Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2017, M. A...B..., représenté par Mes Ferretti et Marcantoni, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 et 2011, ainsi que des pénalités correspondantes ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- il a apporté la preuve du caractère probant de la comptabilité de la société Pharmacie B...et de l'absence de dissimulation de recettes ;
- la reconstitution de chiffre d'affaires n'a abouti qu'à une différence comprise entre 2,10 % et 2,54 % avec le chiffre d'affaires déclaré, pouvant représenter la marge d'erreur appliquée à toute méthode de reconstitution ;
- le montant des contributions sociales ne doit pas être calculé sur la base majorée de 25 % retenue pour l'établissement de l'impôt sur le revenu ;
- la majoration pour manoeuvres frauduleuses n'est pas fondée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lambing,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SELARL) PharmacieB..., dont le gérant et l'unique associé est M. B...et qui a pour activité l'exploitation d'une officine de pharmacie, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, étendue au 31 décembre 2012 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Par proposition de rectification du 20 décembre 2013, l'administration a informé M. B... des conséquences du contrôle entre ses mains et lui a notifié dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2010 et 2011, qui ont été assorties des pénalités correspondantes. M. B...relève appel du jugement du 29 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 29 janvier 2018, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration fiscale a prononcé en faveur de M. B...un dégrèvement des contributions sociales au titre des années 2010 et 2011 pour un montant de 8 098 euros en droits et en pénalités. Les conclusions de la requête de M. B...tendant à la décharge de ces droits et pénalités sont dès lors, dans cette mesure, devenues sans objet.
Sur le surplus des conclusions de la requête :
En ce qui concerne le bien fondé de l'imposition :
S'agissant de la charge de la preuve :
3. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'un redressement, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité présente de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge (...) ".
4. En l'absence de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la charge de la preuve des graves irrégularités invoquées dans la comptabilité de l'entreprise de M. B... et du bien-fondé des rectifications notifiées selon la procédure contradictoire, et contestées par le requérant, incombe à l'administration fiscale en application des dispositions de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales.
S'agissant du caractère non probant de la comptabilité :
5. Pour rejeter la comptabilité de l'officine de pharmacie de M. B...comme non probante au titre des années 2010 et 2011, le vérificateur a constaté que la comptabilité comportait 61 961 factures manquantes pour l'exercice clos en 2010 et 61 083 en 2011, ce qui représentait environ 28 % du nombre total des factures. Le vérificateur a également relevé des incohérences dans les quantités vendues, représentant des écarts de quantités de 19 127 produits en 2011 sur un total d'environ 300 000 produits. L'administration a établi en outre que M. B... détenait le mot de passe lui permettant d'accéder aux fonctionnalités permissives du logiciel comptable LGPI et qu'il l'avait utilisé à 139 reprises en 2010 pour intervenir sur des opérations de décaissement. La suppression des recettes est corroborée par les ruptures de numéros de séquence des factures. Le courrier du 29 novembre 2013 de la société Pharmagest, éditeur du logiciel comptable utilisé par M. B..., indiquant les divers incidents susceptibles d'expliquer ponctuellement des ruptures de séquences ne saurait suffire à justifier les très nombreuses factures manquantes. En outre, la mise en attente de factures et la modification d'une facture non encore validée, qui créent selon l'éditeur du logiciel des suppressions ou des renumérotations de factures, n'ont pas été tracées dans le fichier t_traceactelt_traceacteligne, ne permettant ainsi pas de vérifier la réalité des ruptures de numéros de factures. L'analyse de ce fichier n'aurait par conséquent pas permis à l'administration, contrairement à ce que soutient le requérant, de s'assurer de la régularité de la comptabilité de l'officine. La liste des demandes d'assistance téléphonique formulées par la SELARL Pharmacie B...entre 2010 et 2012 ne permet pas de connaître avec précision les dysfonctionnements subis par l'officine. Il n'est donc pas démontré par M. B...que le logiciel est à l'origine de la numérotation de factures inexistantes. Quant à la gestion des stocks, l'administration a précisé dans la réponse aux observations du contribuable adressée à la SELARL Pharmacie B...le 8 avril 2014 avoir pris en compte les cinq produits mis en location. L'administration n'a également retenu que les écarts de produits supérieurs à dix unités afin de prendre en considération la discordance dans le temps entre les ventes et la mise à jour du stock. Par ailleurs, l'administration a indiqué dans la réponse aux observations du contribuable du 8 avril 2014 que les traitements informatiques réalisés à partir de la comptabilité de l'officine n'ont concerné que les produits vendus en vente directe et il ne résulte pas de l'instruction que les préparations magistrales (TPN) réalisées par l'officine à partir de produits détenus en stock auraient été intégrées dans le calcul des ventes. En outre, M. B..., en se bornant à produire des documents qui ne mentionnent pas la date de mise à jour des données extraites ou qui retracent des ventes non validées et non enregistrées sur la bande caisse, ne démontre pas que les renumérotations de produits expliqueraient les écarts de quantités observés par l'administration concernant 19 127 produits en 2011 sur un total d'environ 300 000 produits. Enfin, si M. B...se prévaut de son incapacité de travailler durant six mois en 2010 à la suite d'une intervention chirurgicale subie le 14 janvier 2010, l'administration a cependant relevé que le code opérateur " DJ ", correspondant à celui du requérant, a été utilisé 1 091 fois en 2010 et que le nombre d'anomalies est similaire en 2010 et 2011. La liste des demandes d'assistance téléphonique fait d'ailleurs mention d'échanges téléphoniques entre l'éditeur du logiciel LGPI et M. B...en février 2010, attestant de l'intervention du requérant dans le fonctionnement de l'officine peu après son opération. Il s'ensuit que l'administration, qui a relevé dans la proposition de rectification que la comptabilité de la SELARL Pharmacie B...ne retraçait pas l'intégralité des opérations effectuées par l'officine dès lors qu'une partie importante des recettes n'avait pas été comptabilisée, doit être regardée comme apportant la preuve du caractère non probant de la comptabilité. Dès lors, c'est à bon droit que le service a écarté la comptabilité de l'officine de M. B...comme étant non probante et a procédé à la reconstitution du chiffre d'affaires de la société.
S'agissant de la reconstitution des chiffres d'affaires :
6. Il résulte de l'instruction que pour procéder à la reconstitution des recettes de l'officine de M.B..., l'administration a déterminé les recettes supprimées à partir des discordances constatées lors de la comparaison des données de ventes et des données du fichier statistique t_historique_vente et le chiffrage a été effectué en s'appuyant sur le prix de vente moyen du produit déterminé d'après les ventes de la période. Pour critiquer la méthode utilisée, le requérant se borne à soutenir que la reconstitution de chiffre d'affaires n'a abouti qu'à une différence comprise entre 2,10 % et 2,54 % avec le chiffre d'affaires déclaré représentant la marge d'erreur de toute méthode de reconstitution. Cependant, comme il a été dit au point 5, l'administration, qui supporte la charge de la preuve, a établi l'existence de minorations de recettes correspondant à des ruptures de numérotation des factures, et a pu à bon droit reconstituer le montant des ventes. M. B...ne propose aucune autre méthode d'évaluation plus précise et ne fournit aucun élément de nature à apprécier le montant des recettes qu'il conviendrait de retenir. Il s'ensuit que le requérant n'apporte pas d'élément justifiant que la méthode de reconstitution des recettes de son officine de pharmacie au titre des exercices clos en 2010 et 2011 mise en oeuvre par l'administration serait radicalement viciée dans son principe ou aboutirait à un résultat exagéré.
En ce qui concerne les pénalités :
7. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ; b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; elle est ramenée à
40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire ; c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du prix stipulé dans un contrat ou en cas d'application de l'article 792 bis. ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ".
8. Pour appliquer des pénalités pour manoeuvres frauduleuses sur le fondement des dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration a relevé que l'utilisation sur l'ensemble de la période vérifiée par le requérant, gérant de la pharmacie, du logiciel permissif LGPI évoqué au point 5 permettant la suppression de factures ainsi que les minorations de recettes correspondants, constitue un comportement visant à égarer l'administration fiscale dans l'exercice de son pouvoir de contrôle. M. B...a utilisé le logiciel permissif à de multiples reprises, au cours de la période vérifiée, pour occulter une partie du chiffre d'affaires de l'officine dont il est le gérant tout en donnant l'apparence de la sincérité à une comptabilité en réalité inexacte. L'accès à cet outil informatique a supposé la saisine d'un mot de passe que l'intéressé a obtenu et un parcours dans les menus informatiques. Ces éléments établissent que la société gérée par le requérant a eu recours à des procédés destinés à égarer l'administration ou à restreindre son pouvoir de contrôle, justifiant que les impositions contestées à l'impôt sur le revenu soient assorties de pénalités pour manoeuvres frauduleuses. L'administration fiscale doit, par suite, être regardée comme ayant suffisamment établi les manoeuvres frauduleuses justifiant la majoration de 80 % contestée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête aux fins de décharge de la requête de M. B...à concurrence du dégrèvement susmentionné prononcé au titre des années 2010 et 2011 pour un montant de 8 098 euros en droits et en pénalités.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'action et des comptes publics.
2
N° 17NC02894