I. Par une requête enregistrée le 23 octobre 2015 sous le n° 15NC02169, et un mémoire en réplique enregistré le 6 octobre 2016, M. A...B..., représenté par MeC..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 8 juin 2015 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 13 février 2015 en tant que, par ces arrêtés, le préfet du Bas-Rhin a décidé sa remise aux autorités hongroises et l'a assigné à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la lecture de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de remise aux autorités hongroises méconnaît les dispositions de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, ainsi que les articles 42 et 43 du décret du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, dès lors que l'identité du responsable du traitement de ses empreintes digitales ne lui a pas été indiquée ;
- cette décision méconnaît les dispositions des articles 3-2 et 17 du règlement du 26 juin 2013 dès lors, d'une part, que la Hongrie n'est pas en mesure d'assurer correctement l'instruction de sa demande visant à se voir reconnaître la qualité de réfugié en raison des défaillances de son dispositif d'accueil et d'accompagnement des demandeurs d'asile et, d'autre part, qu'il a été victime ainsi que son épouse de mauvais traitements de la part des autorités hongroises ;
- eu égard à l'état de santé de son épouse, le préfet a commis une erreur d'appréciation en ne faisant pas application de la clause dérogatoire de l'article 17 du règlement ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision l'assignant à résidence doit être annulée en raison de l'illégalité de la décision de remise aux autorités hongroises ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 juin 2016, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
II. Par une requête enregistrée le 23 octobre 2015 sous le n° 15NC02175, et un mémoire en réplique enregistré le 6 octobre 2016, Mme E...épouseB..., représentée par MeC..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 8 juin 2015 ;
2°) d'annuler les arrêtés en date du 13 février 2015 en tant que, par ces arrêtés, le préfet du Bas-Rhin a décidé sa remise aux autorités hongroises et l'a assignée à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la lecture de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soulève les mêmes moyens que ceux qui sont invoqués dans la requête susvisée enregistrée sous le n° 15NC02169.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 juin 2016, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Les demandes d'aide juridictionnelle présentées par M. et Mme B...ont été rejetées par deux décisions du président du bureau d'aide juridictionnelle du 7 janvier 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 ;
- le règlement (CE) n° 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. D...a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M. et MmeB..., ressortissants kosovars nés respectivement les 26 décembre 1981 et 24 juillet 1981, déclarent être entrés irrégulièrement en France le 17 décembre 2014 afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de refugié ; que la consultation du fichier Eurodac a révélé que leurs empreintes digitales avaient été relevées le 13 décembre 2014 par les autorités hongroises, lesquelles ont, par un courrier du 3 février 2015, reconnu la Hongrie comme l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile des intéressés et accepté leur reprise en charge en application du b) du 1 de l'article 18 du règlement susvisé du 26 juin 2013 ; que, par quatre arrêtés du 13 février 2015, le préfet du Bas-Rhin a refusé l'admission provisoire au séjour de M. et Mme B... au motif que les autorités hongroises sont responsables de l'examen de leurs demandes d'asile, a ordonné leur remise à ces mêmes autorités et les a assignés à résidence dans le département du Bas-Rhin pour une durée maximale de quarante-cinq jours ; que, par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 8 juin 2015 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces quatre arrêtés, en tant que, par ces mêmes arrêtés, le préfet a décidé leur remise aux autorités hongroises et leur assignation à résidence ;
Sur les décisions de remise aux autorités hongroises :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 18 du règlement du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système " Eurodac " pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin, alors applicable : " Toute personne visée par le présent règlement est informée par l'Etat membre d'origine : / a) de l'identité du responsable du traitement et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle les données vont être traitées par Eurodac ; / c) des destinataires des données ; / d) dans le cas des personnes visées à l'article 4 ou à l' article 8, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; / e) de l'existence d'un droit d'accès aux données la concernant et d'un droit de rectification de ces données. / Dans le cas de personnes visées à l'article 4 ou à l'article 8, les informations visées au premier alinéa sont fournies au moment où les empreintes digitales sont relevées (...) ; qu'aux termes de l'article 2 du même règlement : " Définitions (...) 2. Les termes définis à l'article 2 de la directive 95/46/CE ont la même signification dans le présent règlement (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données : " Définitions. Aux fins de la présente directive, on entend par : / (...) d) "responsable du traitement" : la personne physique ou morale, l'autorité publique, le service ou tout autre organisme qui, seul ou conjointement avec d'autres, détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel ; lorsque les finalités et les moyens du traitement sont déterminés par des dispositions législatives ou réglementaires nationales ou communautaires, le responsable du traitement ou les critères spécifiques pour le désigner peuvent être fixés par le droit national ou communautaire " ;
3. Considérant que le responsable du traitement des données mentionnées dans le fichier Eurodac est, en application des dispositions combinées des articles 2 et 18 du règlement (CE) n° 2725/2000 et de l'article 2 de la directive 95/46/CE, auquel renvoie l'article 2 dudit règlement, la personne physique ou morale, l'autorité publique, le service ou tout autre organisme qui, seul ou conjointement avec d'autres, détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel ; que le responsable du traitement Eurodac est, en France, le ministère de l'intérieur ainsi que l'indique la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " qui est remise aux demandeurs d'asile ; qu'il ressort de leurs propres écritures que les requérants ont été destinataires de brochures en albanais, langue qu'ils ont déclaré comprendre, mentionnant que le ministère de l'intérieur est responsable du traitement des données traitées par le fichier Eurodac ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 18 du règlement du 11 décembre 2000 manque en fait et ne peut qu'être écarté ; qu'en outre, et en tout état de cause, les dispositions alors applicables des articles 42 et 43 du décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l'application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, ne prévoient pas que l'étranger soit individuellement informé de l'identité de la personne physique chargée, le cas échéant, de répondre à sa demande d'accès aux données traitées par le fichier Eurodac ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 3 du règlement susvisé du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. " ; qu'aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
5. Considérant que si la Hongrie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient néanmoins à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ; que M. et Mme B...soutiennent que le traitement des demandes d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Hongrie présentent des défaillances systémiques, qu'ils ont fait l'objet de mauvais traitements de la part des autorités hongroises et que l'état de santé de Mme B...interdit tout retour dans ce pays ;
6. Considérant, d'une part, que les documents généraux produits par M. et Mme B... à l'appui de leurs requêtes d'appel, dont la plupart ne sont pas traduits en français, de même que leurs affirmations relatives aux modalités d'application des règles relatives à l'asile par les autorités hongroises ne peuvent suffire à établir que la réadmission d'un demandeur d'asile vers la Hongrie serait par elle-même, à la date des décisions litigieuses, constitutive d'une atteinte grave au droit d'asile ; que la Hongrie a adopté le 26 juin 2013 une loi entrée en vigueur le 1er juillet suivant pour transposer la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, dont il n'est pas établi qu'elle permettait, à la date des décisions contestées, une détention arbitraire des demandeurs d'asile pendant l'instruction de leur demande ; que si la Commission européenne a ouvert le 10 décembre 2015 une procédure d'infraction à l'encontre de la Hongrie relative à sa législation en matière d'asile, il ressort des pièces des dossiers et notamment de la résolution adoptée le 16 décembre 2015 par le Parlement européen, que cette procédure fait suite à des modifications législatives récentes adoptées par les autorités hongroises en juillet et septembre 2015, postérieurement aux décisions contestées ; que le commissaire aux droits de l'homme a fait part devant la Cour européenne des droits de l'homme, le 17 décembre 2015, de risques de violation des droits des demandeurs d'asile renvoyés en Hongrie à la suite d'une visite dans ce pays du 24 au 27 novembre 2015, plusieurs mois après l'édiction des décisions dont M. et Mme B...demandent l'annulation ; que, dans ces conditions, il n'est pas établi qu'à la date de ces décisions, il existait en Hongrie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile induisant une méconnaissance des droits des demandeurs d'asile ;
7. Considérant, d'autre part, que les allégations de M. et Mme B...relatives aux conditions de leur séjour en Hongrie ne suffisent pas à établir qu'il existe un risque sérieux que leurs demandes d'asile ne soient pas traitées par les autorités de ce pays dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ; que si les requérants soutiennent que M. B...aurait été séparé du reste de sa famille pendant ce séjour et détenu dans un hangar en compagnie de cinquante autres personnes pendant près de deux jours, et que son épouse aurait fait une crise d'épilepsie sans avoir pu être soignée, leurs affirmations, qui ne sont étayées par aucune pièce au dossier, ne sont pas de nature à établir qu'ils seraient exposés à des traitements inhumains ou dégradants en cas de reprise en charge par les autorités hongroises ;
8. Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces des dossiers, et notamment des documents médicaux produits par les requérants, que l'état de santé de Mme B...ferait obstacle à son transfert vers la Hongrie ; qu'ainsi, il n'est pas établi que le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en omettant d'examiner, à titre dérogatoire, la demande d'asile des requérants dans les conditions prévues par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en omettant de faire application des clauses dérogatoire et humanitaire énoncées aux articles 3-2 et 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet du Bas-Rhin n'a pas méconnu le droit d'asile des requérants ; que, pour ces mêmes motifs, M. et Mme B...ne sont pas davantage fondés à soutenir que le préfet du Bas-Rhin aurait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur les arrêtés d'assignation à résidence :
10. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui précède que le moyen, invoqué par voie d'exception à l'encontre des arrêtés d'assignation à résidence et tiré de l'illégalité des décisions de remise aux autorités hongroises, doit être écarté ;
11. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version alors applicable : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 (...) " et qu'aux termes de l'article L. 561-2 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation. Les trois derniers alinéas de l'article L. 561-1 sont applicables, sous réserve de la durée maximale de l'assignation, qui ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois. " ;
12. Considérant, d'une part, que la circonstance que le préfet du Bas-Rhin a notifié, le 4 juin 2015, les arrêtés du 13 février précédent assignant M. et Mme B...à résidence est sans influence sur leur légalité ; que, d'autre part, l'accord des autorités hongroises obtenu le 3 février 2015 en vue de la reprise en charge des intéressés permet de regarder leur éloignement à destination de la Hongrie comme une perspective raisonnable au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'ainsi, le préfet du Bas-Rhin n'a pas commis d'erreur d'appréciation en les assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le magistrat désigné par la président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes présentées par M. et Mme B...sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., à Mme E...épouse B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Bas-Rhin.
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N° 15NC02169, 15NC02175