Par un jugement n° 1402883 du 21 juillet 2016, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision implicite refusant à la requérante le bénéfice du régime indemnitaire applicable aux agents d'administration centrale, a condamné l'Etat à lui verser la somme de 16 280 euros en réparation de son préjudice financier et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 20 septembre 2016, et un mémoire complémentaire enregistré le 13 décembre 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de la cohésion des territoires demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 21 juillet 2016 et de rejeter la demande présentée par Mme Robinot devant les premiers juges ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement en tant qu'il a condamné l'Etat à verser une somme d'un montant supérieur à 2 201,03 euros.
Ils soutiennent que :
- les conclusions indemnitaires présentées par Mme Robinot étaient irrecevables en l'absence de liaison du contentieux ;
- les conclusions indemnitaires tendant à la réparation des pertes de revenus subies par Mme Robinot au titre des années 2010 à 2012 étaient tardives et, par suite, irrecevables ;
- les premiers juges ont indemnisé les pertes de revenus en prenant en compte le montant brut des revenus dont elle a été privée alors qu'elle ne pouvait prétendre qu'à un montant net ;
- l'intéressée ne peut prétendre au régime indemnitaire applicable aux agents d'administration centrale après le 31 juillet 2013, date à laquelle elle a quitté la MIILOS.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 8 février 2017 et le 27 février 2018, Mme B... Robinot, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors que les ministres se bornent à solliciter une réduction de l'indemnité mise à la charge de l'Etat sans chiffrer leurs prétentions ;
- les conclusions des ministres présentées dans le mémoire du 13 décembre 2017 sont irrecevables dès lors qu'elles excèdent ce qui a été demandé dans la requête d'appel ;
- elle justifie avoir présenté une demande préalable avant la saisine du tribunal administratif ;
- le caractère tardif du recours présenté contre la décision fixant le montant de sa prime n'a pas pour effet de rendre irrecevables ses conclusions indemnitaires présentées devant le tribunal ;
- lesdites conclusions sont recevables dès lors qu'elles ne sont pas fondées sur la seule illégalité de la décision pécuniaire lui attribuant la prime litigieuse, mais également sur l'illégalité de la décision prise antérieurement de ne pas appliquer le régime indemnitaire des agents d'administration centrale ;
- le caractère définitif de la décision pécuniaire ne saurait avoir pour conséquence l'irrecevabilité de ses conclusions indemnitaires, sauf à méconnaître l'article 1er du protocole n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, ne s'oppose pas à la présente contestation qui vise à l'indemniser de son préjudice et non à l'annulation d'une décision ;
- l'application de ce principe est contraire aux dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 ;
- le dialogue social engagé par l'employeur constitue une circonstance particulière justifiant que son recours soit présenté au delà du délai requis ;
- les autres moyens soulevés par les ministres ne sont pas fondés.
L'instruction a été close à la date du 16 mars 2018 par une ordonnance du 2 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour Mme Robinot.
Une note en délibéré, enregistrée le 4 avril 2018, a été présentée pour Mme Robinot.
1. Considérant que Mme Robinot, conseiller d'administration, a été affectée à la délégation de Nancy de la mission interministérielle d'inspection du logement social (MIILOS) du 1er septembre 2009 au 31 juillet 2013 ; que, constatant que sa prime de fonctions et de résultats avait été fixée, pendant ses années de service, selon le régime indemnitaire applicable aux agents affectés dans les services déconcentrés, elle a, par un courrier du 30 juin 2014, demandé à l'administration que cette prime soit calculée selon le régime applicable aux agents des administrations centrales ; que Mme Robinot a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite rejetant sa demande du 30 juin 2014 et à la condamnation de l'Etat à réparer, outre son préjudice moral, le préjudice financier résultant du refus de lui octroyer le bénéfice du régime indemnitaire auquel elle estime avoir droit au titre des années 2010 à 2013 ; que, par un jugement du 21 juillet 2016 dont le ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de la cohésion des territoires font appel, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision implicite de rejet, a condamné l'Etat à verser à l'intéressée la somme de 16 280 euros en réparation de son préjudice financier et a rejeté le surplus de ses conclusions ;
Sur la recevabilité du recours :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa version applicable : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée " ; qu'aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les noms et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours " ; qu'en application de l'article R. 811-13 de ce code : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort définies au livre IV " ;
3. Considérant que les ministres ont interjeté appel du jugement accordant une indemnité à Mme Robinot en soutenant dans leur recours, à titre principal, que les premiers juges ne pouvaient réparer les pertes de revenus litigieuses au titre des années 2010 à 2013 au motif que les conclusions indemnitaires présentées à ce titre devant le tribunal administratif n'avaient été précédées d'aucune demande préalable ; que les ministres concluaient dans leur recours à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée par Mme Robinot devant le tribunal administratif ;
4. Considérant, d'une part, que Mme Robinot n'est pas fondée à soutenir que le recours présenté par les ministres est irrecevable en l'absence de chiffrage, dès lors que leurs conclusions initiales impliquent nécessairement que l'Etat soit déchargé de la totalité de la somme à laquelle il a été condamné par le jugement attaqué ;
5. Considérant, d'autre part, que, contrairement à ce que soutient encore Mme Robinot, les conclusions présentées par les ministres dans leur mémoire en réplique enregistré après l'expiration du délai d'appel et tendant, à titre principal, à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande et, à titre subsidiaire, à la réformation de ce jugement en tant qu'il alloue une indemnisation supérieure à 2 201,03 euros, ne sont pas tardives ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité des conclusions à fin de condamnation présentées devant le tribunal administratif :
6. Considérant qu'ainsi qu'il a déjà été dit, Mme Robinot a demandé, par un courrier du 30 juin 2014, que sa prime de fonctions et de résultats soit calculée selon le régime indemnitaire applicable aux agents d'administration centrale, en sollicitant une application rétroactive de ce régime à sa situation pour les années 2010 à 2013 ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutiennent les ministres requérants, Mme Robinot a présenté une réclamation préalable à l'administration, quand bien même elle n'a pas précisé dans sa demande le montant du supplément de prime auquel elle estimait avoir droit au titre des années litigieuses ; que, par suite, cette demande ayant été rejetée par une décision implicite née du silence gardé par l'administration, le contentieux a été lié avant que l'intéressée ne saisisse le juge le 23 octobre 2014 ;
7. Considérant, en revanche, d'une part, que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu'en une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable ; qu'en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance ; que cette règle, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d'un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ; qu'il appartient dès lors au juge administratif d'en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance ; que, par ailleurs, ladite règle, qui ne fait pas obstacle à ce que le requérant recouvre sa créance sous réserve de présenter son recours dans un délai raisonnable, ne méconnait pas les stipulations de l'article 1er du protocole n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
8. Considérant, d'autre part, que l'expiration du délai permettant d'introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l'objet est purement pécuniaire fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée ;
9. Considérant que si les décisions fixant le montant des primes allouées à Mme Robinot au titre des années 2010 à 2012 ne précisent pas les dates auxquelles elles lui ont été notifiées avec l'indication des voies et délais de recours, il n'est pas contesté que l'intéressée, qui a produit ces décisions à l'instance, en a eu connaissance au plus tard au cours du mois de janvier de l'année suivant chacune des deux années litigieuses ; qu'à cet égard, ces décisions purement pécuniaires se sont nécessairement traduites par le versement du montant accordé, selon les indications figurant dans ces décisions et reprises dans les bulletins de paie transmis à Mme Robinot ; que celle-ci doit ainsi être regardée comme ayant eu connaissance de ces décisions au plus tard en janvier 2011, en janvier 2012 et en janvier 2013 ; que la circonstance alléguée par la requérante qui fait état d'une procédure de concertation engagée en 2014 entre l'administration et les représentants du personnel, et portant notamment sur le régime indemnitaire des agents, n'est pas susceptible d'expliquer les raisons pour lesquelles elle n'a pas exercé de recours dans l'année suivant la date à laquelle elle a pris connaissance de ces décisions ; qu'ainsi, à la date à laquelle elle a contesté son régime indemnitaire devant l'administration le 30 juin 2014 et devant le juge le 23 octobre 2014, ces décisions étaient devenues définitives avec toutes les conséquences pécuniaires qui en sont inséparables ; que, par suite, et sans qui fassent obstacle les règles de la prescription quadriennale instituées par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser le supplément de primes auquel elle estime avoir droit au titre des années 2010 à 2012, et qui sont fondées sur l'illégalité des décisions fixant le montant de ces primes, étaient irrecevables ;
En ce qui concerne les conclusions à fin de condamnation présentées devant le tribunal administratif au titre de l'année 2013 :
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après avoir constaté que la MIILOS présentait le caractère d'une administration centrale et que Mme Robinot était fondée en conséquence à bénéficier du régime indemnitaire applicable aux agents affectés dans les services centraux, le tribunal administratif a évalué son préjudice financier à la somme de 4 140 euros pour l'année 2013 en retenant la différence entre le montant de la prime auquel l'intéressée pouvait prétendre au cours de cette même année selon le régime indemnitaire applicable aux agents des services déconcentrés, et le montant correspondant à la prime versée aux agents d'administration centrale occupant des fonctions similaires et justifiant d'une appréciation équivalente de leur manière de servir ;
11. Considérant que si les ministres requérants ne contestent pas le droit de Mme Robinot à bénéficier du régime indemnitaire d'administration centrale, il résulte de l'instruction, d'une part, que, pour calculer la somme due à l'intéressée, le tribunal administratif a pris en compte le montant brut des revenus indemnitaires dont elle a été privée et non leur montant net ; que, d'autre part, les premiers juges ont évalué le montant de prime dû à l'intimée en retenant l'année entière alors qu'il n'est pas contestée que cette dernière a quitté la MIILOS après le 31 juillet 2013 ; qu'il ressort des éléments produits par les ministres requérants, qui tiennent compte du montant net du supplément de prime dû à Mme Robinot pour la période du 1er janvier au 31 juillet 2013, que ce supplément s'établit au montant net de 2 201,03 euros ; qu'en l'absence de contestation sérieuse de ces données chiffrées par l'intéressée, les ministres requérants sont fondés à soutenir que le montant de la condamnation de l'Etat doit être ramené au montant précité ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de la cohésion des territoires sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à Mme Robinot une somme supérieure à 2 201,03 euros ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme Robinot demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 16 280 euros que l'Etat a été condamné à verser à Mme Robinot par le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 1402883 du 21 juillet 2016 est ramenée à 2 201,03 euros (deux mille deux cent un euros et trois centimes).
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 1402883 du 21 juillet 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions de Mme Robinot présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et solidaire, au ministre de la cohésion des territoires et à Mme B...Robinot.
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N° 16NC02106