Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2020, M. H... D..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001277 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy du 5 juin 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 30 mai 2020.
Il soutient que :
- sa garde à vue s'est déroulée dans des conditions irrégulières en l'absence d'indication de l'heure à laquelle le procureur de la République de Grenoble a été informé de son placement et de preuve de l'assermentation de l'interprète en langue albanaise chargé de l'assister ;
- l'arrêté en litige du 30 mai 2020 est entaché d'un vice d'incompétence dès lors que la délégation de signature consentie à la signataire de cet acte n'est pas limitée dans le temps ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision du 30 mai 2020 portant interdiction de retour sur le territoire français pendant trois ans est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de sa durée ;
- elle porte également, eu égard à sa durée, une atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale.
La requête a été régulièrement communiquée au préfet du l'Isère qui n'a pas défendu dans la présente instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. H... D... est un ressortissant albanais né le 7 juillet 1990. Interpellé par les services de gendarmerie à Vizille (Isère), le 29 mai 2020, pour conduite d'un véhicule sans permis et refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter, il a déclaré, le lendemain lors de son audition en garde à vue, être entré irrégulièrement en France " avant la crise sanitaire du Covid-19 ". Par un arrêté du même jour, le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant trois ans. M. D... a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 30 mai 2020. Il relève appel du jugement n° 2001277 du 5 juin 2020, qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige du 30 mai 2020 a été signé, " pour le préfet et par délégation ", par Mme E... A..., sous-préfète de La Tour-du-Pin. Il n'est pas contesté que, par un arrêté du 27 août 2019, régulièrement publié le 29 août suivant au recueil spécial n° 38 des actes administratifs de la préfecture, le préfet de l'Isère a consenti à l'intéressée une délégation de signature à l'effet de signer notamment, dans le cadre de sa permanence de responsabilité départementale, les " arrêtés d'obligations de quitter le territoire français assorties ou non d'une interdiction de retour sur le territoire français et fixant le pays de destination d'un ressortissant étranger ". Contrairement aux allégations de M. D..., cette délégation de signature, qui, eu égard à son caractère réglementaire, peut être abrogée à tout moment et qui, en tout état de cause, cesse de produire ses effets lorsque son auteur ou son bénéficiaire quitte ses fonctions, est nécessairement limitée dans le temps. Par suite, alors que le préfet de l'Isère justifie que Mme A... assurait, le 30 mai 2020, sa permanence de responsabilité départementale, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté en litige manque en fait et ne peut, dès lors qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, une interpellation, suivie d'une garde à vue, constitue un acte de police judiciaire dont il n'appartient pas au juge administratif de connaître. Dans ces conditions, si M. D... fait valoir que sa garde à vue s'est déroulée dans des conditions irrégulières en l'absence d'indication de l'heure à laquelle le procureur de la République de Grenoble a été informé de son placement et de preuve de l'assermentation de l'interprète en langue albanaise chargé de l'assister, de telles circonstances sont sans incidence sur la légalité de l'arrêté en litige. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté comme inopérant.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrivée en France de M. D..., " avant la crise sanitaire du Covid-19 ", est récente et que l'intéressé n'a entrepris aucune démarche en vue de régulariser sa situation. Interpellé le 29 mai 2020 pour conduite d'un véhicule sans permis et refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter, le requérant a également été mis en cause, lors d'un précédent séjour, comme auteur de faits de dégradation ou de détérioration du bien d'autrui commis en réunion à Grenoble le 19 mars 2019. M. D... n'apporte aucun élément permettant d'apprécier son intégration dans la société française. Il ne démontre pas davantage être isolé dans son pays d'origine, où réside notamment sa mère. Si le requérant se prévaut encore de la présence régulière en France de son épouse, bénéficiaire de la protection subsidiaire et titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle délivrée le 17 avril 2019 et valable jusqu'au 16 avril 2023, ainsi que de leur fille, née le 9 avril 2018, il a déclaré, lors de son audition en garde à vue, être divorcé et vivre le plus souvent chez une amie à Grenoble. En outre, contrairement aux allégations de l'intéressé, il résulte clairement des motifs de l'arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 11 mars 2019, qui accorde le bénéfice de la protection subsidiaire à Mme D..., que celle-ci a été contrainte de fuir l'Albanie pour échapper aux violences physiques et psychologiques de sa belle-mère et de son époux, qui voulaient notamment la contraindre à mettre un terme à sa grossesse. Enfin, le requérant, qui n'a pas reconnu sa fille et n'a jamais eu le moindre contact avec elle, ne justifie pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant. Dans ces conditions, ni les allégations de M. D... sur sa volonté de reprendre son rôle de mari et de père, ni l'attestation du 5 juin 2020 qu'il produit, dans laquelle son épouse déclare accepter que le requérant voit sa fille et qu'elle fasse partie de sa vie, ne suffisent pas à démontrer que le préfet de l'Isère, en adoptant l'arrêté en litige, a porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
6. En quatrième et dernier lieu, aux termes du troisième paragraphe de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, pour justifier le prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, le préfet de l'Isère a retenu que M. D... est entré récemment en France, qu'il n'y justifie pas de la réalité d'une vie privée et familiale, qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement le 20 mars 2019 à laquelle il a déféré et que, interpellé à deux reprises, les 20 mars 2019 et 29 mai 2020, pour des faits de dégradations volontaires de biens privés, de conduite sans permis d'un véhicule et de refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter, son comportement représente à ce jour une menace pour l'ordre public. En se bornant à faire valoir qu'il souhaite reprendre son rôle de mari et de père et que les faits, qui lui sont reprochés n'auraient donné lieu à aucune poursuite pénale, le requérant ne conteste pas sérieusement les éléments pris en compte par l'autorité préfectorale pour fonder la mesure litigieuse. Par suite, en fixant à trois ans, la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français, le préfet de l'Isère n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
8. D'autre part, eu égard à ce qui a été dit au point 5 du présent arrêt, le moyen tiré de ce que la durée de l'interdiction de retour prononcée à l'encontre de l'intéressé porterait atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale ne peut qu'être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Isère du 30 mai 2020. Par suite, il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me G... pour M. H... D... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
N° 20NC01539 2