sociaux par tout autre Etat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme C...ne sont pas fondés.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 1er mars 2017, M. et Mme C...concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens, subsidiairement à la limitation de l'assiette des sommes soumises à l'imposition sur le revenu et aux prélèvements sociaux, s'agissant de M.C..., aux montants de 59 884 euros (2006), 121 717 euros (2017),
123 892 euros (2018), et, s'agissant de MmeC... aux montants de 15 997 euros (2006), 32 699 euros (2007) et 34 813 euros (2008).
Ils soutiennent, en outre, que :
- un rapport d'expertise établi en avril 2016 par un expert judiciaire révèle que les sommes versées par les deux sociétés françaises à la Sarl Groupe de Narda Participations visaient à rémunérer un ensemble de prestations de service incluant d'autres services que la seule mise à disposition des époux C...au profit des sociétés françaises ;
- il convient donc de ramener pour les années en cause l'assiette imposable sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts aux seules rémunérations versées aux époux en considération des services qu'ils rendent personnellement, et pouvant être estimées au montant de leur rémunération annuelle perçue par la Sarl Groupe de Narda Participations.
Par un mémoire, enregistré le 2 mars 2017, le ministre de l'économie et des finances informe la cour de l'octroi du dégrèvement sollicité en matière de prélèvements sociaux et conclut au non-lieu à statuer sur ce point, le surplus des rehaussements étant maintenu.
Vu :
- l'avis de dégrèvement en date du 6 mars 2017 ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 modifiée ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ;
- le règlement (CE) NO 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Didiot,
- et les conclusions de Mme Peton-Philippot , rapporteur public.
1. Considérant que les sommes versées, en 2006, 2007 et 2008, par les sociétés à responsabilité limitée (SARL) de droit français Narda Electricité Générale et Menuiserie de Narda en rémunération des prestations de gestion administrative, comptable et commerciale réalisées par la société luxembourgeoise Groupe de Narda Participations étant regardées comme imposables en France, l'administration fiscale a procédé à leur réintégration dans le revenu imposable de M. et Mme C...sur le fondement des dispositions de l'article 155A du code général des impôts et a assujetti ces derniers à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2006 à 2008 ; que M. et Mme C...relèvent appel du jugement du 3 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à la décharge de ces droits ainsi que des pénalités dont ils ont été assortis ;
Sur l'étendue du litige :
2. Considérant que par une décision du 6 mars 2017, postérieure à l'introduction de la requête, l'administrateur général des finances publiques de la direction de contrôle fiscal Est a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence d'une somme de 68 441 euros des contributions sociales auxquelles les intéressés ont été assujettis au titre des années 2006 à 2008 ; que les conclusions de la requête sont, dès lors, en tant qu'elles tendent à la décharge de cette somme, devenues sans objet ;
Sur les conclusions à fin de décharge :
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que les requérants n'entrent pas dans les prévisions de l'article 155 A du code général des impôts :
3. Considérant qu'aux termes du I de l'article 155 A du code général des impôts : " Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de Franceen rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; II. Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts que les prestations, dont la rémunération est susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées, correspondent à un service rendu, pour l'essentiel, par elle et pour lequel la facturation par une personne, domiciliée..., ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte ;
5. Considérant que les SARL Menuiserie de Narda et de Narda Electricité Générale ont chacune conclu avec la société Groupe de Narda Participations, établie à Luxembourg, une convention, le 12 juillet 2006, avec effet rétroactif au 1er juillet 2006, par laquelle la société luxembourgeoise s'est engagée à assurer l'ensemble de la gestion administrative, comptable et commerciale des sociétés françaises ; qu'en rémunération de ces prestations, les sociétés françaises ont versé à la société Groupe de Narda Participations des honoraires pour des montants forfaitaires mensuels de respectivement 13 500 euros et 11 500 euros hors taxes ; que M.C..., gérant et détenant 100 % des parts de la société luxembourgeoise contrôle cette dernière ; que Mme C...fait partie du même foyer fiscal que son époux ; qu'il est constant que les intéressés sont fiscalement domiciliés en France ; que peu importe dès lors, pour l'application des dispositions précitées du I de l'article 155 A du code général des impôts, que les prestations susmentionnées aient ou non été rendues en France ; qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que l'administration a imposé les rémunérations en cause perçues par M. et Mme C...sur le fondement de ces dispositions ;
En ce qui concerne l'erreur de rattachement catégoriel :
6. Considérant qu'aux termes de l'article 92 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. (...) " ;
7. Considérant que les requérants soutiennent que les sommes, qu'ils ont perçues, relèvent de la catégorie d'imposition des traitements, salaires et autres rémunérations au sens de l'article 62 du code général des impôts et non de la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
8. Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction que les sommes soumises à imposition sont venues rémunérer non pas les fonctions de gérance exercées par M. D...et Menuiserie de Narda, mais les prestations de gestion administrative, comptable et commerciale, réputées effectuées par la société luxembourgeoise, la SARL Groupe de Narda Participations, dans laquelle il était employé en tant que salarié ; que dès lors que ces services étaient dissociables de l'activité de gérant déployée par M. C...au sein des deux sociétés françaises, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les sommes en cause ont été imposées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
En ce qui concerne l'existence d'une double imposition :
9. Considérant que, comme il a été dit précédemment, l'article 155 A précité prévoit, dans des cas limitativement énumérés, de soumettre à l'impôt la rémunération d'une prestation réalisée en France par une personne qui y est domiciliée ou établie hors de Francedomiciliée ou établie hors de France; qu'ainsi, le législateur a entendu mettre en oeuvre l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale ; que, pour ce faire, il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels ; que, toutefois, dans le cas où la personne domiciliée ou établie hors de Franceau contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, la disposition contestée ne saurait conduire à ce que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt ;
10. Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la réserve d'interprétation ainsi émise par le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, qui conditionne l'application de l'article 155 A à l'absence de double imposition des sommes taxées selon ces dispositions, ne peut concerner, en tout état de cause, que les impositions françaises ; que M. et Mme C...ne peuvent donc utilement faire valoir, pour faire échec à l'application de cet article, qu'ils se sont acquittés au Luxembourg de l'impôt sur le revenu à raison des salaires versés par la société Groupe de Narda Participations ;
En ce qui concerne la méconnaissance des stipulations des articles 14, 15 et 24 de la convention franco-luxembourgeoise :
11. Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 modifiée : " (...) les traitements, salaires et autres rémunérations analogues ne sont imposables que dans l'Etat sur le territoire duquel s'exerce l'activité personnelle source de ces revenus " ; que son article 15 prévoit que : " 1. Les revenus provenant de l'exercice d'une profession libérale et, d'une manière générale, tous revenus du travail autres que ceux qui sont visés aux articles 11, 12, 13 et 14 de la présente Convention sont imposables seulement dans l'Etat où s'exerce l'activité personnelle. 2. Pour l'application du paragraphe précédent, l'activité personnelle n'est considérée comme s'exerçant dans l'un des deux Etats que si elle a un point d'attache fixe dans cet Etat. (...) " ; que l'article 24 de la même convention stipule que : " 1. Tout contribuable qui prouve que les mesures prises par les autorités fiscales des deux Etats contractants ont entraîné pour lui une double imposition en ce qui concerne les impôts visés par la présente Convention peut adresser une demande soit aux autorités compétentes de l'Etat sur le territoire duquel il a son domicile fiscal, soit à celles de l'autre Etat. Si le bien-fondé de cette demande est reconnu, les autorités compétentes des deux Etats s'entendent pour éviter de façon équitable la double imposition. " ;
12. Considérant que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale ;
13. Considérant que les requérants ne sauraient se prévaloir utilement des stipulations de l'article 14 de la convention précitée dès lors que, ainsi qu'il a été développé au point 7, les sommes en litige ne relevaient pas de la catégorie des traitements et salaires mais de celle des bénéfices non commerciaux ; que les épouxC..., fiscalement domiciliés en France, n'établissent pas que l'activité professionnelle pour laquelle ils étaient rémunérés par la société Groupe de Narda Participations était exercée au Luxembourg ; que, par suite, les stipulations précitées de l'article 15 de la convention du 1er avril 1954 ne font pas obstacle à ce que les sommes en litige soient imposées en France sur le fondement de l'article 155 A ;
14. Considérant que les époux C...ne sont pas davantage fondés à se prévaloir des stipulations précitées de l'article 24 de la convention franco-luxembourgeoise dès lors que la réalité d'une double imposition, à raison des mêmes revenus, n'est pas davantage établie ;
En ce qui concerne l'atteinte à la liberté d'établissement et la libre prestation des services garanties par les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :
15. Considérant que M. et Mme C...soutiennent que les dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts méconnaissent les principes de liberté d'établissement et de la libre prestation de services prévus par les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
16. Considérant qu'il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 4, que les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts visent uniquement l'imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée ou établie hors de Franceet ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d'une personne établie ou domiciliée... ; que les requérants, qui ne contestent pas avoir réalisé les prestations en cause ni assurer le contrôle de la société luxembourgeoise, ne justifient pas, en particulier par la production du rapport d'expertise établi le 1er avril 2016, de l'existence d'une telle contrepartie ; qu'en l'absence d'une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de cette dernière personne, les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts ne sauraient porter atteinte ni à la libre prestation des services ni à la liberté d'établissement ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces libertés ne peut qu'être écarté ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administra-
tive :
18. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B...C...et au ministre de l'économie et des finances.
2
N° 15NC02546