Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 décembre 2018, MmeA... B..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg du 11 septembre 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 24 juillet 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de la convoquer afin de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile.
Elle soutient que :
- le premier juge a omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce qu'elle n'a pas reçu les informations requises dans le cadre de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile ;
- le préfet ne démontre pas qu'elle a reçu ces informations ;
- son état de santé justifie que sa demande d'asile soit prise en charge par la France à titre humanitaire ;
- le préfet doit se prononcer sur sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 mars 2019, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête n'est pas privée d'objet dès lors que le délai de remise aux autorités suisses a été prolongé jusqu'au 25 décembre 2019 ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., ressortissante kosovare née le 8 octobre 1984, déclare être entrée irrégulièrement en France le 15 mai 2018, accompagnée de son fils mineur, afin de solliciter le bénéfice du statut de réfugié. Constatant qu'un visa lui avait été délivré par les autorités suisses, le préfet du Haut-Rhin a saisi ces autorités le 15 juin 2018 d'une demande de prise en charge, qui a été expressément acceptée le 25 juin suivant. Par un arrêté du 24 juillet 2018, le préfet du Haut-Rhin a ordonné le transfert de Mme B...vers la Suisse et, par un autre arrêté daté du même jour, a prononcé son assignation à résidence. La requérante relève appel du jugement du 11 septembre 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 juillet 2018 décidant son transfert vers la Suisse. Par ailleurs, le préfet du Haut-Rhin justifie en appel avoir informé les autorités suisses le 12 novembre 2018 que Mme B...avait pris la fuite, et a ainsi prolongé le délai de réadmission jusqu'au 25 décembre 2019.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Mme B...soutenait notamment, devant le tribunal administratif, que le préfet du Haut-Rhin ne lui avait pas délivré les informations se rapportant à la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. Le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg n'a pas répondu à ce moyen qui n'était pas inopérant. Mme B...est donc fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité sur ce point.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Sur la demande d'annulation de l'arrêté du 24 juillet 2018 :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le début de la procédure, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement et constitue une garantie dont la méconnaissance est de nature à entacher d'illégalité la décision ordonnant la remise de l'intéressé à l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. L'annexe X au règlement d'exécution du 30 janvier 2014, publié au Journal officiel de l'Union européenne le 8 février 2014, précise le contenu de la brochure commune prévue par le paragraphe 3 de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B...a reçu, à l'occasion de l'entretien individuel organisé dans les services de la préfecture le 24 mai 2018, trois documents établis en langue albanaise, correspondant au guide du demandeur d'asile, à la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et à la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' ". La requérante, qui a signé la couverture de ces trois documents, ainsi que le compte-rendu d'entretien comportant la mention " Je soussigné certifie sur l'honneur que (...) le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires m'ont été remis ", a attesté avoir été destinataire des informations requises par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré d'une prétendue méconnaissance des obligations d'information prévues par l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté comme manquant en fait.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement précité du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
7. Mme B...soutient que son état de santé justifie que la France examine sa demande d'asile, par dérogation aux dispositions précitées de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013. Toutefois, le certificat médical du 27 août 2018 indiquant que l'intéressée est prise en charge par les Hôpitaux civils de Colmar pour une pathologie néoplasique du sein ne donne aucune indication sur la nature des soins qui lui sont prodigués ou l'urgence que pourrait présenter cette prise en charge. Elle n'établit donc pas que son état de santé ferait obstacle à un transfert vers la Suisse, pays disposant de moyens sanitaires équivalents à ceux dont elle peut bénéficier en France. Mme B... n'est dès lors pas fondée à soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.
8. En troisième lieu, Mme B...ne justifie pas avoir présenté une demande de titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en outre que le préfet conteste expressément avoir reçu une telle demande. Dans ces conditions, elle ne saurait utilement soutenir, en tout état de cause, que le préfet devait se prononcer sur cette demande avant de décider son transfert.
9. En dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Haut-Rhin aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de la requérante.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 24 juillet 2018. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg n° 1805375 du 11 septembre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B...devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
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N° 18NC03301