Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 27 janvier 2015, la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf, représentée par MeB..., demande à la Cour :
A titre principal :
1°) d'annuler le jugement du 27 novembre 2014 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de condamner la SARL André Voegele à payer au conseil presbytéral la somme de 70 000 euros en réparation des préjudices économique et moral qu'elle a subis du fait des fautes commises dans l'exécution du marché ;
3°) de mettre à la charge de la SARL André Voegele le versement d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) à titre subsidiaire, de prescrire une expertise.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative doit se déclarer matériellement incompétente au profit des juridictions de l'ordre judiciaire, le contrat en cause n'ayant pas un caractère administratif ;
- la requête était irrecevable en première instance en tant que les conclusions aux fins de condamnation étaient dirigées contre la paroisse protestante qui n'a pas de personnalité juridique ;
- la SARL André Voegele n'a pas respecté ses obligations contractuelles ;
- les premiers juges ont rejeté à tort ses conclusions reconventionnelles ; la SARL André Voegele lui a causé un préjudice économique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2015, la SARL André Voegele, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que la cour mette à la charge de la partie appelante la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est matériellement compétente, le contrat conclu avec le conseil presbytéral étant un marché public de travaux qui a la nature d'un contrat administratif ;
- la requête d'appel est irrecevable en tant qu'elle émane de la paroisse protestante qui est dépourvue de la personnalité morale, et non du conseil presbytéral ;
- la demande de première instance était recevable dès lors que la condamnation du conseil presbytéral était aussi sollicitée ;
- elle n'a commis aucune des fautes qui lui sont reprochées dans l'exécution de ses obligations contractuelles ; au titre des inscriptions imparfaitement réalisées sur les cloches, elle a consenti une remise à la paroisse protestante ; la paroisse protestante est à l'origine des prétendus manquements qu'elle invoque ;
- les conclusions reconventionnelles du conseil presbytéral de la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf sont dénuées de tout fondement dès lors qu'elle n'a commis aucune faute.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'erreur de droit commise par le tribunal administratif de Strasbourg qui a omis de soulever d'office le moyen tiré de l'impossibilité de condamner une personne publique à payer une somme qu'elle ne doit pas.
Par ordonnance du 29 février 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 17 mars 2016 à 16 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- les articles organiques applicables aux cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes ;
- le décret du 26 mars 1852 modifié sur l'organisation des cultes protestants ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tréand, président,
- les conclusions de M. Laubriat, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., pour la SARL André Voegele.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
1. Considérant que le 25 mars 2007, la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf a conclu avec la SARL André Voegele un contrat tendant à la fourniture et à l'installation de deux cloches destinées à l'église protestante de Neudorf, située 144 rue du Polygone à Strasbourg ; que ces cloches ont été commandées pour renouveler le carillon de l'édifice à la suite du réaménagement du beffroi réalisé par la même société à la demande de la ville de Strasbourg ; qu'elles ont été conçues et fabriquées, après études, en fonction des caractéristiques et de la configuration du lieu particulier dans lequel elles devaient être installées ; qu'ainsi, constituant avec ledit beffroi un élément d'un ensemble qui présente une unité, les cloches en cause doivent être regardées comme un immeuble par destination ; que, par suite, la fabrication et la mise en place de ces ouvrages, réalisées pour le compte d'une personne publique, dans le cadre de l'exercice du culte protestant qui est une mission de service public en Alsace-Moselle, constituent un travail public ; que, dès lors, le contrat litigieux est un contrat administratif dont le contentieux né de son exécution ressortit à la compétence de la juridiction administrative ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la SARL André Voegele :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 26 mars 1852 modifié portant réorganisation des cultes protestants : " La paroisse est une circonscription territoriale au sein de laquelle l'Etat rétribue un ou plusieurs postes pastoraux. Elle est créée par arrêté du ministre de l'intérieur et la modification de ses limites est décidée par arrêté préfectoral. Elle peut comprendre une ou plusieurs annexes disposant d'un lieu de culte propre et dont les comptes peuvent faire l'objet d'une présentation séparée. / La paroisse est administrée, sous l'autorité du consistoire, par un conseil presbytéral composé de six à seize membres laïques et du ou des pasteurs en service dans la paroisse ou ses annexes (...) " ;
3. Considérant qu'en application des dispositions précitées, le culte protestant en Alsace et en Moselle est organisé en paroisses créées par le ministre de l'intérieur, qui ont succédé aux consistoires depuis le décret n° 92-278 du 24 mars 1992 ; qu'il en résulte que les paroisses sont des établissements publics du culte dotés de la personnalité morale ; que si elles sont administrées par un conseil presbytéral, elles ont seules qualité pour agir en justice comme l'a d'ailleurs fait la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf tant en défense en première instance qu'en appel ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par la SARL André Voegele et tirée de l'absence de qualité à agir de la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf doit être écartée ;
Sur la recevabilité de la demande formée en première instance par la SARL André Voegele :
4. Considérant que la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf soutient que la demande de première instance formée par la SARL André Voegele était irrecevable au motif que seul le conseil presbytéral de la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf pouvait voir engager sa responsabilité contractuelle et se voir réclamer le paiement du solde du prix convenu au contrat en cause ; qu'à supposer même que la demande de la SARL André Voegele ait été mal dirigée, cette circonstance était sans influence sur la recevabilité de sa demande mais pouvait seulement conduire à l'écarter comme étant non fondée ;
Sur le paiement du solde du marché :
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du contrat conclu, la SARL André Voegele s'est engagée à réaliser des inscriptions sur les deux cloches qu'elle devait fabriquer pour le compte de la paroisse protestante, ces inscriptions étant gratuites jusqu'à 100 caractères par cloche ; que, par courrier du 29 février 2008, elle a reconnu avoir imparfaitement accompli cette tâche ; que, toutefois, outre qu'elle n'a pas facturé les inscriptions dépassant le seuil qu'elle s'était contractuellement engagée à réaliser gratuitement, elle a procédé à une remise sur le prix hors taxe convenu de 1 800 euros soit de 2 152,80 euros TTC ; que la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf ne démontre pas en quoi la faute commise, dont la réalité ne peut être sérieusement contestée et qui affecte principalement l'esthétique des cloches, lui a causé un préjudice supérieur à celui qui a été spontanément indemnisé par la SARL André Voegele et qui justifierait qu'elle ne règle pas le solde restant dû du marché ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que le contrat conclu entre la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf et la SARL André Voegele ne prévoyait aucune date de fabrication et d'installation des deux cloches commandées, ni par conséquent, l'éventuelle application de pénalités de retard ; que si un planning de " coulée et livraison de 2 nouvelles cloches " a été élaboré unilatéralement par la société intimée le 26 mars 2007, il ne revêtait expressément qu'un caractère prévisionnel et n'avait aucun caractère contractuel ; que, d'ailleurs, la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf ne respectant pas les délais prévus pour verser les acomptes conformément aux stipulations contractuelles, la SARL André Voegele a dû d'elle-même, le 4 septembre 2007, modifier le planning initialement envisagé ; qu'ainsi, aucun retard dans l'exécution de ses obligations contractuelles ne peut lui être reproché ;
7. Considérant, en troisième lieu, que si la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf soutient que la qualité de sonnerie des cloches n'est pas satisfaisante, faisant référence à un courrier daté du 5 décembre 2008 émanant du pasteur J-C H. indiquant qu'existait encore un " certain nombre de problèmes quant au rythme et à la justesse de l'accord ", il ne résulte pas de l'instruction que les cloches fabriquées et installées par la SARL André Voegele présenteraient de tels défauts ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que le contrat litigieux ne prévoyait pas la fourniture et l'installation d'un programmateur de sonnerie de cloches par la SARL André Voegele ; que l'attestation du pasteur Ph E. produite en première instance ne démontre pas qu'aurait existé un engagement même verbal de la société intimée de réaliser gratuitement une telle prestation ;
9. Considérant, en dernier lieu, que la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf soutient que la SARL André Voegele a commis des manquements aux règles de sécurité ; que, toutefois, il résulte de l'instruction, d'une part, qu'alors que le beffroi de l'église protestante de Strasbourg-Neudorf présentait des vibrations inquiétantes, la ville de Strasbourg a décidé de procéder à son réaménagement ; qu'elle a chargé en février 2007 la SARL Voegele de remplacer le beffroi métallique par un beffroi en bois ainsi que d'équiper le clocher d'abat-sons ; que la société intimée a alors réalisé une étude acoustique, en collaboration avec le cabinet Bardt, spécialiste des analyses dynamiques des beffrois, afin de valider l'option technique retenue ; que, d'autre part, si, alors que des déplacements vibratoires du clocher de l'église protestante du Strasbourg-Neudorf avaient été observés lors de la mise en volée des cloches, l'entreprise Bodet, qui est intervenue et dont l'expertise a été sollicitée par la paroisse protestante, a constaté, dans son rapport daté du 5 novembre 2009, qu'il lui a fallu procéder urgemment au resserrage de la boulonnerie des principales pièces constituant le beffroi, il n'est pas contesté, comme l'a jugé le tribunal, qu'aucune obligation d'entretien ne pesait sur la SARL Voegele, la garantie prévue au contrat ne portant que sur les vices de construction et de montage ; qu'or, entre la mise en service des cloches le 15 février 2008 et la date de l'intervention de l'entreprise Bodet, soit pendant 18 mois, aucun entretien n'a été effectué, la paroisse protestante ayant expressément refusé de conclure un contrat de maintenance à cette fin ; qu'enfin, il n'est établi par aucune pièce produite au dossier que les travaux réalisés par la SARL André Voegele tant pour la ville de Strasbourg que pour la paroisse protestante seraient inadaptés au clocher de l'église ; que ni le rapport établi par l'entreprise Bodet, ni celui réalisé par la société AVLS (Acoustique Vibrations Logiciel Scientifique) ne remettent en cause le choix fait par la société intimée d'avoir installé un dispositif de contrepoids à balancier sur les cloches n° 2 et n° 3 pour équilibrer les contraintes générées par leur mise en volée, choix qui avait été validé par le cabinet Bardt ; que d'ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la ville de Strasbourg se serait plainte des aménagements réalisés sur l'église protestante de Strasbourg-Neudorf qui est sa propriété ; qu'ainsi, les manquements aux règles de sécurité invoqués par la paroisse protestante appelante à l'encontre de la SARL André Voegele ne sont pas démontrés ;
10. Considérant que, par suite, sans qu'il soit besoin de prescrire une expertise, la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne devait pas s'acquitter du solde du prix contractuellement prévu ;
11. Considérant que, toutefois, il résulte de l'instruction et notamment du tableau établi par la SARL André Voegele joint à la sommation de payer adressée à la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf par acte d'huissier daté du 16 septembre 2009, que le solde du prix du marché non encore réglé ne s'élevait pas à 11 943,48 euros mais à 11 003,48 euros ; que, dès lors que le juge administratif ne peut pas condamner une personne publique à payer une somme qu'elle ne doit pas, il y a lieu de réformer le jugement attaqué en ce sens ;
Sur les conclusions reconventionnelles formées par la paroisse protestante :
12. Considérant que la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf soutient qu'elle a subi un préjudice économique qu'elle chiffre à 60 000 euros, n'ayant pu réaliser et commercialiser un disque compact avant Noël 2007 ; que, toutefois, elle n'établit pas que ce préjudice, qui a au surplus un caractère purement éventuel, serait lié à la seule faute commise par la SARL Voegele dont l'existence a été admise au point 5 ; que, par suite, elle ne peut prétendre que le jugement attaqué devrait être réformé au motif que les premiers juges ont rejeté intégralement ses conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de la société intimée à réparer les préjudices qu'elle lui aurait occasionnés ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant qu'aux termes des dispositions figurant à l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ... " ;
14. Considérant, d'une part, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions formées par la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
15. Considérant, d'autre part, que les dispositions précitées font obstacle à ce que la SARL André Voegele, partie perdante, puisse se voir allouer la somme qu'elle demande au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens ;
D É C I DE :
Article 1er : La paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf est condamnée à payer à la SARL André Voegele la somme de 11 003,48 euros en règlement du solde du prix du marché de fourniture et d'installation de deux cloches.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 novembre 2014 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la SARL André Voegele formées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la paroisse protestante de Strasbourg-Neudorf et à la SARL André Voegele.
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N° 15NC00189