Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 août 2018, le préfet des Vosges demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 26 juillet 2018 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme E...devant le tribunal administratif de Nancy.
Il soutient que :
- le moyen retenu par le tribunal administratif n'était pas fondé, dès lors qu'il justifie que le médecin de l'agence régionale de santé a bien été saisi du cas des intéressés ;
- les autres moyens invoqués par M. et Mme E...en première instance ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Haudier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et MmeE..., ressortissants russes nés respectivement en 1989 et 1987, déclarent être entrés en France en 2014 pour y demander l'asile. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 30 juin 2015, confirmées par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 18 décembre 2015. Par deux arrêtés du 21 janvier 2016, le préfet des Vosges a refusé de les admettre au séjour, a pris à leur encontre des obligations de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être éloignés à l'expiration de ce délai. A la suite de ces décisions, M. et Mme E...ont sollicité la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant de l'état de santé de M. E...et de celui de leur fille, ainsi que de leur vie privée et familiale. Par deux arrêtés du 16 avril 2018, le préfet des Vosges a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel ils pourront être éloignés à l'expiration de ce délai et a pris à leur encontre des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le préfet des Vosges relève appel du jugement du 26 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé ces arrêtés.
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) ". Aux termes de l'article
R. 313-22 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général. Par dérogation, à Paris, ce médecin est désigné par le préfet de police. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur l'existence d'un traitement dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Enfin, aux termes des dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour peut être délivrée à l'un des parents étranger de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, sous réserve qu'il justifie résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. L313-2 soit exigée. / L'autorisation provisoire de séjour mentionnée au premier alinéa, qui ne peut être d'une durée supérieure à six mois, est délivrée par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police, dans les conditions prévues au 11° de l'article L. 313-11. Elle est renouvelable et n'autorise pas son titulaire à travailler. Toutefois, cette autorisation peut être assortie d'une autorisation provisoire de travail, sur présentation d'un contrat de travail ".
3. Pour annuler les décisions litigieuses, les premiers juges ont considéré que le préfet ne pouvait pas être regardé comme justifiant avoir recueilli l'avis du médecin de l'agence régionale de santé et qu'un tel vice sur le déroulement de la procédure avait privé M. et Mme E... d'une garantie et était susceptible d'avoir exercé une influence sur le sens des décisions prises. Toutefois, le préfet des Vosges produit en appel les avis du médecin de l'agence régionale de santé du 13 février 2017 et du 2 mai 2017 attestant que ce médecin a bien été saisi à la suite des demandes de titre de séjour formées par M. et Mme E... et qu'il s'est prononcé sur le cas de M. E...et de la fille des intéressés née en 2014. Le moyen tiré du vice de procédure invoqué par M. et Mme E... doit ainsi être écarté. Le préfet des Vosges est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a accueilli ce moyen.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme E...devant le tribunal administratif de Nancy.
En ce qui concerne les décisions portant refus de séjour :
5. En premier lieu, les décisions litigieuses comportent les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. M. et Mme E...ne sont ainsi pas fondés à soutenir que ces décisions ne sont pas suffisamment motivées.
6. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation des intéressés avant de prendre à leur encontre les refus de titre de séjour litigieux.
7. En troisième lieu, si, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant. Il résulte, toutefois, également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
8. De plus si, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour, il n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur les décisions accompagnant cette décision, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
9. En l'espèce, M. et Mme E...ont pu présenter les observations qu'ils estimaient utiles sur leur situation dans le cadre de l'examen des différentes demandes de titre de séjour qu'ils ont formées. Par ailleurs, n'ayant pas déféré à la mesure d'éloignement dont ils avaient précédemment fait l'objet et se trouvant en situation irrégulière, ils ne pouvaient ignorer qu'ils pouvaient faire l'objet d'une nouvelle mesure d'éloignement. Enfin, le préfet justifie leur avoir envoyé le 23 janvier 2018, à l'adresse qu'ils avaient indiquée, une convocation à un rendez-vous à la préfecture. M. et Mme E...n'établissent dès lors pas qu'ils n'ont pas pu, préalablement à l'édiction des décisions litigieuses, présenter des observations et indiquer les raisons qui faisaient obstacle à leur éloignement ou à l'édiction des décisions prises à leur encontre. Les requérants ne peuvent, par suite, pas être regardés comme ayant été privés de leur droit à être entendu garanti par le droit de l'Union.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
11. Compte tenu notamment de la durée du séjour sur le territoire national des intéressés, qui sont entrés en France en 2014, et alors que ces derniers n'établissent ni même n'allèguent être isolés dans leur pays d'origine, où ils ont vécu la majeure partie de leur vie et où la cellule familiale peut se reconstituer, il ne ressort pas des pièces du dossier que les décisions litigieuses ont porté au droit de M. et Mme E... au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises. Le préfet des Vosges n'a, ainsi, méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni, en tout état de cause, les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier, et compte tenu notamment des circonstances susmentionnées, que l'autorité administrative aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ces décisions sur la situation personnelle et familiale des intéressés.
12. En cinquième lieu et compte tenu notamment des circonstances mentionnées au point précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de délivrer à M. et Mme E... un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les intéressés ne peuvent utilement se prévaloir à cet égard de la circulaire du 28 novembre 2012, laquelle ne revêt pas de caractère réglementaire.
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, les moyens dirigés contre les décisions portant refus de titre de séjour ayant été écartés, l'exception d'illégalité de ces décisions invoquée par M. et Mme E... à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire ne peut qu'être écartée par voie de conséquence.
14. En second lieu, les décisions litigieuses comportent les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et sont ainsi suffisamment motivées.
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de renvoi :
15. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet des Vosges se serait estimé lié par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA et qu'il aurait ainsi méconnu l'étendue de sa compétence.
16. En second lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...) ". Ce dernier texte énonce que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
17. M. et Mme E...soutiennent qu'ils encourent des risques en cas de retour en Russie, que M. E...y a été enlevé et qu'ils ont reçu des menaces de mort en raison notamment des activités du père de MmeE.... Toutefois, les éléments produits par les intéressés au soutien de leurs allégations ne permettent pas de considérer comme établi qu'ils encourent effectivement et personnellement des risques en cas de retour dans leur pays. Les intéressés n'établissent notamment pas qu'ils ne pourraient pas bénéficier de la protection des autorités nationales. Au demeurant, leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions de l'OFPRA du 30 juin 2015, confirmées par la CNDA le 18 décembre 2015. Il ne ressort, par suite, pas des pièces du dossier que les décisions fixant le pays à destination duquel M. et Mme E...pourront être éloignés seraient intervenues en violation des stipulations et dispositions précitées.
En ce qui concerne les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français :
18. Aux termes des premier et deuxième alinéas du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour ".
19. Compte tenu notamment des circonstances énoncées au point 11, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet ne pouvait pas légalement assortir les obligations de quitter le territoire prises à l'encontre de M. et Mme E...d'interdictions de retour sur le territoire français. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les décisions litigieuses ont porté aux droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises. Les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont ainsi pas été méconnues.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Vosges est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés du 16 avril 2018 et lui a enjoint de délivrer à M. et Mme E...une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer leur situation administrative dans un délai de quinze jours.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 1801338 et 1801339 du 26 juillet 2018 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme E...devant le tribunal administratif de Nancy sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E..., à Mme A...B...épouse C...épouse E...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet des Vosges.
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N° 18NC02242