Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 novembre 2021, M. B..., représenté par Me Andreini, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 29 juillet 2021 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 avril 2021 de la préfète du Bas-Rhin ;
3°) à titre principal, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un certificat de résidence dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait ; contrairement à ce qu'ont indiqué les premiers juges, l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 16 juin 2020 précise que le défaut de prise en charge ne devrait pas entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité et il ne se prononce pas sur la disponibilité des soins en Algérie ;
- les premiers juges ont statué infra-petita car ils ne se sont pas prononcés sur la gravité de sa pathologie puisqu'ils l'ont tenue pour établie ;
sur la décision de refus de certificat de résidence algérien :
- elle est entachée d'une absence d'examen de sa situation personnelle ; la préfète s'est uniquement fondée sur l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- la préfète a entaché sa décision d'une erreur de droit tiré de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence ; elle s'est cru liée par l'avis de l'autorité médicale ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation car le défaut de soins, requis par son état de santé, entrainerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- il ne pourra pas bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ; le système de soins de santé mentale est insuffisant en Algérie ; il n'a aucune ressource financière ; il n'est pas autonome dans le suivi de son traitement et a besoin de ses frères qui sont en France ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus du certificat de résidence algérien ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait tirée de l'absence de prise en compte de l'impossibilité à voyager sans risques ; son médecin traitant et le rapport médical confidentiel de l'Office français de l'immigration et de l'intégration destiné au collège des médecins précisent son incapacité à voyager seul ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à son incapacité à voyager sans risque ; il ne peut donc faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, sauf à méconnaître les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige ;
sur la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2022, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 11 février 2022.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant algérien né le 11 décembre 1985, est entré en France muni d'un visa de court séjour à entrées multiples pour un séjour de trente jours, valable du 20 août 2015 au 19 novembre 2015. Le 28 octobre 2015, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien. Il a fait l'objet le 28 février 2017, d'un premier refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français. M. B... a ensuite déposé une demande de titre de séjour pour raison de santé dans le cadre de la protection contre l'éloignement. Le 13 novembre 2018, il a fait l'objet d'un refus simple. Le 21 février 2019, il a déposé une nouvelle demande de titre de séjour en raison de son état de santé qui a été rejetée, le 14 novembre 2019, à la suite du rejet implicite de son recours gracieux. Le 21 novembre 2019, il a sollicité de nouveau la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien. Par une décision du 15 avril 2021, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement. M. B... relève appel du jugement du 29 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision attaquée :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) / au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, il appartient au juge administratif, lorsque le demandeur lève le secret relatif aux informations médicales qui le concernent en faisant état de la pathologie qui l'affecte, de se prononcer sur ce moyen au vu de l'ensemble des éléments produits dans le cadre du débat contradictoire.
3. Pour prendre l'arrêté contesté, le préfet a estimé, suivant l'avis du 16 juin 2020 du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que si l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale, le défaut de prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
4. Pour contester ce motif, M. B... produit une copie du certificat médical confidentiel de son médecin traitant adressé à l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 21 novembre 2019 qui précise qu'il souffre d'un stress post traumatique, qu'il a des d'hallucinations, des troubles du comportement, des agitations, qu'il prend des neuroleptiques et anxiolytiques, qu'il suit une psychothérapie, qu'une aggravation du pronostic est possible et enfin qu'il est dans l'incapacité de voyager seul et de faire les actes de la vie courante. M. B... produit de nombreuses ordonnances de son psychiatre ainsi que des certificats médicaux de ses deux psychiatres des 4 avril 2016, 9 mai 2017, 4 février 2019, 27 mai 2021 et 2 juillet 2021 qui précisent qu'il est tombé malade à la suite du décès brutal de son frère en Algérie, qu'il souffre d'un état de stress post-traumatique persistant, de troubles de l'humeur importants et sévères, d'accès d'agitations psychomotrices, de troubles relationnels, d'un état, " borderline ", que le pronostic est réservé, qu'il n'est pas autonome et que sans la présence de ses frères les consultations et les prises de médicaments ne seraient pas possibles. Ces éléments, qui attestent de la gravité de la pathologie dont souffre le requérant, contredisent l'avis des médecins de l'OFII selon lequel l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. Par suite, comme indiqué dans le considérant 6, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le préfet n'avait pas entaché sa décision d'une erreur dans l'appréciation des conséquences d'une exceptionnelle gravité que pourrait entraîner le défaut de sa prise en charge.
5. L'annulation de la décision de refus de délivrance d'un certificat de résidence algérien du 15 avril 2021 entraîne, par voie de conséquence, celle des décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, tirés notamment de la régularité du jugement attaqué, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par ce jugement, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué, l'exécution du présent arrêt implique seulement que la préfète du Bas-Rhin réexamine la demande de M. B... tendant à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Il y a donc lieu d'enjoindre à l'autorité préfectorale d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer durant cette attente une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais de l'instance :
8. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Andreini, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2103487 du tribunal administratif de Strasbourg du 29 juillet 2021 et l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 15 avril 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la demande de M. B... tendant à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, durant cette attente, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Andreini une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Andreini.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
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N° 21NC02867