Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 décembre 2019 et 6 novembre 2020, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 novembre 2019 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 juillet 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office à l'expiration de ce délai ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, le tout sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la compétence de l'auteur de l'acte n'est pas établie ;
- le rapport du médecin instructeur auprès du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est incomplet ce qui n'a pas permis au collège de médecins de porter une appréciation exacte sur sa situation médicale ;
- l'arrêté méconnaît le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle n'est pas à même de bénéficier d'un traitement effectif en Géorgie ;
- il méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2020, la préfète de la région Grand-Est, préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les médicaments prescrits à Mme D... sont disponibles en Géorgie ;
- son fils mineur a vocation à la suivre en cas de retour en Géorgie ;
- les autres moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B..., présidente assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante géorgienne, née le 10 juillet 1966, est entrée en France le 14 février 2017, où elle a rejoint son fils, né le 27 juin 2002. Sa demande d'admission au titre de l'asile a été rejetée par une décision du 19 décembre 2017 de l'Office français pour la protection des réfugié et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le 30 mai 2018. Elle a sollicité un titre de séjour pour raisons de santé. Par un arrêté du 15 juillet 2019, le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office à l'expiration de ce délai. Par un jugement du 15 novembre 2019, dont Mme D... relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté par les mêmes motifs que ceux du point 1 du jugement attaqué.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ". Selon l'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical, conformément au modèle figurant à l'annexe B du présent arrêté. ".
4. Il résulte des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 du même code, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
5. Par son avis du 11 mars 2019, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé que l'état de santé de Mme D... nécessitait une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour elle, mais qu'elle était cependant en mesure de bénéficier d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'alors que le certificat médical confidentiel du médecin psychiatre suivant habituellement la requérante indiquait qu'un voyage de retour dans son pays d'origine était " médicalement contre-indiqué " et " concrètement inenvisageable " et précisait qu'il existait un risque suicidaire " patent ", le rapport du médecin instructeur auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne mentionne pas ces éléments, mais fait état de l'absence " d'idéation suicidaire ". Cependant, il ressort des pièces du dossier que Mme D..., convoquée à une visite médicale par le médecin instructeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne s'y est pas présentée, sans justifier de son absence, faisant ainsi obstacle à ce que l'importance de ses troubles psychiatriques et sa capacité à voyager vers son pays d'origine soient évaluées. Le médecin instructeur s'est, dans ces circonstances, prononcé au vu du certificat médical établi par le médecin la suivant habituellement et des pièces médicales dont il disposait et en particulier des informations relatives au traitement de Mme D.... S'il s'est écarté des indications du certificat médical confidentiel, ces énonciations ne le liaient pas. Le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a, en outre, pas sous-estimé la gravité de l'état de santé de Mme D... en estimant que le défaut de prise en charge de son affection serait de nature à entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour elle. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration se serait prononcé au vu d'un rapport incomplet et aurait ainsi émis une appréciation erronée sur sa situation médicale.
7. En outre, il ressort des pièces du dossier que le Laroxyl, dont le principe actif est l'amitriptyline, qui est au nombre des médicaments prescrits à la requérante, figure sur la liste des médicaments autorisés en Géorgie. Par ailleurs, la loi sur les stupéfiants, adoptée le 28 décembre 2013 et modifiée le 16 avril 2014 autorise, sous certaines conditions, l'usage des substances mentionnées sur la liste III de cette loi à des fins médicales. Le clotiazépam, principe actif du Veratran et la benzodiazépine, dont les propriétés sont proches de celles du Zopiclone, qui permet de lutter contre l'insomnie, figurent ainsi sur cette liste. Quant au Brintellix, s'il ne figure pas sur cette liste, il s'agit d'un antidépresseur. Or, d'autres antidépresseurs sont commercialisés en Géorgie. Enfin, le Fluoxétine n'était plus prescrit à la requérante par l'ordonnance du 2 janvier 2019, la plus récente produite. Par suite, les éléments produits par Mme D... ne permettent pas d'établir qu'elle ne serait pas en mesure de bénéficier effectivement d'un traitement adopté à sa pathologie en Géorgie ainsi que l'a estimé le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
8. Le moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, en conséquence, être écarté.
9. En troisième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, Mme D... ne vivait en France que depuis deux ans et demi. Elle a réalisé d'importants efforts d'intégration en suivant notamment des cours de français et d'informatique, en s'investissant en qualité de bénévole dans plusieurs associations et en apportant également de l'aide à des particuliers pour des services ponctuels. Elle ne fait cependant pas état de liens d'une particulière intensité et stabilité en France, hormis la présence de son fils, A..., né le 27 juin 2002, mineur à la date de la décision litigieuse, qui est entré en France sans sa mère en 2016 et a alors été admis à l'aide sociale à l'enfance en sa qualité de mineur isolé. Cependant, il ne ressort des pièces du dossier, ni que le jeune A... ne pourrait pas retourner vivre en Géorgie avec sa mère, son entrée en France étant également récente, ni que, désormais majeur, il aurait nécessairement vocation à vivre avec sa mère, alors d'ailleurs qu'il est entré en France sans sa mère, plusieurs mois avant cette dernière. Alors même qu'elle était séparée de son mari depuis trois ans à la date de l'arrêté contesté, que ses parents sont décédés et que son frère vit désormais en Turquie, Mme D... n'établit pas qu'elle serait isolée en Géorgie, pays dans lequel elle a vécu cinquante ans avant son entré en France.
11. Par suite, l'arrêté contesté ne porte pas au droit de Mme D... au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée au but en vue desquels il a été édicté. Il ne méconnaît pas davantage le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313- (...) ".
13. Ainsi qu'il est dit au point 10 du présent arrêt, la requérante a réalisé d'importants efforts d'intégration en France depuis le mois de février 2017. Sa présence en France est toutefois récente. En outre, elle ne saurait utilement invoquer la scolarisation de son fils au collège puis au lycée pour demander son admission exceptionnelle au séjour, d'autant que son fils est entré en France sans elle et a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Ainsi, Mme D... ne fait pas état de considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels justifiant son admission exceptionnelle au séjour. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, en conséquence, être écarté.
14. En cinquième lieu, il résulte des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
15. La décision litigieuse, relative à la situation de Mme D..., est sans incidence sur la situation de son fils. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.
16. En dernier lieu, pour les motifs exposés précédemment, l'arrêté contesté n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme D....
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 juillet 2019 du préfet du Bas-Rhin. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, en conséquence, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la région Grand-Est, préfet du Bas-Rhin.
2
N° 19NC03569