Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 août 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour d'annuler le jugement du 29 mai 2020 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a annulé la décision du 13 février 2018 de la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg et lui a enjoint de verser à M. A... la retenue de traitement opérée au titre de la période du 24 janvier au 2 février 2018.
Il soutient que :
- au regard des dispositions de l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration n'était pas tenue de réaliser une contre visite-médicale avant de procéder à la retenue pour service non fait ;
- l'organisation d'une contre-visite médicale était en tout état de cause impossible dans la pratique en raison des circonstances particulières tenant au nombre inhabituel d'arrêts maladie sur une courte période dans le cadre de l'organisation d'un mouvement concerté de cessation du travail des personnels pénitentiaires ;
- l'arrêt maladie de M. A... n'était pas justifié par des raisons médicales.
La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;
- la loi n°61-825 du 29 juillet 1961 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., surveillant de l'administration pénitentiaire au centre de détention de Villenauxe-la-Grande, a adressé à son administration un avis d'arrêt de travail du 24 janvier 2018 prescrivant une interruption de travail du 23 janvier au 2 février 2018 inclus. Par une décision du 13 février 2018, la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg a procédé à une retenue de 11/30ème de sa rémunération mensuelle à raison de l'absence de service fait du 23 janvier 2018 au 2 février 2018. M. A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'annulation de cette décision, le rétablissement rétroactif de l'intégralité de son traitement et de ses indemnités ainsi que l'indemnisation des préjudices subis en raison de l'illégalité de cette décision à hauteur de 3 000 euros. Par un jugement du 29 mai 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, après avoir annulé la décision du 13 février 2018, a enjoint à la garde des sceaux, ministre de la justice, de verser à M. A... la retenue de traitement opérée au titre de la période du 24 janvier au 2 février 2018 et a rejeté le surplus de sa demande. Le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel du jugement du 29 mai 2020 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a annulé la décision du 13 février 2018 et lui a enjoint de verser à M. A... sa rémunération au titre de la période du 24 janvier au 2 février 2018.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (...) ". Selon l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) ". L'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, prévoit que : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ".
3. Si, en vertu des dispositions précitées l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sont adressés à l'administration sur une courte période et que l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a adressé un certificat médical d'interruption de travail à son employeur pour la période du 23 janvier au 2 février 2018. Aucune contre-visite n'a été diligentée par l'administration pour vérifier le bien-fondé de cet arrêt de travail. Cet arrêt s'est cependant produit dans le contexte d'un mouvement social de grande ampleur des surveillants pénitentiaires, bien que la cessation de travail leur soit interdite en vertu de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958. Ainsi, dans le centre pénitentiaire de Villenauxe-la-Grande dans lequel M. A... exerce, il n'est pas contesté que 86 des 143 surveillants pénitentiaires soit plus de 60 % d'entre eux, ont cessé leur travail à la même période et ce en dehors de toute épidémie. Le nombre moyen d'arrêts pour maladie était alors de plus de 50,5 par jour alors qu'il était en moyenne de 9,1 par jour entre le 1er janvier et le 20 janvier 2018, avant le début du mouvement social. Au regard du nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sur une courte période de huit à dix jours, l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986. Ces circonstances particulières, permettent de douter sérieusement de la réalité des motifs médicaux justifiant l'arrêt de travail en litige. M. A..., quant à lui, s'est borné à présenter un arrêt de travail qui fait mention d'un " burnout " pour une durée de onze jours. Il n'apporte toutefois aucun élément circonstancié permettant d'étayer la réalité de cette pathologie. Il s'ensuit que, dans les circonstances de l'espèce, la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg a pu conclure que, sous couvert de ce certificat médical, le requérant avait participé au mouvement social prohibé, que son absence n'était pas justifiée par un motif médical et opérer une retenue sur son traitement à hauteur de 11/30ème pour absence de service fait au titre de la période comprise entre les 23 janvier 2018 et 2 février 2018.
5. C'est, dès lors, à tort que les premiers juges, pour annuler la décision du 13 février 2018, se sont fondés sur le motif tiré de ce que la ministre n'établissait pas que l'arrêt de travail présenté par M. A... serait injustifié ou qu'il aurait été accordé par complaisance.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
7. D'une part, aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (...) ". Selon l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961 portant loi de finances rectificative pour 1961 : " (...) L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. Il n'y a pas service fait : / 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; / 2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements (...) ".
8. D'autre part, l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que : " (...) doivent être motivées les décisions qui : (...) / refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ".
9. Dans le cas où elle révèlerait par elle-même un refus opposé à une demande tendant à la reconnaissance d'un droit à rémunération malgré l'absence de service fait, la décision par laquelle l'autorité administrative, lorsqu'elle liquide le traitement d'un agent, procède à une retenue pour absence de service fait au titre du 1° de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961 est au nombre des décisions qui refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir au sens de l'article L.211-2 du code des relations entre le public et l'administration.
10. Ainsi qu'il a été dit, M. A... a adressé à l'administration un certificat médical d'interruption de travail pour la période du 23 janvier au 2 février 2018. Il devait ainsi être regardé comme demandant la reconnaissance d'un droit à rémunération malgré l'absence de service fait. La décision du 13 février 2018 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg a procédé à une retenue sur traitement, alors que M. A... était placé en congé de maladie, révèle, en conséquence, par elle-même, un refus opposé à la demande de M. A... tendant à la reconnaissance d'un droit à rémunération malgré l'absence de service. Elle est ainsi au nombre des décisions qui refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit devant être motivées en vertu de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.
11. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 13 février 2018, qui procède à la retenue sur traitement de M. A... énonce, en son article 1er, que " l'absence de service fait du 23 janvier 2018 au 2 février 2018 de M. B... A... donne lieu à une retenue de 11/30ème de sa rémunération mensuelle ". Toutefois, en se bornant à mentionner ces seuls éléments sans préciser les motifs pour lesquels elle avait décidé de procéder à une retenue de traitement malgré l'avis d'arrêt de travail présenté par M. A... lui donnant, en principe, droit au versement de son traitement, la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg a insuffisamment motivé sa décision.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens, que le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision de la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg du 13 février 2018.
Sur l'injonction prononcée par le tribunal :
13. L'annulation de la décision du 13 février 2018 prononcée par le présent arrêt pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation éventuelle par l'administration, que la retenue de traitement soit restituée à l'intéressé.
14. Il en résulte qu'au regard du motif d'annulation retenu au point 11 du présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de verser à M. A... sa rémunération pour la période du 23 janvier au 2 février 2018, majorée des intérêts au taux légal, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, si le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas émis, avant l'expiration de ce délai, une nouvelle décision dans des conditions régulières.
15. Le garde des sceaux, ministre de la justice est, en conséquence, uniquement fondé à demander la réformation de l'injonction prononcée par l'article 2 du jugement attaqué.
D E C I D E :
Article 1er : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de restituer à M. A... les sommes dues au titre de son traitement pour la période du 23 janvier au 2 février 2018 inclus, augmentées des intérêts au taux légal dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir, si le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas, avant l'expiration de ce délai, pris une nouvelle décision de retenue sur traitement à l'égard de M. A... dans des conditions régulières.
Article 2 : L'article 2 du jugement du 29 mai 2020 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. B... A....
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N° 20NC02326