Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 mai et 23 juillet 2019, M. I... et Mme J..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 avril 2019 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions du 4 avril 2019 prises à leur encontre par le préfet du Bas-Rhin :
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de les placer en procédure normale pour l'examen de leurs demandes d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le premier juge a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions de transfert en litige méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013
- leur requête n'est pas irrecevable en raison d'un défaut de motivation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2019, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable en raison d'une insuffisance de motivation ;
- les moyens soulevés par les requérants à l'encontre des décisions de transfert en litige ne sont pas fondés.
M. I... et Mme J... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 28 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Michel, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. I... et Mme J..., ressortissants russes d'origine tchétchène nés respectivement le 14 juillet 1994 et le 8 juillet 1996, sont entrés irrégulièrement en France et ont sollicité leur admission au séjour au titre de l'asile, mais par des décisions du 4 avril 2019, le préfet du Bas-Rhin a décidé leur transfert vers la Pologne, regardée comme l'Etat membre responsable de leurs demandes d'asile. Ils font appel du jugement du 26 avril 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicable en appel : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge (...) ". La requête de M. I... et Mme J... tend à l'annulation du jugement du tribunal administratif du 26 avril 2019 et contient un exposé précis des faits et des moyens pour contester les décisions du 4 avril 2019 du préfet du Bas-Rhin. Elle est ainsi suffisamment motivée et dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Bas-Rhin doit être écartée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. A l'appui de leurs demandes tendant à l'annulation des décisions de transfert du 4 avril 2019, M. I... et Mme J... soutenaient notamment que la France était l'Etat membre responsable de leurs demandes d'asile en vertu des dispositions de l'article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil. Le premier juge n'a pas répondu à ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, le jugement est irrégulier et doit être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. I... et Mme J... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne tendant à l'annulation des décisions du préfet du Bas-Rhin du 4 avril 2019.
Sur les décisions de transfert du 4 avril 2019 :
5. En premier lieu, par un arrêté du 26 mars 2019 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 27 mars 2019, le préfet du Bas-Rhin a donné délégation à Mme E... C..., directrice des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer tous arrêtés et décisions relevant des attributions dévolues à cette direction, à l'exception de certaines catégories d'actes au nombre desquelles ne figurent pas les décisions de transfert. Selon l'article 2 de cet arrêté, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme C..., la délégation dont elle dispose en vertu de l'article 1er est exercée en premier rang par Mme G... A..., attachée principale, chef du bureau de l'asile et de l'éloignement, à l'exclusion des refus de séjour. En l'espèce, il n'est pas établi ni d'ailleurs allégué que Mme C... n'aurait pas été absente ou empêchée, et, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de Mme A... pour signer les décisions en litige doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 4 de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement Européen et du Conseil : " Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend des éléments de preuve ou des indices tels que décrits dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou des éléments pertinents tirés des déclarations de la personne concernée, qui permettent aux autorités de l'Etat membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement ". Il ressort des pièces du dossier que les requêtes aux fins de reprise en charge de M. I... et Mme J... adressées par la France aux autorités polonaises ont été présentées à l'aide du formulaire type prévu par les dispositions précitées et annexé à ce règlement dont il est constant qu'il répond à ses exigences. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement Européen et du Conseil : " Si le demandeur a, dans un Etat membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet Etat membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ". Aux termes de l'article 2 du même règlement : " g) "membres de la famille", dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des Etats membres : - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l'Etat membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers (...) ".
8. Si les requérants soutiennent que la demande d'asile de la soeur de Mme J... a été instruite par la France en procédure normale, ils ne peuvent se prévaloir des dispositions précitées de l'article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 pour soutenir que la France est responsable de leurs demandes d'asile, dès lors que la soeur de Mme J... n'est pas " membre de la famille " au sens des dispositions de l'article 2 de ce règlement auxquelles renvoient celles de l'article 10 précité.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Si les requérants soutiennent qu'ils ont quitté la République fédérale de Russie en raison de la vendetta dont la famille est l'objet et qu'ils sont recherchés jusqu'en Pologne, ils n'établissent pas, par les quelques témoignages peu étayés qu'ils produisent, le caractère réel, personnel et actuel des risques encourus en cas de retour en Pologne ni qu'ils ne pourraient pas bénéficier de la protection de cet Etat contre les risques allégués. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
11. Si M. I... et Mme J... soutiennent que l'accord implicite de la Pologne ne garantit pas que cet Etat a examiné les conditions de la prise en charge de Mme J... au regard de sa situation personnelle, dès lors qu'elle était alors enceinte d'un peu plus de sept mois, la circonstance que l'intéressée souffrait de malaises vagaux lors de ses déplacements alors par ailleurs qu'elle était accompagnée de son époux ne saurait permettre de la regarder comme une personne vulnérable. En outre, il n'est pas établi que sa grossesse ne lui permettait pas de voyager jusqu'en Pologne. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 9 ci-dessus, les requérants n'établissent pas qu'ils encouraient des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Pologne. Par suite, et alors même que la demande d'asile de la soeur de Mme J... a été instruite par la France, les moyens tirés de ce que le préfet du Bas-Rhin aurait commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en ne les faisant pas bénéficier des dispositions précitées de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, doivent être écartés.
12. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
13. Il ressort des pièces du dossier que M. I... fait l'objet, comme son épouse, d'une décision de transfert vers la Pologne et il n'établit pas qu'il ne pourra pas y poursuivre une vie privée et familiale normale avec leur enfant qui a vocation à les accompagner. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. I... et Mme J... ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions du 4 avril 2019 prises à leur encontre par le préfet du Bas-Rhin.
15. Le présent arrêt de rejet n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées en appel par M. I... et Mme J... ne peuvent qu'être rejetées. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, il en est de même s'agissant de leurs conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement nos 1900900 - 1900901 du 26 avril 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. I... et Mme J... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et leurs conclusions en appel à fins d'injonction et tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... I..., à Mme D... J... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme F..., présidente,
- Mme Antoniazzi, premier conseiller,
- M. Michel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 octobre 2019.
Le rapporteur,
Signé : A. MichelLa présidente,
Signé : C. F...
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 19NC01603