Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 mai 2017, la société civile immobilière ABL, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 avril 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 23 avril 2014 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 51 600 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 6 372 euros au titre de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision contestée méconnaît le principe de non cumul des peines énoncé à l'article 4 du protocole additionnel n°7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) ; cette disposition est applicable dès lors que la réserve émise par le Gouvernement français n'est pas conforme avec l'article 57§1 et 2 de la CEDH ;
- la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constituent des sanctions pénales au sens de la CEDH ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur de droit.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2017, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SCI ABL en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le principe d'un cumul entre les sanctions pénales et administratives a été voulu par le législateur et déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;
- les pièces du dossier établissent que des travaux ont été effectués au nom et pour le compte de la SCI ABL par trois ressortissants étrangers qu'elle logeait ; les contributions spéciales et forfaitaire ont donc été mise à bon droit à la charge de la SCI ABL.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barteaux,
- et les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Lors de mesures de surveillance, notamment le 26 avril 2012 et le 1er mai 2012, les services de gendarmerie ont constaté la présence d'ouvriers, dépourvus d'autorisation de travail, sur un chantier situé au 7/9 rue de Budange à Ukange (57) et hébergés dans le sous-sol de l'immeuble situé au 7 rue de Budange, appartenant à la SCI ABL. Par une décision du 23 avril 2014, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de la SCI ABL, d'une part, la somme de 51 600 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et, d'autre part, celle de 6 372 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La SCI ABL a formé un recours gracieux le 30 mai 2014, rejeté implicitement par l'OFII. Le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande tendant à l'annulation de cette décision par un jugement du 19 avril 2017 dont la SCI ABL fait appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale.(...) ". Aux termes de l'article R. 8253-1 du même code : " (...) / Cette contribution est à la charge de l'employeur qui a embauché ou employé un travailleur étranger non muni d'une autorisation de travail. ".
3. Aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. (...) ".
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur. Par ailleurs, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.
5. Il résulte de l'instruction, notamment des procès-verbaux de l'enquête judiciaire, que les services de gendarmerie ont constaté, le 26 avril 2012 et le 1er mai 2012, la présence de trois ouvriers, d'origine marocaine, dépourvus d'un titre de séjour et d'autorisation de travail, sur le chantier de l'immeuble situé au 7/9 rue de Budange à Uckange, appartenant à M. A...D.... Interrogé, l'un de ces travailleurs a déclaré, le 2 mai 2012, être présent sur le territoire national depuis près d'un an, avoir été embauché par M. A...D..., en contrepartie d'une rémunération mensuelle de 800 euros, pour effectuer des travaux de bâtiments et être logé dans le sous-sol de l'immeuble situé au 7 rue de Budange. Ces déclarations ont été corroborées par celles d'un commerçant louant un local dans l'immeuble du 9 rue de Budange dans lequel les travaux étaient effectués. Si les trois ressortissants marocains étaient logés dans l'immeuble situé au 7 rue de Budange, propriété de la SCI ABL, dont M. A...D...est associé avec deux de ses frères, cette circonstance ne suffit pas à établir l'existence d'une relation de travail avec la société civile immobilière. Si l'OFII fait valoir que les travaux ont été accomplis pour le compte de la SCI ABL, cette allégation ne ressort pas des procès-verbaux de gendarmerie. Il en ressort au contraire que les travaux ont été effectués pour le compte de M. A...D..., y compris le parking destiné au commerce installé dans son immeuble, sous son contrôle et sa direction, avec des matériaux qu'il fournissait et en contrepartie d'une rémunération qu'il versait aux ressortissants étrangers. L'intéressé a d'ailleurs été condamné par un arrêt de la Cour d'appel de Metz du 23 octobre 2013 pour l'infraction de travail dissimulé et d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié. Il n'est pas établi que les travaux auraient été effectués indirectement pour le compte de la SCI ABL, ni même que ces salariés d'origine étrangère auraient été rémunérés par celle-ci. Compte tenu de ces éléments, l'existence d'une relation de travail entre la SCI ABL et les trois ressortissants marocains n'est pas établie. Il s'ensuit qu'en mettant à la charge de la SCI ABL les contributions spéciale et forfaitaire prévues par les articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit, le directeur de l'OFII s'est fondé sur des faits matériellement inexacts et a entaché d'illégalité sa décision du 23 avril 2014.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la SCI ABL est fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la SCI ABL, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à l'OFII la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'OFII une somme au titre des frais exposés par la SCI ABL et non compris dans les dépens
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 avril 2017 est annulé.
Article 2 : La décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 23 avril 2014 mettant à la charge de la SCI ABL la somme de 51 600 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 6 372 euros au titre de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est annulée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SCI ABL sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'OFII sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI ABL et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
N° 17NC01153 2