Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 mars 2021, M. B..., représenté par Me Boukara, demande à la cour :
1°) d'accepter d'entendre sa fille ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 novembre 2020 ;
3°) d'annuler l'arrêté notifié le 2 juin 2020 pris à son encontre par le préfet du Haut-Rhin ;
4°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour valable un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 400 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la régularité :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas fait droit à sa demande avant dire droit d'auditionner sa fille et ont ainsi méconnu les exigences des articles 12 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et 388-1 du code civil ;
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas motivé le refus d'auditionner la fille du requérant ;
- le jugement est irrégulier car les premiers juges n'ont pas répondu de manière suffisamment motivée au moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté litigieux.
S'agissant des moyens communs aux décisions litigieuses :
- l'arrêté contesté n'est pas daté ce qui, d'une part, dans le contexte exceptionnel de crise sanitaire est susceptible d'avoir une influence sur la légalité de l'arrêté et, d'autre part, méconnait les exigences de l'article R. 741-2 du code de justice administrative.
S'agissant de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
- la décision est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen ;
- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- il était impossible d'exécuter la mesure d'obligation de quitter le territoire en raison du contexte épidémiologique ; il fallait, en tout cas, limiter les risques de propagation du virus.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2021, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. B... a présenté un mémoire, enregistré le 13 janvier 2022, par lequel il conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens. Ce mémoire n'a pas été communiqué.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 4 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Marchal a été entendu au cours de l'audience publique.
1. M. B..., ressortissant géorgien, né le 14 mai 1977, est entré en dernier lieu en France en novembre 2018 selon ses déclarations. Le 18 février 2020, il a formé une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté notifié le 2 juin 2020, le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. B... fait appel du jugement du 6 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Haut-Rhin.
Sur les conclusions tendant à ce que soit entendue la fille du requérant :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 12 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ". Aux termes de l'article L. 388-1 du code civil : " Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. (...) ". Il résulte de ces dispositions que les enfants mineurs capables de discernement peuvent être entendus par le juge dans le cadre de procédures les concernant.
3. L'arrêté litigieux portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination ne saurait être regardé comme une procédure concernant les enfants du requérant au sens des dispositions précitées. Ainsi et alors que Kristina, la fille de M. B..., a déjà pu exposer sa position quant à la demande de titre de séjour présentée par son père par deux écrits produits au dossier, les conclusions à fin qu'il soit procédé à son audition doivent, en tout état de cause, être rejetées.
Sur la régularité du jugement du tribunal administratif de Strasbourg :
4. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point précédent, le présent contentieux ne saurait être regardé comme une procédure concernant la fille du requérant au sens des dispositions de l'article L. 388-1 du code civil et de l'article 12 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Au demeurant, la fille de M. B... a pu exposer sa position par deux écrits produits au dossier. M. B... n'est ainsi, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que le jugement serait irrégulier faute pour les premiers juges de ne pas avoir fait droit à la demande d'audition de sa fille.
5. En deuxième lieu, le juge administratif n'est pas tenu, à peine d'irrégularité de sa décision, de viser et de rejeter explicitement des conclusions tendant à ce que soit auditionnée une personne dans le cadre de l'instruction d'un litige. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement du tribunal administratif de Strasbourg serait irrégulier en ce que les premiers juges n'ont pas motivé le rejet des conclusions tendant à ce que la fille du requérant soit entendue doit être écarté.
6. En troisième lieu, le jugement attaqué répond de manière suffisante aux moyens invoqués devant les premiers juges par M. B.... Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé en violation de l'article L. 9 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les moyens communs aux différentes décisions :
7. En premier lieu, la décision attaquée, qui n'avait pas à reprendre tous les éléments de la situation personnelle du requérant, vise les articles pertinents applicables à M. B... et rappelle les principaux éléments de sa situation, notamment ses différents séjours en France et sa situation familiale. A ce titre, le préfet, qui n'était pas tenu de viser expressément l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, a, contrairement à ce qu'apparaît soutenir le requérant, pris en compte la présence de ses deux enfants sur le territoire français, mais indique qu'il n'est nullement justifié que M. B... aurait conservé des liens intenses et stables avec ces derniers. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté est insuffisamment motivé et de ce qu'il est entaché d'un défaut d'examen sérieux doivent être écartés.
8. En deuxième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision fait apparaître la date de l'audience et la date à laquelle elle a été prononcée. "
9. Alors que les dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ne sont applicables qu'aux décisions de justice, la seule circonstance que l'arrêté litigieux ne soit pas daté est sans incidence par elle-même sur sa légalité et cela en dépit du contexte sanitaire, dont entend se prévaloir sans plus de précisions le requérant. Par suite le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
10. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Et aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...)/ 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ".
11. M. B... est entré une première fois en France en 2010 avec son épouse et leur fille. Les époux ont eu en 2012 un enfant né sur le territoire français. Cependant, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'un flagrant délit de vol, le requérant a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 29 octobre 2012 et a été éloigné à destination de la Géorgie le 22 novembre suivant. Ses enfants et sa femme ont néanmoins continué à séjourner en France. M. B... est revenu en France en 2014 avant de repartir seul en avril 2018. Il est finalement entré en dernier lieu en France en novembre 2018, soit moins de deux ans avant la décision litigieuse. M. B... indique que son épouse est titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle, qu'il l'assiste en raison de son handicap et qu'il contribue à l'entretien et à l'éducation de leurs deux enfants qui sont scolarisés. Cependant, alors que sa famille a vécu plusieurs années sans lui, les pièces versées au dossier par M. B... ne permettent pas d'établir qu'il contribue à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, ni même qu'il assiste notamment financièrement ou médicalement son épouse, qui en dépit d'un grave accident en 2015 a continué à travailler postérieurement à cet accident et a vécu sans M. B... lors de ses absences au courant de l'année 2018. De surcroît et en tout état de cause, M. B... ne justifie pas que sa femme et ses enfants, qui disposent de la nationalité géorgienne, ne pourraient pas le suivre en Géorgie pour y reconstituer leur cellule familiale. De plus, M. B..., qui a été condamné à une peine d'emprisonnement ferme de quatre mois par un jugement du tribunal correctionnel de Colmar du 2 mars 2016 pour des faits de vol en réunion et vol en récidive, n'apporte aucun élément justifiant d'une quelconque intégration professionnelle ou sociale. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de séjour de l'intéressé en France, la décision attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. B... au regard du pouvoir de régularisation du préfet doit être écarté.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".
13. Compte tenu des circonstances de fait rappelées au point 11, le préfet n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la situation de l'intéressé ne caractérise pas des considérations humanitaires ni des motifs exceptionnels au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable.
14. En troisième lieu, aux termes du 1. de l'article 3 la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
15. Ainsi qu'il a été dit au point 11 du présent jugement, M. B... n'établit pas contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants et, en tout état de cause, il ne justifie pas que ses enfants, ainsi que leur mère, ne puissent le suivre en Géorgie. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
16. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour.
17. En deuxième lieu, si le requérant soutient qu'il ne pouvait exécuter la mesure d'éloignement en raison du contexte sanitaire lié à l'épidémie de coronavirus et qu'il était nécessaire de limiter les limiter les conditions de propagation du virus, ces circonstances, qui ont trait à l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français, sont sans incidence sur la légalité de cette décision. Le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit ainsi être écarté.
18. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux présentés au point 11, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
19. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux présentés au point 15, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
20. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin
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N° 21NC00635