Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 3 janvier 2018, le 24 mai 2018 et le 11 décembre 2018, M.B..., représenté par Me Rosensthiel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 novembre 2017 ;
2°) d'annuler le contrat de débardage conclu par la commune de Rosheim ;
3°) de condamner la commune de Rosheim à l'indemniser du préjudice subi à hauteur de 31 003,64 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Rosheim la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a qualité pour agir ;
- le jugement est irrégulier dans la mesure où les formalités prévues à l'article R. 741-7 du code de justice administrative n'ont pas été respectées ;
- faute d'avoir procédé à des mesures d'instruction à l'égard de la commune, le tribunal a méconnu son droit à un procès équitable ;
- la procédure de passation du marché a méconnu les dispositions de l'article 40 du code des marchés publics en l'absence de publicité et de mise en concurrence adaptée ;
- les dispositions de l'article 55 du code des marchés publics ont été méconnues ;
- les dispositions de l'article 53 du même code ont été méconnues ;
- la commune doit être condamnée à l'indemniser du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat et de son éviction irrégulière ;
- il avait une chance sérieuse de se voir attribuer le marché alors que son offre était moins-disante ;
- son manque à gagner s'élève à 28 503,64 euros et les frais de présentation de son offre à 2 500 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 mars 2018 et le 7 décembre 2018, la commune de Rosheim conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. B...le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'a pas qualité pour agir ;
- la procédure suivie par le tribunal est régulière ;
- les conclusions aux fins d'annulation étaient bien irrecevables ;
- si la procédure d'attribution du marché est bien irrégulière, le requérant n'avait pas de chances sérieuses de se voir attribuer le marché ;
- le préjudice allégué n'est pas démontré.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Wallerich, président assesseur,
- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,
- et les observations de Me Rosensthiel, avocat de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Rosheim a organisé une mise en concurrence en vue de la passation, selon une procédure adaptée, d'un marché de travaux de débardage et de câblage dans la forêt communale au titre de l'année 2015. Elle a, le 9 avril 2015, attribué ce marché à l'entreprise Trotzier. M.B..., candidat évincé, a contesté devant le tribunal administratif de Strasbourg la validité de ce contrat et lui a demandé de condamner la commune de Rosheim à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis. M. B...relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté ses demandes.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors en vigueur : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de la décision attaquée (...) ". Ces dispositions sont applicables au recours intenté par un concurrent évincé pour contester la validité d'un contrat administratif.
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que malgré l'invitation et la demande de régularisation qui lui ont été adressées par lettres des 13 juillet 2017 et 25 septembre 2017, respectivement notifiées les 17 juillet 2017 et 25 septembre 2017, M. B...n'a pas produit le contrat dont il a demandé l'annulation et ne démontre pas avoir accompli sans succès des démarches en vue d'en obtenir la communication, ni avoir avisé de cet échec éventuel le tribunal qui a régulièrement pu, dans ces conditions, déclarer irrecevables ses conclusions tendant à la contestation de la validité de ce contrat. Contrairement, en outre, à ce que soutient M.B..., il n'appartenait pas au tribunal d'adresser lui-même une mesure d'instruction à la commune en vue de la production du contrat et le moyen tiré, à cet égard, de la méconnaissance du droit à un procès équitable prévu par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté.
4. En second lieu, il résulte de l'examen de la minute du jugement attaqué, figurant dans le dossier de première instance transmis à la cour qu'elle comporte les signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Le moyen tiré de ce qu'elles en seraient absentes manque en fait et doit ainsi être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les fins de non-recevoir soulevées en première instance par la commune de Rosheim :
5. En premier lieu, dès lors que M. B...a exercé, sous la dénomination " EntrepriseB... ", une affaire personnelle d'exploitant agricole, il justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir devant la juridiction administrative en vue de recouvrer les créances dues à son exploitation malgré la radiation de son entreprise du registre du commerce et des sociétés le 3 juin 2016.
6. En second lieu, il résulte de l'instruction que M. B...a présenté à la commune, le 28 septembre 2015, une demande préalable chiffrée tendant à l'indemnisation de son préjudice et que cette dernière a été rejetée le 6 octobre 2015 par une décision qui a été de nature à lier le contentieux en cours d'instance.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
7. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation.
8. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat, il appartient au juge de vérifier d'abord si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, il n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient, ensuite, de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Dans un tel cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. Toutefois, si l'offre du candidat irrégulièrement évincé était elle-même irrégulière, ce candidat ne peut être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'obtenir le contrat.
S'agissant des irrégularités alléguées :
9. En premier lieu, aux termes de l'article 40 du code des marchés publics : " I. - En dehors des exceptions prévues aux II et III de l'article 28 ainsi qu'au II de l'article 35, tout marché ou accord-cadre d'un montant égal ou supérieur à 15 000 euros HT est précédé d'une publicité, dans les conditions définies ci-après./ II. - Pour les achats de fournitures, de services et de travaux d'un montant compris entre 15 000 euros HT et 90 000 euros HT, ainsi que pour les achats de services relevant du I de l'article 30 d'un montant égal ou supérieur à 15 000 euros HT, le pouvoir adjudicateur choisit librement les modalités de publicité adaptées en fonction des caractéristiques du marché, notamment le montant et la nature des travaux, des fournitures ou des services en cause ".
10. Si M. B...fait valoir que ces dispositions ont été méconnues faute pour la commune d'avoir organisé une publicité suffisante de la mise en concurrence, il est constant que sa candidature a été admise et qu'il a présenté une offre correspondant à l'objet du marché. Il n'existe, par suite, aucun lien direct entre les conditions dans lesquelles a été organisée la publicité de la mise en concurrence et les préjudices dont il demande réparation.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 53 du code des marchés publics alors en vigueur : " I.- Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, (...). D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ; 2° Soit, compte tenu de l'objet du marché, sur un seul critère, qui est celui du prix. (...) ".
12. Il résulte des documents de la consultation et notamment le cahier des clauses particulières que dans le cas particulier de travaux urgents (câblage d'arbres dangereux), le titulaire pourra être sollicité et qu'il s'engage à intervenir dans les meilleurs délais. Le candidat devait ainsi préciser, dans le devis descriptif et quantitatif des travaux qu'il devait joindre à son offre et où devaient figurer ses tarifs, la mention du " temps de réaction pour débardage de tout temps ". Il en résulte que M. B...n'est pas fondé à soutenir que les candidats n'étaient pas informés de ce que leurs offres seraient également évaluées au regard de ce critère technique.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article 55 du code des marchés publics : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies (...) ".
Il résulte de ces dispositions que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre, sauf à porter atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Par ailleurs, le seul écart de prix avec une offre concurrente ne signifie pas qu'une offre était anormalement basse, le juge devant seulement rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.
14. Il résulte de l'instruction que si M. B...a été informé, le 7 avril 2015, du rejet de son offre comme anormalement basse au regard des prix proposés dans son devis, la commune de Rosheim ne l'a pas mis en mesure de justifier du niveau de ces prix comme les dispositions précitées lui en faisaient pourtant obligation. Par voie de conséquence, M. B...est fondé à soutenir qu'il a été irrégulièrement évincé de la procédure d'attribution du marché public litigieux et à demander l'indemnisation du préjudice qui est en lien direct avec cette irrégularité.
S'agissant des préjudices indemnisables :
15. Si la commune fait valoir en appel que l'offre de M. B...a été classée en dernière position sur les quatre candidatures reçues, elle n'apporte toutefois aucun élément à l'appui de ses allégations alors qu'il résulte de l'instruction que le montant de l'offre de M. B...était inférieur à celui du candidat retenu et que le délai d'intervention de ce dernier pour les travaux de câblage d'urgence n'est pas précisé dans son contrat. Dans ces conditions M. B...doit être regardé comme ayant eu des chances sérieuses de se voir attribuer le marché.
16. M. B...présente en appel de nouvelles pièces comptables laissant apparaître que son entreprise a dégagé au cours des exercices 2013, 2014 et 2015 une marge nette respectivement de 6, 8 et 27 % de son chiffre d'affaires, l'année 2015 ayant toutefois présenté un caractère exceptionnel. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de son manque à gagner au titre du marché en litige en l'évaluant à un montant de 3 000 euros, incluant les frais de présentation de son offre.
S'agissant des intérêts et de leur capitalisation :
17. M. B...est fondé à demander que l'indemnité de 3 000 euros à laquelle il peut prétendre soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2015. S'il demande également la capitalisation des intérêts, cette dernière ne peut être ordonnée qu'à compter de la date à laquelle est due au moins une année d'intérêts, soit à compter du 28 septembre 2016 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté, dans cette mesure, ses demandes indemnitaires.
Sur les frais liés à l'instance :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M.B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Rosheim demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Rosheim le versement à M. B...d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1505342 du 2 novembre 2017 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de la demande de M.B....
Article 2 : La commune de Rosheim est condamnée à verser à M. B... une indemnité de 3 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2015. Les intérêts échus porteront à leur tour intérêts à compter du 28 septembre 2016 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : La commune de Rosheim versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...et les conclusions présentées par la commune de Rosheim sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la commune de Rosheim et à la société Trotzier.
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N° 18NC00017