Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2017, et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 23 avril et 4 septembre 2018, la société Aubry Logistique, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1602339 du tribunal administratif de Nancy du 19 septembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 13 juin 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le ministre du travail ne pouvait légalement retirer sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique dont il etait saisi, née du silence gardé pendant le délai de quatre mois, qu'à la condition que la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement fût illégale et que le retrait de cette décision implicite, elle-même illégale, intervînt dans le délai du recours contentieux ;
- la décision du 13 juin 2016 est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation, dès lors que, le délai de dix jours entre la mise à pied conservatoire du salarié et la consultation du comité d'entreprise n'étant pas prescrit à peine de nullité, sa méconnaissance ne saurait constituer un vice substantiel affectant la régularité de la procédure de licenciement ;
- en tout état de cause, le dépassement du délai était justifié par des motifs objectifs et légitimes tels que, d'une part, la nécessité, eu égard à la nature particulière des faits reprochés, de mener une enquête interne et de procéder à un constat d'huissier afin de rassembler les éléments de preuve utiles, d'autre part, la difficulté de réunir le comité d'entreprise dans des délais restreints, compte tenu de l'activité de chauffeur routier de certains de ses membres, enfin, du vote par le comité d'entreprise d'un report de sa réunion initiale en raison de l'arrêt de travail pour maladie de M. D... ;
- elle n'a jamais demandé à son salarié de travailler pendant sa mise à pied conservatoire ;
- le caractère contradictoire de la procédure a été respecté, M. D... ayant été mis à même de discuter les éléments de preuve ;
- les faits reprochés à M. D... sont établis et constitutifs de harcèlement sexuel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2018, et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 2 août et 3 octobre 2018, M. A... D..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête, à la condamnation de la société Aubry Logistique aux entiers dépens de l'instance et à la mise à sa charge de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par la société Aubry Logistique ne sont pas fondés et qu'il a été sollicité par son employeur pour travailler pendant sa mise à pied conservatoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D... a été recruté, le 15 décembre 2003, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de responsable logistique par la société Aubry Logistique, entreprise de transports routiers dont le siège social se trouve à Rambervillers (Vosges). Depuis le 4 mars 2013, il exerce un mandat de représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et bénéficie ainsi du statut de salarié protégé. Reprochant à l'intéressé des agissements de harcèlement sexuel et la consultation de sites internet à caractère pornographique depuis son poste de travail, la société Aubry Logistique, par un courrier du 8 octobre 2015, a sollicité auprès de l'administration du travail l'autorisation de procéder à son licenciement pour faute grave. Par une décision du 30 octobre 2015, l'inspectrice du travail compétente a fait droit à cette demande. Par un courrier du 20 décembre 2015, reçu le 28 décembre suivant, M. D..., qui a été destinataire d'une lettre de licenciement datée du 13 novembre 2015, a formé, contre la décision de l'inspectrice du travail, un recours hiérarchique. Se fondant sur un unique motif, tiré du caractère excessif du délai séparant la notification au salarié de sa mise à pied conservatoire de la consultation pour avis du comité d'entreprise sur la mesure de licenciement, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, par une décision du 13 juin 2016, a retiré la décision implicite de rejet intervenue le 29 avril 2016, a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 30 octobre 2015 et a refusé d'autoriser le licenciement pour faute grave de M. D.... Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2016, la société Aubry Logistique a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 13 juin 2016. Elle relève appel du jugement n° 1602339 du 19 septembre 2017 qui rejette sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, eu égard aux motifs de la décision du 13 juin 2016, la société Aubry Logistique ne saurait utilement soutenir, pour contester la légalité de cette décision, qu'elle n'a pas demandé à son salarié de travailler pendant sa mise à pied conservatoire, que le caractère contradictoire de la procédure a été respecté, M. D... ayant été mis à même de discuter les éléments de preuve, et que les faits reprochés à l'intéressé sont établis et constitutifs de harcèlement sexuel.
3. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2411-13 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Le licenciement d'un représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. ". Aux termes de l'article L. 2421-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Le licenciement envisagé par l'employeur (...) d'un représentant des salariés au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement. / (...) / La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. / En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé dans l'attente de la décision définitive. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 2421-14 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / La consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. / La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise. / S'il n'y a pas de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. / La mesure de mise à pied est privée d'effet lorsque le licenciement est refusé par l'inspecteur du travail ou, en cas de recours hiérarchique, par le ministre. ".
4. Les délais fixés par l'article R. 2421-14 du code du travail, avant l'expiration desquels le comité d'entreprise doit être consulté sur la mesure de licenciement envisagée à l'encontre d'un salarié mis à pied à titre conservatoire et la demande d'autorisation de ce licenciement doit être présentée, ne sont pas prescrits à peine de nullité de la procédure de licenciement. Toutefois, eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied, l'employeur est tenu, à peine d'irrégularité de sa demande, de respecter un délai aussi court que possible pour la présenter. Par suite, il appartient à l'administration, saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent ces dispositions, de s'assurer que ce délai a été, en l'espèce, aussi court que possible pour ne pas entacher d'irrégularité la procédure antérieure à sa saisine.
5. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 31 août 2015, la société Aubry Logistique a convoqué M. D..., pour le 8 septembre 2015, à un entretien préalable en vue de son licenciement pour faute grave et, eu égard à la gravité des faits reprochés, lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire à compter du même jour. Il est constant que le comité d'entreprise ne s'est réuni que le 7 octobre 2015 pour rendre un avis sur la mesure de licenciement envisagée. Il est vrai que la réunion de ce comité avait été initialement prévue le 30 septembre 2015 et a dû être reportée en raison du placement de M. D... en arrêt de travail pour maladie du 24 septembre au 11 octobre 2015. Toutefois, à supposer même que ce report ait été nécessaire, vingt jours s'étaient écoulés à la date du 30 septembre 2015 depuis l'expiration du délai de dix jours institué au deuxième alinéa de l'article R. 2421-14 du code du travail.
6. Si, pour justifier l'ampleur d'un tel dépassement, la société Aubry Logistique invoque notamment la nécessité de conduire une enquête interne sur les agissements du salarié, il ressort des pièces du dossier et, plus particulièrement, des attestations des salariées de l'entreprise, recueillies au cours de cette enquête, que l'employeur disposait, dès le jour de l'entretien préalable du 8 septembre 2015, d'une information suffisamment précise et détaillée sur les motifs du licenciement envisagé pour permettre aux membres du comité d'entreprise de rendre un avis en pleine connaissance de cause. La société requérante fait également valoir que le procès-verbal de constat d'huissier, qu'elle a sollicité afin de constater la présence, sur l'ordinateur de M. D..., de fichiers et de liens internet à caractère pornographique, n'a pu être dressé que le 11 septembre 2015 et transmis que le 14 septembre suivant. Toutefois, la société Aubry Logistique ne démontre pas qu'elle aurait été dans l'incapacité de faire procéder à ce constat avant la date du 11 septembre, alors que ces faits ont été portés à sa connaissance par une attestation du 7 septembre 2015. En tout état de cause, la transmission du constat d'huissier le 14 septembre n'est pas de nature à justifier la convocation du comité d'entreprise après seize jours supplémentaires. Enfin, la requérante fait état de la difficulté de réunir le comité d'entreprise à bref délai, en raison du manque de disponibilité de deux de ses membres, lié à leur activité de chauffeur routier, l'un d'eux exerçant, en outre, les fonctions de secrétaire du comité d'entreprise et étant chargé, en cette qualité, d'arrêter l'ordre du jour conjointement avec l'employeur et de signer les convocations. Si la société Aubry Logistique produit les feuilles " frais et activité " de ce dernier, entre le 7 et le 26 septembre 2015, il ressort de ce même document que l'intéressé s'est trouvé, à plusieurs reprises, au cours de la période considérée, au siège social de son entreprise à Rambervillers ou, à tout le moins, à proximité immédiate de celui-ci. Dans ces conditions, il n'est pas démontré que le chauffeur concerné aurait été dans l'impossibilité d'arrêter l'ordre du jour et de signer les convocations en temps utile pour permettre au comité d'entreprise de se prononcer dans un délai raisonnable.
7. Ainsi, le délai de consultation du comité d'entreprise, qui n'a pas été aussi court que possible, a revêtu, dans les circonstances de l'espèce, une durée excessive entachant d'irrégularité la procédure suivie par l'employeur et, par suite, d'illégalité la décision par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement de M. D.... Dès lors, contrairement aux allégations de la société requérante, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a pu, sans commettre d'erreur de droit, ni d'erreur d'appréciation, retirer la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé devant lui, annuler la décision de l'inspectrice du travail et refuser d'autoriser le licenciement du salarié.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Aubry Logistique n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 13 juin 2016. Elle n'est pas davantage fondée à demander l'annulation du jugement n° 1602339 du 19 septembre 2017. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions présentées par M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Enfin, la présente instance n'ayant pas donné lieu à des dépens, les conclusions de M. D... au titre de l'article R. 761-1 du même code ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Aubry Logistique est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. D... en application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Aubry Logistique, à la ministre du travail et à M. A... D....
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N° 17NC02745