Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 mai 2018, M. D..., représenté par la SELARL Guitton - Grosset - Blandin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy du 5 avril 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 16 mars 2018 du préfet de Meurthe-et-Moselle ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la décision de transfert :
- elle a méconnu son droit à l'information en méconnaissance du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'une copie traduite de la décision de transfert ne lui a pas été remise, qu'il n'a pas été assisté d'un conseil et que l'interprète n'a pas été assermenté ;
- le tribunal n'a pas répondu à ce moyen ;
- elle est entachée d'une erreur de droit dans l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il est toujours resté dans l'espace Schengen, sa première demande d'asile ayant été présentée en France ;
- le préfet s'est estimé à tort tenu d'ordonner son transfert ;
- il n'a pas examiné sa situation familiale ;
- cette décision méconnaît son droit au respect de sa vie familiale ;
- il n'a pas bénéficié d'un entretien individuel et confidentiel, mené dans une langue qu'il comprend en méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
S'agissant de la décision d'assignation à résidence :
- elle a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen de situation personnelle ;
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle n'est pas justifiée ;
- elle méconnaît les droits de la défense.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il s'en remet à ses écritures de première instance.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la requête compte tenu de l'expiration du délai de six mois courant à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, interrompu jusqu'à la date à laquelle le tribunal administratif a statué au principal, ce qui rend désormais la France responsable de la demande de protection internationale de M. D...(A..., 24 septembre 2018, n° 420708).
Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été présenté pour M. D... et enregistré le 31 octobre 2018.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Michel, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant arménien né le 9 septembre 1998, est entré en France le 19 août 2017, selon ses déclarations. Il s'est présenté à la préfecture de la Moselle pour solliciter l'asile. A la suite de la consultation du fichier " Eurodac " indiquant que les empreintes de l'intéressé avaient déjà été relevées par les autorités allemandes, le préfet a saisi ces autorités d'une demande de reprise en charge, qui a été acceptée par ces dernières le 10 octobre 2017. Par un arrêté du 16 mars 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle a ordonné le transfert de M. D...vers l'Allemagne et, par un second arrêté du même jour, il a décidé de l'assigner à résidence pour une durée de quinze jours sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. D...relève appel du jugement du 5 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés du 16 mars 2018.
Sur la décision de transfert :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 de ce code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit enfin que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
5. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 16 mars 2018 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a ordonné le transfert de M. D... vers l'Allemagne est intervenue moins de six mois après la décision par laquelle l'Allemagne a donné son accord pour sa reprise en charge, dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Ce délai a toutefois été interrompu par l'introduction par M. D... de son recours présenté contre cette décision sur le fondement de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un nouveau délai de six mois a commencé à courir à compter du jugement du tribunal administratif de Nancy du 5 avril 2018 qui, statuant au principal sur le recours, l'a rejeté. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune des pièces des dossiers que ce délai aurait été prolongé, en application des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013, au motif d'un emprisonnement de l'intéressé ou au motif que celui-ci aurait pris la fuite. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la décision de transfert en litige aurait été exécutée au cours de ce délai de six mois, qui expirait le 5 octobre 2018, date à laquelle, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, la France est devenue responsable de l'examen de la demande de protection internationale de M. D.... Il s'ensuit qu'à cette date, la décision de transfert en litige est devenue caduque et ne pouvait plus être légalement exécutée. Cette caducité étant intervenue postérieurement à l'introduction de l'appel, les conclusions de la requête de M. D... tendant à l'annulation du jugement du 5 avril 2018 rejetant sa demande dirigée contre la décision du 16 mars 2018 ordonnant son transfert vers l'Allemagne, ainsi que l'annulation de cette décision et ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.
Sur la décision d'assignation à résidence :
6. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " I.-L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) / Les trois derniers alinéas de l'article L. 561-1 sont applicables, sous réserve que la durée maximale de l'assignation ne puisse excéder une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois (...) ".
7. En premier lieu, la décision en litige a été signée par Mme Marie-Blanche Bernard, secrétaire générale de la préfecture de Meurthe-et-Moselle. Par un arrêté du 29 décembre 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet de Meurthe-et-Moselle a donné délégation à MmeC..., à l'effet de signer tous les arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département à l'exception d'actes ne relevant pas de la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit être écarté.
8. En deuxième lieu, la décision en litige, après avoir notamment visé le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et plus particulièrement l'article L. 561-2 de ce code, décrit de manière précise le parcours de M. D..., mentionne la décision de transfert de l'intéressé vers l'Allemagne, et indique qu'il dispose d'une adresse postale mais ne s'est pas volontairement rapproché des services préfectoraux en vue de la préparation de son transfert lequel doit faire l'objet d'une exécution durant la période de validité de l'accord de l'Allemagne. Elle précise enfin qu'il disposera d'un laissez-passer européen établi par le préfet afin de regagner cet Etat et qu'il existe une perspective raisonnable d'exécuter le transfert. La décision contestée comportant ainsi les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement est suffisamment motivée.
9. En troisième lieu, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de remise d'un étranger à un Etat responsable de sa demande d'asile n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision le plaçant en rétention ou l'assignant à résidence dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur la perspective de son transfert vers les autorités de l'Etat concerné.
10. Il ressort des pièces des dossiers que M. D... a été entendu le 22 septembre 2017 sur ses conditions d'entrée en France et informé que ses empreintes ayant été relevées en Allemagne, les autorités de ce pays allaient être saisies d'une demande de reprise en charge. L'intéressé a été également informé le 16 mars 2018, en présence d'un interprète en langue arménienne, de l'intention de l'administration de prendre à son encontre une décision d'assignation à résidence et il a fait part de ses observations. Ainsi, le moyen tiré de ce que M. D... aurait été privé de son droit à être entendu doit être écarté.
11. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'aurait pas procédé à un examen de la situation personnelle de M. D....
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers assignés à résidence sur le fondement des articles L. 552-4 et L. 561-2 se voient remettre une information sur les modalités d'exercice de leurs droits, sur les obligations qui leur incombent et, le cas échéant, sur la possibilité de bénéficier d'une aide au retour ". Aux termes de l'article R. 561-5 de ce code : " L'étranger auquel est notifiée une assignation à résidence en application de l'article L. 552-4 ou de l'article L. 561-2 est informé de ses droits et obligations par la remise d'un formulaire à l'occasion de la notification de la décision par l'autorité administrative ou, au plus tard, lors de sa première présentation aux services de police ou de gendarmerie (...) ".
13. Il résulte des dispositions précitées que la remise du formulaire doit s'effectuer au moment de la notification de la décision d'assignation à résidence ou, au plus tard, lors de la première présentation de l'étranger aux services de police ou de gendarmerie. S'agissant d'une formalité postérieure à l'édiction de la décision d'assignation à résidence, l'absence de remise du formulaire est sans incidence sur la légalité de cette décision.
14. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'assignation à résidence, eu égard notamment aux modalités de pointage à raison de deux fois par semaine dont elle était assortie, porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir de M. D... ou à son droit à une vie privée et familiale.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 mars 2018 ordonnant son assignation à résidence pour une durée de quinze jours.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de M. D... demande sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer, d'une part, sur les conclusions de la requête de M. D... tendant à l'annulation du jugement du 5 avril 2018 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 mars 2018 ordonnant son transfert vers l'Allemagne, ainsi qu'à l'annulation de cette décision et, d'autre part, sur ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle
2
N° 18NC01399