Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 janvier 2020, Mme C..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 16 décembre 2019 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 11 octobre 2019 du préfet de la Moselle ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de réexaminer sa situation administrative dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer un titre de séjour, sous astreinte de 30 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise en méconnaissance des droits de la défense et du droit d'être entendu ;
- le préfet de la Moselle n'a pas procédé à un examen approfondi de sa situation personnelle s'estimant lié par le rejet de sa demande d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le jugement est entaché d'une erreur de fait dès lors qu'elle est arménienne et non géorgienne ;
- la décision litigieuse méconnaît les stipulations de l'article 16 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
s'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle n'est pas motivée ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le jugement est entaché d'une erreur de fait dès lors qu'elle est arménienne et non géorgienne ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2021, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient, en se référant à ses écritures de première instance, que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;- la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante arménienne, est entrée sur le territoire français, selon ses déclarations, le 4 décembre 2018 afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 31 janvier 2019, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 2 octobre 2019. Par un arrêté du 11 octobre 2019, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office à l'expiration de ce délai. Mme C... fait appel du jugement du 16 décembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, il ressort des termes mêmes de la décision contestée que pour faire obligation à Mme C... de quitter le territoire français, le préfet de la Moselle, après avoir visé les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables, a notamment indiqué que l'intéressée était entrée sur le territoire français le 4 décembre 2018, que sa demande d'asile avait été rejetée tant par l'OFPRA que la CNDA, que compte tenu des circonstances particulières de fait et de droit relatives à sa situation personnelle, il n'était pas porté atteinte à sa vie privée et familiale et qu'elle n'établissait pas encourir un risque de traitement prohibé par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de départ de France. En outre, le préfet de la Moselle n'était pas tenu de mentionner tous les éléments de la situation de Mme C..., mais uniquement ceux qui fondent sa décision. Celle-ci comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constitue le fondement. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté. Par ailleurs, Mme C... ne peut utilement se prévaloir directement à l'appui de sa requête des objectifs fixés par l'article 12 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dès lors qu'à la date de la décision contestée, ce texte avait été transposé en droit interne par la loi n°2011-672 du 16 juin 2011.
3. En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise après que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2 du même code, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande de reconnaissance de sa qualité de réfugié. Lorsqu'il sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, l'intéressé ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'impose pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise en conséquence du refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié ou de l'octroi du bénéfice de la protection subsidiaire.
4. Mme C... a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Il lui appartenait, lors du dépôt de sa demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'elle estimait utiles. Il lui était loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Elle ne pouvait ignorer, en raison même de l'accomplissement de cette démarche, qu'elle pourrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement en cas de rejet de sa demande. Il lui appartenait, le cas échéant, de fournir spontanément à l'administration tout élément utile relatif à sa situation et notamment à d'éventuels motifs humanitaires de nature à justifier son admission au séjour à titre exceptionnel. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... ait fait part de tels éléments à l'administration, ni même vainement tenté de le faire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
5. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Moselle se serait estimé en situation de compétence liée pour prononcer à l'encontre de la requérante une obligation de quitter le territoire français.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 16 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. / 2. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ".
7. Mme C..., née en 1980, se prévaut de la résidence régulière en France de sa mère, sa soeur, son frère et son neveu et de la scolarisation de ses enfants, nés en 2003, 2004, 2006, 2008 et 2010. Il ressort toutefois des pièces du dossier, qu'à la date de la décision contestée, la requérante résidait en France depuis moins d'un an et n'était pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où réside toujours son époux et où elle a elle-même vécu la majeure partie de sa vie. En outre, eu égard à l'âge de ses enfants et au caractère récent de leur scolarisation en France, Mme C... ne fait valoir aucun élément de nature à établir qu'elle ne pourrait retourner en Arménie accompagnée de ses enfants et que leur scolarité ne pourrait s'y poursuive normalement. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le préfet a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale, ainsi qu'à celui de ses enfants, une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a décidé de l'obliger à quitter le territoire français. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations précitées ne peuvent qu'être écartés.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
8. En premier lieu, la décision contestée, après avoir mentionné la nationalité arménienne de la requérante, précise que cette dernière n'établit pas encourir un risque de traitement prohibé par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions, la décision en litige, qui comporte les éléments de fait et de droit qui en constituent le fondement, est suffisamment motivée.
9. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré par voie d'exception de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peine ou traitements inhumains ou dégradants ". L'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
11. Mme C... soutient qu'elle craint pour sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine en raison des menaces dont elle a été victime concernant de fausses accusations de blanchiment d'argent. Toutefois, la seule production de son récit et d'une convocation émanant du bureau d'enquête du service de sécurité nationale, visant à porter une accusation et à enquêter sur des faits non précisés, ne permet pas d'établir la réalité et l'actualité des craintes alléguées, alors qu'au demeurant tant l'OFPRA que la CNDA ont rejeté sa demande d'asile. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent également qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
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N° 20NC00113